Par René Gallissot
Figure du communisme de pensée ouverte à Oran ; partisan de l’Algérie algérienne pluraliste et soutien de la lutte de libération ; avocat pour le FLN ; fait citoyen algérien après l’indépendance ; quitte l’Algérie en 1968 pour Paris.
En 1944-1945, au moment d’exaltation des idées progressistes derrière la victoire des Alliés et d’apogée de l’URSS, patrie du socialisme, porteuse d’un monde nouveau qui renvoie au néant le national-socialisme ou fascisme, voire abolit le racisme, Paul Bouaziz qui a une quinzaine d’années, après le règne de Vichy en Algérie, a repris les cours au Lycée Lamoricière d’Oran. Il se distingue déjà par sa liberté intellectuelle.
Certes il appartient au milieu juif dans une ville d’Oran ethniquement partagée en ses quartiers ; il est “Boa”, chef de troupe aux Éclaireurs israélites de France ; à la troupe 5, on ne s’occupe pas de religion si on ne s’en moque, on croit que l’Algérie sera laïque et progressiste, mixte dans tous les sens du mot, mêlant ses filles et ses fils de “toute origine et de toute confession” comme dit l’écriture automatique. Plus encore au lycée, le Cogito-club qu’il a fondé en classe de philo en 1945-1946, agite les idées marxistes et commente les auteurs de pensée libre ; l’ami André Akoun* qui prend Boa pour exemple, y va de son exposé sur Sade.
On a son témoignage (A. Akoun, Né à Oran) qui vaut ensuite pour les années d’études à Alger. Paul Bouaziz est parti après le bac, s’inscrire en droit. Bachelier l’année suivante en 1947, André Akoun suit sa trace et le trouve déjà secrétaire de la cellule des étudiants communistes de la Faculté. Étudiants communistes ensemble, leur route diverge en 1949 quand la famille Akoun se retrouve à Paris. Paul Bouaziz poursuit son droit à la Faculté d’Alger. Il sera avocat à Oran, et l’avocat communiste comme on ne cessera de dire. En 1952, Paul Bouaziz épouse Simone Benamara, née à Sidi-Bel-Abbès le 30 juillet 1924, morte à Paris le 2 août 2011 ; ils auront deux enfants. Venant des milieux juifs de Sidi-Bel-Abbès à la Faculté de droit d’Alger, Simone Benamara partageait les idées de Paul Bouaziz ; communiste elle aussi et portée vers l’action sociale. Elle devient avocate en 1952 ; ils seront ensemble les défenseurs des "patriotes algériens" tant du PCA que du FLN.
Sa formation et la personnalité de Paul Bouaziz comptent dans le mouvement communiste ; il sert d’intermédiaire entre les intellectuels politisés, entre le PCA rigide et prisonnier du manichéisme de guerre froide sous l’étoile de Moscou et les nationalistes du PPA-MTLD. Il est ainsi au début des années 1950, une figure du Mouvement de la Paix à Oran auquel participent les professeurs du lycée que sont le philosophe François Chatelet*, communiste, et l’historien Marc Ferro* qui n’est pas membre du PC. Paul Bouaziz est par ailleurs en contact avec André Mandouze* professeur à Alger qui dirige la revue Consciences algériennes qui devient Consciences maghribines (sic).
Son engagement pour qu’advienne une nation algérienne, le porte au soutien de la lutte de libération. Il est un des premiers avocats à défendre les activistes du FLN victimes de la répression. En 1955, le PCA hésite encore devant l’action armée, sauf à penser après juin, se doter de la carte de ses propres groupes armés. Si le parti s’oppose à rallier le FLN, il demande aux médecins, à ses militants de la santé et aux avocats de participer à l’aide à l’ALN-FLN.
Une longue réticence est le fait de Camille Larribère*, l’ancêtre du parti communiste en Oranie qui a reçu dès les années 1920, le surnom de “Larribère le sectaire.” Dans le communisme oranais, et aussi pour les intellectuels nationalistes et plus largement, Paul Bouaziz est l’antithèse de Larribère. L’avocat se met donc au service du FLN. Les Larribère apporteront aussi un grand concours aux victimes et aux partisans de la guerre. d’indépendance. Menacés par la répression coloniale, les Bouaziz peuvent à partir de 1957 et par périodes, s’abriter à Prague, auprès de la FSM, au titre de la CGT. Tous deux font retour en Algérie à l’indépendance.
En 1963, la citoyenneté algérienne est accordée à Paul Bouaziz pour sa participation à la lutte de libération. Après le coup d’État de 1965, voyant disparaître son idéal d’une nation algérienne mixte, Paul Bouaziz se résigne à quitter l’Algérie, ce qu’il fait en 1968. Spécialiste du droit du travail auprès de la CGT, il est avocat au barreau de Paris. Paul et Simone Bouaziz pratiquent cette défense sociale dans un cabinet d’avocats associés, rue du Renard à Paris.
Par René Gallissot
SOURCES : E. Sivan, Communisme et nationalisme en Algérie, op.cit. — Entretien avec Marc Ferro, décembre 2002. — A. Akoun, Né à Oran. Bouchène, Saint-Denis, Paris, 2004.