CARACENA [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Fils d’anarchiste catalan arrivé en Algérie avant 1914, principal initiateur au communisme à Tizi-Ouzou en Kabylie dans sa boutique-atelier de sandalier ; quitte l’Algérie en 1964.

Quand, pour la rentrée d’octobre 1935, le jeune instituteur communiste Gaston Donnat* est nommé à Tizi-Ouzou, il demande l’adresse de camarades de la ville à Barthel* (J. Chaintron), l’instructeur auprès de la Région communiste ; sans hésiter celui-ci l’envoie chez Caracéna. Dans une boutique-atelier, celui-ci travaillait le cuir et fabriquait et vendait principalement des sandalettes avec ses deux fils pour toute main d’œuvre car, malgré la forte demande, il se refusait à embaucher des ouvriers pour ne pas avoir à les exploiter. « Le petit magasin atelier était un véritable club. Il ne se passait pas un jour sans qu’un ou plusieurs sympathisants ou camarades viennent s’y asseoir pour y discuter, commenter les nouvelles, se procurer La Lutte sociale ou des brochures…ce qui était dit allait se répercuter parfois jusque dans les villages lointains du Djurdjura. »

« Tous les dirigeants du mouvement communiste algérien sont passés chez le père Caracéna, y ont été hébergés : Benali Boukhort, Bartel, Djemad, Amar Ouzegane, Larbi Bouhali… » . G. Donnat va y rencontrer Albert Camus logé là en venant prendre la parole à un meeting du Front populaire en 1936, et bien d’autres envoyés d’Alger, et les élèves instituteurs et instituteurs kabyles Senhadj et Métref qui collabore à La Voix des humbles la revue des « instituteurs d’origine indigène », en plus de fonctionnaires et employés européens souvent francs-maçons, des syndicalistes algériens cheminots ou postiers, et l’avocat kabyle Ouahyoun. C’est de chez le père Caracéna que l’on part coller des affiches, distribuer les tracts, c’est là que se préparent les rassemblements de Front populaire avant de monter dans les bourgades de montagne et de porter la parole jusqu’à Bord-Bou-Arreridj. On comprend « l’hostilité quasi générale des Européens » contre cet anarchiste et ce communiste.

Il y avait des deux chez cet homme qui a toujours conservé sa carte du « parti », PCF et PCA. Son père avait dirigé en Espagne, à la fin du XIXe siècle, la prison d’Elche ; à travers les troubles de l’agitation ouvrière et anticolonialiste et les secousses de la monarchie (le mouvement culminera en 1909 et sera écrasé dans l’horreur de la répression lors de la semaine sanglante de Barcelone) , il avait ouvert la porte de la prison aux prisonniers qu’il jugeait abusivement condamnés. La famille était venue s’installer en Algérie. A. Tizi-Ouzou avant 1914, ayant établi son atelier de cuir, le fils adhère à la SFIO ; artisan de métier, il lit toutes les brochures révolutionnaires. Il poursuit cet engagement à partir de 1920 en étant communiste ; sa boutique est un refuge quand sévissent les recherches policières à la fin des années 1920 et encore en 1934. Après le rôle central joué au temps du Front populaire et tout en étant partie prenante aux heures publiques après 1944-1945, sa maison demeure l’abri du PCA, interdit en 1939 et à partir de 1955. C’est « avec d’immenses regrets » qu’il se résigne à quitter l’Algérie en 1964 « Il s’éteindra à Aix-en-Provence à l’âge de quatre vingt cinq ans avec sa carte du PCF dans la poche ».

Son progressisme qui se réclamait de la science et de l’émancipation du prolétariat lui avait fait donner à ses fils les noms de Marceau et d’Univers et celui de Liberté à sa fille. C’est chez le père et camarade Caracéna que l’instituteur Gaston Donnat* rencontre cette Liberté Caracéna qui devient à vie sa compagne, pensant à chaque étape au retour à Tizi-Ouzou. Au travers l’itinéraire africain et métropolitain du futur conseiller de l’Union française, l’attachement à l’Algérie demeure aussi fort que l’engagement communiste.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article151966, notice CARACENA [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot , version mise en ligne le 5 janvier 2014, dernière modification le 5 janvier 2014.

Par René Gallissot

SOURCES : G. Donnat, Afin que nul n’oublie. L’itinéraire d’un anticolonialiste. Algérie-Cameroun-Afrique. L’Harmattan, Paris 1986.

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