BOUAZIZ Rabah dit Saïd [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né à Tizi-Rached en Kabylie en 1928, mort à Alger en 2009 ; quittant le PPA après la crise "berbériste" ; travaillant en émigration dans les mines de Belgique et de Lorraine ; syndicaliste CGT ; monté au maquis de la wilaya IV, au-dessus d’Alger ; chargé en France de la Spéciale, le bras armé de la Fédération de France du FLN.

La famille de Rabah Bouaziz survit péniblement à la campagne ; elle fait partie de la paysannerie kabyle ruinée par les confiscations de terres qui ont suivi l’insurrection de 1871. Orphelin de père, le jeune garçon est élevé par sa grand-mère. Il peut cependant aller à l’école primaire française, sans pouvoir passer le certificat d’études ; l’école fut fermée après le débarquement allié de novembre 1942 pour laisser place à un poste militaire. Comme il s’emploie sur les vignes de colons, il connaît alors la vie dure des ouvriers agricoles. Le sens de classe accompagnera son patriotisme anticolonialiste.

Il tente sa chance à Alger, mais revient au village en 1945. Il est entré dans une troupe de scouts musulmans ; au pays, il s’engage dans un commando du PPA qui prépare le soulèvement ; en mai 1945, la répression coloniale suspend le projet. Tout en restant au PPA qui va devenir le MTLD, il retourne à Alger chercher du travail ; réceptionniste dans un hôtel, il est renvoyé pour avoir offert l’hébergement à des militants nationalistes. Un beau-frère qui est parti en émigration, l’invite à venir en France. En 1947, il se retrouve un temps au travail en Bretagne, en Ille-et-Vilaine.

Rabah Bouaziz veut assurer sa condition en émigration en changeant de région pour un meilleur emploi. Il s’emploie comme ouvrier métallurgiste dans plusieurs bassins miniers, en Belgique puis en Lorraine en 1951 ; pour quitter la condition de mineur, il passe un CAP de travaux publics.

Militant de la Fédération de France du MTLD, il est profondément troublé par la crise du parti dite berbériste qui élimine des dirigeants kabyles. Dans ses entretiens en 2007, avec Linda Amiri qui prépare une thèse sur la Fédération de France du FLN, alors qu’il rédige des mémoires que la mort l’empêchera d’achever, il dit avoir quitté le parti par estime pour les cadres "berbéristes" exclus ; il se trouve en accord avec la conception plurielle de la nation algérienne exposée dans le petit livre signé El Watani (voir au nom des auteurs : : Mabrouk Belhocine*, Yahia Hénine* et Sadek Hadjerès*)  : L’Algérie vivra-t-elle ? Ce point de vue est peut-être rétrospectif car la brochure ne fut pas diffusée. En tout cas, il marque ses distances avec l’arabisme et même une défiance sinon une hostilité face à l’évolution de Messali*. En 1954, il soutient d’abord les centralistes avant de rejoindre très vite l’ALN/FLN.

Pendant ces années de travailleur émigré, il milite au syndicat, c’est-à-dire à la CGT dont il est délégué d’entreprise en Lorraine. Pressentiment ? À l’été 1954, il vient voir ce qui se passe en Kabylie ; il a des contacts politiques et, en rentrant en France, au déclenchement de l’insurrection, il se joint aux premiers noyaux du FLN, se faisant collecteur de fonds. Il est arrêté au début de 1955 et envoyé en prison plusieurs mois à Alger, à Barberousse (Serkadji) ; grâce au soutien de la CGT, il est libéré faute de preuves. C’est alors qu’il va monter au maquis de la wilaya IV dont la direction comprend plusieurs syndicalistes de la CGT (voir au nom d’Ahmed Bouguerra* et Djilali Bounaama*) ; il devient officier aux côtés du commandant Si Sadek (Slimane Dehiles) qui est passé lui aussi par l’émigration en France.

C’est le commandant Si Sadek qui lui apprend les arrestations en France de dirigeants de la Fédération de France du FLN. "Qu’est-ce qu’on peut faire ?" demande-t-il, et Rabah Bouaziz aurait répondu  : "je ne sais pas moi, il faut structurer". Ce préalable et le terme même sont caractéristiques de la formation à l’école du "mouvement ouvrier", syndicat et parti, et passera en Algérie à l’État-parti FLN. En tout cas, Si Sadek revient quelques jours après, d’une réunion à Alger avec Ramdane Abane* ; il a mission de trouver des volontaires pour"prendre des risques" à la Fédération de France (entretien de 2007 cité par Linda Amiri). Rabah Bouaziz va rencontrer R. Abane* à Alger, qui le charge de développer en France, l’Organisation spéciale (OS clandestine) de la Fédération FLN.

Au printemps 1957, Rabah Bouaziz est à l’œuvre, organisant les groupes de choc, avec un sens rigoureux du secret, et les éliminations, expéditives. Il débute par l’exécution à la tribune officielle du stade de Colombes aux côtés du président de la République René Coty, d’Ali Chekkal, ancien vice-président de l’Assemblée algérienne et collaborateur des autorités françaises. Il sait s’appuyer, pour l’hébergement et le transport des armes, sur les réseaux Jeanson* et Curiel* ; il conduira en août 1958, la "bataille de France", ce second front en métropole même. Il fait partie des directions successives de la Fédération de France, entre au CCE du parti FLN, s’abrite avec les autres dirigeants en République fédérale allemande puis en Suisse. Il confie à une militante aguerrie, Salima Sahraoui, qui est sa femme, la prise en charge des femmes algériennes immigrées poursuivies.

Après l’indépendance, le président Ben Bella le nomme très brièvement préfet d’Alger ; il est tenu sur la touche par l’État/FLN en recevant plus tard, au temps d’attribution des places dans les sociétés nationales, la direction de la société nationale des tanneries d’Algérie. Selon la formule de Linda Amiri, il laisse" la mémoire d’un homme de rigueur".

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article151665, notice BOUAZIZ Rabah dit Saïd [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 29 décembre 2013, dernière modification le 26 novembre 2020.

Par René Gallissot

SOURCES  : M. Harbi, Une vie debout. Mémoires politiques. Tome 1  : 1945-1962. La Découverte, Paris, 2001. — H. Hamon et P. Rotman, Les porteurs de valise. Albin Michel, Paris, 1979. — A. Haroun, La 7e wilaya  : la guerre du FLN en France, Le Seuil, Paris, 1986. — R. Muelle, La guerre d’Algérie en France, Presses de la Cité, Paris, 1994. — D. Djerbal, L’Organisation Spéciale de la Fédération de France du FLN. Histoire de la lutte armée du FLN en France (1956-1962). Éditions Chihab, Alger, 2012. — Linda Amiri, La Fédération de France du Front de libération nationale (FLN). Des origines à l’indépendance (1926-1962). Thèse, Institut d’Études politiques de Paris soutenue le 5 juin 2013.

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