BRIKI Yahia [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né le 9 juillet 1931 à Timezrit (un village entre Akbou et Béjaia, Algérie) ou à Béjaia (nommée Bougie selon les sources), mort le 13 juillet 1988 à l’hôpital La Tour à Genève (Suisse) ; journaliste d’Alger Républicain, membre des commandos communistes du Grand Alger en 1956 ; arrêté et condamné à mort, soutenu par sa femme Djamila qui a fait le récit de son passage de femme cloîtrée au foyer, aux manifestations de rues ; haut fonctionnaire de l’Algérie indépendante.

Le père, Mohamed Briki, tenait une épicerie à Timezrit, un village près d’Akbou où naquit Yahia Briki en 1931. Ce père était protestant. Il était allé en France et aurait suivi des cours de théologie chrétienne, mais c’est peut-être une légende familiale.
Après l’école primaire française, Yahia Briki fréquenta les lycée mais dut interrompre sa scolarité secondaire au bout de deux ans pour assurer sa subsistance. Comme il savait bien lire et écrire, il aidait les travailleurs des mines de fer de Timezrit à demander leurs droits syndicaux.

Au début des années 1950, Yahia Birki entra à Alger Républicain et prit de plus en plus de place à la rédaction ; avec Roland Rhaïs, il montait la page 1 et il devint secrétaire de la rédaction en 1953. Ce « géant frisé » se maria le 24 mai 1951 à une jeune femme d’à peine plus de 20 ans presque jamais sortie seule dans la rue, et père de trois enfants. Djamila Boumediene née en 1935 à El Biar (banlieue d’Alger), venait d’une famille politisée où on lisait Alger républicain.

Dès les débuts de l’insurrection du 1er novembre, il était en contact avec la direction FLN à Alger et mobilisa autour de lui des camarades communistes et des syndicalistes sûrs de l’UGSA-CGT comme M’Hamed Hachelaf. En liaison avec le FLN, il organise avec Abdelkader Guerroudj (dit Djillali), les groupes de choc du Grand Alger ( Est d’Alger, Hamma, Hussein-Dey). On leur doit l’incendie spectaculaire des Bouchonneries de liège en 1956 ; Yahia Briki participa directement au mitraillage de représailles contre le bar et le cinéma Rex d’Biar, propriétés de Gérard Étienne qui fut tué ; celui-ci était le beau-fils, ultra colonialiste, du maire d’El Biar. Ce groupe de choc comprenait leur copain communiste, Fernand Iveton qui travaillait à l’usine EGA du Hamma ; le jeune homme fut chargé de faire exploser deux bombes, sans danger pour les travailleurs en les plaçant sur les conduites de gaz extérieures. L’échec de l’opération qui valut l’exécution pour l’exemple, du "communiste européen", Fernand Iveton, et l’arrestation d’A. Guerroudj*, marqua aussi la dispersion du groupe dont certains gagnaient le maquis. Il participa, comme chef de commando, à une tentative d’attentat contre le général Massu.

Pour sa part, Yahia Briki fut arrêté en décembre 1956, condamné aux travaux forcés à perpétuité en décembre 1957 et condamné à mort dans un deuxième procès en mars 1958. Rejugé après un recours en cassation, condamné à nouveau à mort le 8 janvier 1959, le jour où De Gaulle, nouveau président de la République annonçait l’amnistie des condamnés à mort, il ne fut gracié que le 12 avril 1959, trois mois plus tard.

Dans son entretien avec Danielle Djamila Amrane-Minne* (cf. Sources), sa femme Djamila raconte l’horreur des visites à la prison Barberousse (une fois tous les 15 jours) et des déplacements au Tribunal militaire. Les condamnés à mort venaient au parloir  : "les chaînes aux pieds et aux mains, portaient un costume spécial avec un numéro marqué dans le dos, avaient la tête rasée, tout à fait rasée". Sauf punition. "Nous nous sommes toutes regroupées, femmes, mères des condamnés à mort et aussi des autres détenus. Nous avons manifesté devant la prison et nous sommes parties toutes ensemble jusqu’au Gouvernement général pour réclamer le droit de visite. Et nous avons obtenu que la punition, qui était de trois mois, soit levée…". Les exécutions étaient affichées le matin sur une fiche blanche accrochée à la porte. "Nous n’étions jamais prévenues, il fallait aller lire les noms sur la porte. C’était la chose la plus horrible. Et l’eau ! … Quand il y avait plein d’eau devant la porte, c’était parce qu’ils avaient nettoyé le sang à grande eau avec un tuyau".

