Par René Gallissot
Né le 26 août 1918 à Cherchell ; à partir de 1945 activiste communiste de la syndicalisation des ouvriers agricoles de la Mitidja et des luttes paysannes dans le massif du Chenoua et au delà ; entré en 1949 au Comité central du PCA ; envoyé comme responsable politique au maquis des Combattants de la libération au-dessus d’Orléansville (Chlef) en avril 1956 échappant à l’extermination le 5 juin 1956 ; intégré à la Wilaya 5 (Oranie) puis basé au Maroc.
Né dans une famille de propriétaires paysans aisés sur le territoire de la commune de Cherchell, dans son autobiographie écrite à Moscou en octobre 1961, Mustapha Saadoun emploie la formulation, plus conformiste, de fils de "petit paysan". Il a une bonne formation scolaire enrichie d’une expérience des réalités de la vie montagnarde sur les versants du Chenoua et du travail agricole sur les fermes de la Mitidja. S’il est un costaud infatigable, il possède également une certaine liberté de jugement et de parole, jamais dupe des discoureurs, dévots et matamores. La famille comprend 6 frères ; 3 sont au PPA, le parti nationaliste et 3 au PCA. Un frère handicapé est à Cherchell, le diffuseur des journaux et de la presse progressiste, et aussi sa source d’informations sur ce qui se passe dans la ville et la région.
C’est après la rectification de la ligne communiste violemment antinationaliste de 1944-1945, qui se traduira en 1946 par la mise à l’écart d’Amar Ouzegane*, que Mustapha Saadoun adhère au PCA. Il entre au Comité central du PCA en juin 1949 (Ve congrès). Il sera longuement de 1950 à 1955, le premier secrétaire de l’Union démocratique des Jeunes, souvent à Alger, mais tient aussi des réunions à la ferme familiale, au grand dépit du père.
À partir de 1947, il prend toute sa mesure dans la formation des groupes de paysans sous l’impulsion du PCA dans les massifs du Chenoua et du Dahra allant jusqu’à Ténès et à la vallée du Chelif où il donne la main à l’action de M. Marouf* autour d’Orléansville (Chlef) et d’Ahmed Keddar* à Duperré (Aïn Defla). Les luttes et grèves les plus vigoureuses qu’il anime sont cependant celles des ouvriers agricoles sur les fermes de la Mitidja qu’il entraîne au syndicat CGT. Pourchassé au début de 1950, abrité par la population, il finit par être arrêté à Marengo (Hadjout) et envoyé à la prison de Blida. Il s’y trouve au milieu des emprisonnés de l’OS, l’organisation spéciale du MTLD, entre autres ceux qui ont monté le hold-up sur la poste d’Oran dont Ahmed Ben Bella ; il se sent à distance du discours purement nationaliste qui tourne à l’exclusivisme communautaire. Il est libéré après une lourde condamnation à 5 000 francs d’amende. Sur ces rapports avec les nationalistes, son autobiographie n’est qu’allusive.
En 1951, il est appelé à Alger par la direction du PCA un peu comme l’homme de terrain à tout faire, s’occuper des Jeunesses démocratiques, des manifestations contre la guerre du Vietnam, des ouvriers agricoles, et même du renouvellement par algérianisation, de la CGT des cheminots. Partisan de l’insurrection armée mais au titre du parti, comme Abderrahim Boudiaf* qui va gagner la vallée du Cheliff, il ne comprend pas les détours de la direction du PCA avant d’opter pour l’action armée. Après la réunion du Comité central du PCA à laquelle il assiste à Bab-el-Oued à la fin juin 1955 qui prend la décision d’organiser des groupes de Combattants de la libération, se faisant clandestin, il gagne la montagne pour rapprocher paysans et mineurs dont il connaît les points d’ancrage du Dahra au Chelif, mais il n’arrive guère avoir des contacts suivis ni avec l’ALN encore peu présente, ni avec des dirigeants communistes qui tardent à passer à l’action.
