Par René Gallissot
Né à Saint-Senous (Ille et Vilaine, France) le 10 janvier 1858, mort à Alger en 1938 ; marié dans la famille Reclus*, ingénieur, organisateur de la ferme « phalanstère » créée à Tazrout près de Ténès dans la dernière décennie du XIXe siècle.
Le père de Paul Regnier est né dans la pauvreté puis gagne de l’argent dans la construction des chemins de fer en France, notamment par la réalisation des ouvrages d’art. Paul Regnier, son fils, fait d’abord des études d’architecte puis d’ingénieur ; d’idées anarchistes, au début des années 1880, il fréquente la maison des Reclus à Clarens en Suisse, rencontre le prince Kropotkine, devient l’ami de Paul Reclus, fils d’Elie Reclus, ingénieur très lié lui aussi au mouvement anarchiste. Il fait un mariage libre, déclaré ensuite civilement, avec la fille aînée d’Elisée Reclus* et de Clarisse Brian, fille de mulâtresse peule sénégalaise (le père était officier de marine marchande), Magali Reclus. Après un voyage à Alger en 1880, le couple s’installe à Alger en 1884 ; il habite Mustapha. Paul Régnier, ingénieur architecte travaille à l’aménagement de la ville nouvelle. Il achète bientôt des terres à Tazrout près de Ténès, au bout d’un chemin muletier qui monte d’un étroit fond de vallée vers les pâtures et forêts du massif du Dahra. Il veut en faire un phalanstère, mais tout anarchiste qu’il soit, il apparaît plutôt comme un « chef de phalanstère », « un producteur saint-simonien », ingénieur organisateur d’un domaine expérimental où le travail et la rémunération sont partagés.
Il construit l’habitation et fait monter des bâtiments préfabriqués pour les ouvriers traités sans discrimination. Un barrage établi sur l’oued permet des cultures irriguées sur 6 à 8 hectares en fonds de vallée, « le potager », qui nourrit la communauté. Les défrichements s’élèvent sur les pentes du Dahra pour étendre le vignoble ; le domaine atteindra la centaine d’hectares. Pour livrer le vin au port de Ténès, le chemin muletier est carrossé. L’ingénieur veille sur la cave viticole ; le savant innove en créant une distillerie de géranium. De jeunes anarchistes arrivant en Algérie viennent user leur enthousiasme au travail à Ténès ; Paul Régnier écarte ceux qui n’ont pas « l’esprit de Tazrout ».
Élisée Reclus aime venir en 1891-1892 à Tazrout pour guérir de bronchite ; l’ingénieur Paul Reclus, recherché comme « ingénieur des poudres » après les attentats anarchistes de Paris en 1894, notamment la bombe au parlement posée par son ami Vaillant, vient se réfugier à Tazrout pour échapper aux poursuites. Des membres de la famille Reclus établissent des fermes dans les environs ; la ferme d’André Reclus, autre fils d’Elie Reclus, survivra à son départ au Maroc (mort à Marrakech en 1936). Il y avait encore un Reclus agriculteur, suspect aux yeux des colons voisins, et ami du Docteur Masseboeuf*, la grande figure communiste de Ténès, quand se met en place le maquis du Dahra dans la guerre de libération en 1955-1956.
Pour ce qui est du domaine de Tazrout, Paul Regnier en confie la gestion à ses gendres en liaison avec son fils Jacques*. Vers la cinquantaine, il se réserve aux travaux d’architecture à Alger, tout en entretenant les contacts avec les familles Reclus et la famille alliée d’Elie Faure (cf. Jean-Pierre Faure* qui fut un des administrateurs d’Alger républicain).
Par René Gallissot
SOURCES : Notices Reclus (Élie, Élisée, Paul) dans Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, op.cit., t. 8 et 15. -M. Martini, Chroniques des années algériennes. 1946-1962. Bouchène, Saint-Denis, 2002. - –Hélène Sarrazin. Élisée Reclus ou la passion du monde. La Découverte, Paris 1985.