Après la grâce, les condamnés furent envoyés à la prison disciplinaire de Berrouaghia, dans le froid de l’hiver en montagne. À nouveau privés de visite par punition. "Nous nous sommes mises à manifester en criant devant la porte de la prison…, il y avait beaucoup de femmes. De la caserne, à côté de la prison, les militaires ont lâché les chiens sur nous… Nos voiles ont été déchirés par les chiens, mais nous n’avons pas bougé….". De retour à Alger, "nous avons fait des pétitions… Puis, toutes ensemble, trois à quatre cents femmes, nous sommes allées porter notre pétition à la direction générale des prisons au Gouvernement général…".

"Au bout d’une année, Yahia a été transféré en France et je ne l’ai plus revu jusqu’à l’indépendance". On comprend que les femmes se soient jointes aux manifestations de rues de décembre 1960. "Elles se sont retrouvées comme ça, des jeunes filles, des moins jeunes, des vielles, une foule immense de femmes voilées, dévoilées, le voile tombait, la voilette tombait…". Et d’ajouter qu’à l’indépendance les rapports dans le couple "ont changé" ; la femme montrait à l’homme qu’elle "pouvait l’aider et militer tout en s’occupant des enfants". Le couple eut encore trois enfants.
Après l’indépendance, il fut nommé directeur de Cabinet du préfet d’Alger, poste qu’il perdit lors du coup d’Etat de 1965. Il travailla lors comme directeur du centre familial de Ben Aknoun, puis il devint chef du Fonds national de sécurité sociale, poste qu’il occupa pendant deux ans. En 1968, il reprit des fonctions politiques auprès du ministre Mohand Said Mazouzi et fut nommé secrétaire général du ministère du travail et des affaires sociales. En 1973, il fut nommé administrateur chargé des affaires concernant l’OIT à la mission permanente de l’Algérie, où il se vit conférer le rang de ministre plénipotentiaire en 1978. A l’Organisation internationale du Travail, on se souviendra surtout de M. Yahia Briki pour le rôle décisif qu’ il a joué dans les négociations relatives à la réforme de la structure de l’Organisation. Une réglementation porte d’ailleurs le nom de "loi Birki".
A partir de 1973, il assista régulièrement aux sessions de la Conférence internationale du Travail en qualité de membre de la délégation gouvernementale de son pays et, finalement, de 1983 à 1987 en qualité de délégué de l’Algérie à la Conférence internationale du Travail : M. Briki fut également représentant du gouvernement de l’Algérie au Conseil d’administration du BIT au cours des années 1981 à 1987, et il fut désigné Comme membre gouvernemental de la délégation du Conseil d’administration à la douzième Conférence des Etats d’Amérique Membres de l’OIT qui s’est tenue à Montréal en 1986. Il avait quitté ses fonctions gouvernementales pour prendre sa retraite à la fin de 1987.
Il rentra en Algérie en 1985 mais mourut à Genève en juillet 1988.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article151750, notice BRIKI Yahia [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 30 décembre 2013, dernière modification le 15 janvier 2024.

Par René Gallissot

SOURCES  : B. Khalfa, H. Alleg, A. Benzine, La grande aventure d’Alger Républicain. Messidor, Paris, 1987. — Témoignage de M. Hachelaf, août 1991, B. Bourouiba, Les syndicalistes algériens, op.cit. — Témoignage de Djamila Briki dans Danièle Djamila Amrane-Minne, Des femmes dans la guerre d’Algérie. Karthala, Paris 1994. — Notes de ses enfants (Adrien Manteuffel, Sohaneb So) — BIT, Conseil d’Administration du 14-18 novembre 1988, Dix-neuvième question à l’ordre du jour : Nécrologie de M. Yahia Briki.

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