Quand à partir de Blida puis d’Orléansville, le PCA fait les préparatifs du maquis de l’Ouarsenis pour peser sur les négociations avec le FLN, c’est le docteur Masseboeuf* de Ténès qui vient chercher, en avril 1956, et convoyer Mutapha Saadoun qui est désigné pour être le responsable politique chargé notamment de tempérer les ardeurs combatives de Maurice Laban* ou les réticences du docker oranais Mohammed Boualem* qui se demande ce qu’il fait là. Il peut gagner des appuis paysans que doit fournir Ahmed Keddar* depuis les villages du Chelif. Le responsable militaire est Hamid Gherab* et les huit maquisards finissent par recevoir quelques armes et munitions du stock détourné par Henri Maillot* qui a rejoint le groupe. Il semble que ce soit Abdelkader Babou* en liaison avec les dirigeants du PCA qui décide, comme preuve d’action, de la descente le 4 juin 1956 sur un café maure de la vallée pour exécuter quatre « traîtres » notoires, collaborateurs de l’armée française. Les récits ne citent pas M. Saadoun comme participant de l’opération ; en réserve ?
Sautant dans un fourré, Mustapha Saadoun échappe au mitraillage des soldats français qui attaquent le petit groupe le matin du 5 juin. Il y aura deux autres rescapés, M. Boualem* et Hamid Guerab* qui se cachent et partent de leur côté. Tout au long des journées de déplacement des maquisards, M. Saadoun avait prouvé qu’il était le meilleur marcheur et ses facultés d’adaptation au relief. Dans son autobiographie de 1961 à Moscou, il passe très vite sur cet épisode aventureux du "maquis rouge".
Après l’accord entre le PCA et le FLN sur l’intégration individuelle des communistes dans l’ALN, Mustapha Saadoun entre non pas dans la Wilaya IV de l’Algérois où les combattants communistes sont actifs, mais il est placé dans la Wilaya 5 d’Oranie où les communistes sont sous surveillance. Certes il reçoit le grade d’adjudant et se trouve un temps chef de secteur, mais au début de 1959, il est replié sur la base Ouest de l’ALN au Maroc, dans la région d’Oujda. La première année, il cherche à se lier avec les ouvriers agricoles syndicalistes, et en 1960, comme il l’écrit : "mes efforts ont été consacrés pour sortir du Maroc et se mettre à la disposition du parti" ; c’est au titre du PCA qu’il est à Moscou en 1961.
Avec l’indépendance, il revient à Alger ; arrêté puis relâché dans l’été 1962 à l’heure des « marsiens », les ralliés au FLN après le cessez-le feu de mars 1962, il pratique ce qu’il appelle « la piochothérapie », faisant son retour à la terre en plantant son domaine au pied du Chenoua. Avec humour, il témoignera de son « rève algérien » corrigé par le réalisme du propos dans le film des retrouvailles autour d’Henri Alleg* tourné par Jean-Pierre Lliedo en 2003.
Par René Gallissot
SOURCES : Arch. Outre-mer, Aix-en-Provence, F161, 165. – Autobiographie écrite à Moscou le 15 octobre 1961, RGASPI 495 189 89. – Le Travailleur algérien, 1947-1955. – Entretiens de J-L. Planche avec R. Hannon*, Paris, 1987 et R. Zaquin, Murviel-lès Béziers, 1989.– N. Benallègue-Chaouia, Algérie. Mouvement ouvrier et question nationale, op.cit. – J-L. Einaudi, Un Algérien Maurice Laban. Le cherche midi éditeur, Paris, 1997. – S. Kastell, Le maquis rouge. L’aspirant Maillot et la guerre d’Algérie. 1956. L’Harmattan, Paris, 1997. – Entretien avec Mustapha Saâdoun, El Watan, 9 avril 1998. . – Intervention dans Un Rève algérien, film de Jean-Pierre Lliedo, 2003. – H. Alleg, Mémoire algérienne. Stock, Paris, 2005