RECLUS Élisée [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né le 15 mars 1830 à Sainte-Foy-la-Grande en Gironde (France), mort le 4 juillet 1905 à Tourout près de Gand (Belgique) ; anarchiste coopérateur, combattant de la Commune de Paris ; transmettant des idées communistes anarchistes à son gendre Paul Regnier* organisateur du phalanstère de Tazrout près de Ténès, et son neveu Jean-Pierre Faure*, un des fondateurs d’Alger Républicain ; auteur de la Géographie universelle et de La Terre et des hommes qui anticipent la fin de la colonisation.

Non seulement la famille Reclus est une famille pénétrée de religion chrétienne protestante, rigoriste, mais c’est une famille de pasteurs ; le père est pasteur à Sainte-Foy-la-Grande qui reste le berceau et la retraite familiale ; Élie Faure, l’historien d’art, neveu des frères Reclus, naît à Sainte-Foy-la-Grande. Cependant seule une sœur, Noémi, épousera un pasteur ; parmi les cinq frères, l’ainé, Armand Reclus, officier de la marine de guerre, « la Royale », incarnera les idées de la droite militaire ; il finira à la ligue d’Action française. Les autres frères ont abandonné les études de pasteur, perdant la foi, ils sont passés aux idées libertaires, francs-maçons ; en toute rigueur. Ils changent leurs prénoms chrétiens, pour des prénoms plus œcuméniques ; Jean-Pierre, Michel devient Élie Reclus et Jean, Jacques : Élisée Reclus.

Républicains révolutionnaires en 1848, Élisée et Élie Reclus doivent s’exiler après le coup de force de 1851 du Prince-président qui deviendra Napoléon III. Élisée Reclus est d’abord un grand voyageur scientifique, pour découvrir les sociétés humaines ; il est aussi partisan d’établir des « colonies agricoles communistes » ; il fait une expérience en Colombie en 1853-1854. De retour en France en 1858, il épouse à Sainte-Foy-la-Grande, une jeune femme née à Saint-Louis du Sénégal en 1832, Clarisse Brian, qui était la fille d’un officier de marine marchande et d’une « mulâtresse » selon les catégories du racisme colonial. Elle mourra à son troisième accouchement en 1869. En 1860, il est en Italie avec Garibaldi. En 1863, Élie et Élisée fondent avec le gendre du communiste utopiste Cabet, une Société du crédit au travail ; ils feront plusieurs tentatives d’associations coopératives.

Après avoir rencontré l’anarchiste Bakounine, les deux frères participent à l’Alliance de la Démocratie socialiste qui est liée à la 1re Internationale ; Élisée Reclus assiste au moins à une assemblée de l’Internationale en 1869. Mais le Conseil général sous l’influence de Karl Marx fait sortir de l’Internationale, Bakounine et ses partisans. Élisée Reclus est un combattant communard dans la Compagnie des aérostiers aux côtés de son ami le savant photographe Nadar. Le Conseil de guerre condamne Élisée Reclus en 1872 à la déportation, peine commuée en 10 ans de bannissement. Il tourne dans le monde, mais s’établit principalement en Suisse, et y revient même après avoir été gracié en 1879. Sa seconde femme installe une grande maison à Clarens qui devient le lieu de rencontre et de séjour des anarchistes, à commencer du russe Kropotkine et des partisans de la Fédération jurassienne. Le fils d’Elie Faure, Jean-Pierre Faure*, petit-fils d’une sœur Reclus, y rencontrent les sœurs et filles Reclus ; le camarade de Paul Reclus, fils d’Elie, Paul Régnier* y connaît Magali Reclus, fille d’Elisée et de Clarisse Reclus.

Les idées libertaires d’Elisée Reclus s’universalisent ; il soutient la Société de revendications des droits des femmes ; défend le mariage libre ; se solidarise avec les luttes d’indépendance ; il est profondément internationaliste en précisant : l’indépendance nationale est la première étape de l’indépendance humaine. Se définissant comme « communiste anarchiste », il conteste aussi bien le patronat que l’État et plaide pour l’organisation libre du travail. Aussi est-il attentif à l’expérience près de Ténès que tentent Paul Régnier* et Magali Reclus, sa fille. Il est heureux de séjourner à Tazrout en 1891 et de voir son neveu André Reclus partir lui aussi pour le Dahra. Cependant il perd quelque illusion sur l’exemplarité des colonies anarchistes ; en 1900, il écrit ainsi : « il ne faut nous enfermer à aucun prix, il faut rester dans le vaste monde pour en recevoir toutes les impulsions, pour prendre part à toutes les vicissitudes et en recevoir tous les enseignements. » ( Les Temps-Nouveaux, 7-13 juillet 1900).

Après la publication de la Géographie universelle de 1875 à 1894, établi en Belgique auprès de sa 3e femme, et enseignant à Bruxelles, Élisée Reclus prépare la grande oeuvre de synthèse L’Homme et la terre que publie de sa mort en 1905 à 1908 son neveu Paul Reclus. Sur le mode américain, il évoque l’avènement d’un « nouveau peuple algérien indépendant » ; s’il parle de « destin indépendant », c’est sur le mode de « la sécession » des colonies anglaises d’Amérique. Son rationalisme sociologique le détourne des interprétations par le choc des religions : « Si jamais le panislamisme devait de l’Indus à l’Adriatique et du Nil à l’Atlantique, se dresser devant l’Européen, cela serait un épisode de la guerre éternelle de l’exploité contre l’exploiteur et non celle du mahométan contre le roumi. »

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article152047, notice RECLUS Élisée [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 7 janvier 2014, dernière modification le 28 mai 2019.

Par René Gallissot

SOURCES : Notices Reclus (Élie, Élisée, Paul) dans Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, op.cit., t. 8 et 15. –P. Reclus, Les Frères Élie et Élisée Reclus ou du Protestantisme à l’Anarchisme. Paris, 1964. –H. Sarrazin. Élisée Reclus ou la passion du monde. Editions du Sextant, Paris, 2004.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable