Par René Gallissot
Né le 22 août 1929 à Géryville (El Bayadh), bourgade d’Oranie, ; émigré à l’usine Peugeot de Sochaux, une base du PPA-MTLD ; en liaison avec la CFDT, en devient le correspondant pour l’Amicale des Travailleurs Algériens en France en 1957-1958 ; au secrétariat de l’UGTA à Tunis, pressenti pour diriger l’École des Commissaires politiques du FLN ; après l’indépendance, au secrétariat national de l’UGTA en 1963 puis ministre du travail en 1964.
Voir : Algérie : Engagements sociaux et question nationale. De la décolonisation à l’indépendance, de 1830 à 1962, sous la direction de René Gallissot, Éditions de l’Atelier, 2006.
Fils d’un capitaine de l’armée française alors en retraite, on ne sait où et jusqu’où, Boudissa Safi fait des études en français, peut-être dans l’armée française. En tout cas, à la fin de la seconde guerre mondiale en 1944-45, il est secrétaire-interprète, ce qui indique aussi une connaissance de l’arabe algérien, au service de l’armée de l’air française à la base aérienne de Blida. Son frère Bensalah Safi* (ci-dessus) est syndicaliste CGT à l’hôpital psychiatrique.
L’armée coloniale est aussi une préparation à l’émigration. En 1948, B. Safi est employé aux usines Peugeot de Sochaux, au sud de Belfort dans l’Est de la France où l’implantation du PPA-MTLD est ancienne. Il aurait appartenu à la CGT selon son propre témoignage recueilli par Mohamed Farès* ; il n’est pas ouvrier mais fait fonction d’interprète. Ses penchants religieux, déjà connus, lui vaudraient une certaine bienveillance venant du paternalisme chrétien de la famille Peugeot qui aime mieux voir en leurs ouvriers, des « musulmans » que des syndicalistes rouges. En 1949, il est de retour à Blida, et s’engage plus encore auprès du MTLD ; il exerce pour ce parti, les fonctions de commissaire de groupe aux Scouts Musulmans Algériens, autant dire le mouvement de jeunesse recrutant parmi les scolaires et lycéens. En 1951-1952, il est poursuivi trois fois pour « activités anti-françaises », le motif automatique de répression. Dans la crise du MTLD, il suit le courant informel impulsé par Ahmed Mahsas proche de Ben Bella, qui navigue entre Messali* et les leaders du Comité central, et se déclare « véritablement neutre ». Cependant la rupture avec Messali, qu’il rencontre à Niort en France en février 1954, semble consommée, car il est sanctionné pour travail fractionnel. Boudissa Safi passe assez rapidement au FLN.
En France, il apparaît comme un cadre nationaliste disponible pour prendre des responsabilités à la direction de l’AGTA, d’autant qu’il a des liens avec la CFTC attentive en syndicat d’inspiration religieuse, à recruter des correspondants musulmans. B. Safi suit ainsi une formation syndicale à la maison des stages de Bierville en Seine et Oise. L’Amicale des travailleurs algériens est créée en 1957 pour n’avoir pas à opposer, alors que le conflit est déjà suffisamment dramatique entre FLN et MNA, l’extension en France de l’UGTA au risque de perdre l’appui des syndicats français, à l’USTA, le syndicat messaliste. Mohammed Harbi* a fini par convaincre le responsable de la Fédération de France que fut un moment, Mohammed Lebjaoui*, de constituer une Amicale et non pas un syndicat, pour permettre la double appartenance au FLN et au syndicalisme français, principalement à la CGT à partir de la Commission nord-africaine dirigée par Omar (Saïd) Belouachrani*. L’AGTA s’adresse aux autres syndicats ouvriers français et en particulier à la CFTC dont l’aile minoritaire est favorable à une solution négociée pour mettre fin à la guerre en Algérie. C’est ce courant qui formera plus tard la CFDT.
Lors de la constitution du secrétariat général de l’AGTA en février 1957, Boudissa Safi est chargé d’assurer les liaisons avec la CFTC. Il travaille en coordination avec M.Farès* abrité lui aussi par la CFTC pour tenter de publier en France L’Ouvrier algérien. Pour échapper à la répression policière, Boudissa Safi passe à Tunis en 1958 et fait partie du secrétariat de la délégation syndicale de l’UGTA, pour laquelle il fait plusieurs missions internationales et supervise la mise en place de maisons d’enfants en Tunisie et au Maroc. Il est pressenti en 1959 pour prendre la direction de l’école des Commissaires politiques du FLN, mais le projet tourne court d’autant qu’il est soupçonné de pousser en avant les officiers qui viennent de l’armée française. L’avenir est bien plutôt d’être un homme du FLN à l’UGTA ; il est membre de la Commission exécutive du parti.
À l’indépendance en Algérie, Boudissa Safi, à l’exemple tunisien de l’UGTT qui s’appuie sur le contrôle de coopératives, lance l’UGTA à Blida et sa région vers la gestion d’un secteur coopératif propre au syndicalisme et par là, lieu de rente de placement, qui prend le nom de coopératives Aïssat Idir. Lors de la prise de direction de l’UGTA au congrès de janvier 1963 à Alger, par l’équipe Ben Bella, Boudissa Safi est propulsé au secrétariat national de l’UGTA. En 1964, il devient ministre du travail. Pour prendre ses distances avec la Charte d’Alger qui engage le FLN vers les nationalisations socialistes, il tient à condamner le marxisme et la lutte de classes. « Pourquoi tout ce bruit autour de la lutte de classes ? Cette marchandise importée de Marx et de Lénine n’a pas de place dans l’Algérie musulmane qui s’est confiée au destin et à la Présidence de Dieu. Notre socialisme arabo-musulman refuse la lutte de classes, interdit l’abolition des classes, respecte la propriété privée. » (Révolution et Travail, édition en arabe du 26 octobre 1964). A l’écart ensuite, il n’en gère pas moins des biens agricoles à Ksar Chellala dans la région de Tiaret.
Par René Gallissot
SOURCES : B. Stora, Dictionnaire biographique des militants nationalistes algériens, op.cit -Entretiens avec Boudissa Safi rapportés par M. Farès, Aïssat Idir, op.cit. – M. Harbi, Une vie debout. Mémoires politiques. Tome 1 : 1945-1962. La Découverte, Paris, 2001. F. Weiss, Doctrine et action syndicale en Algérie. Cujas, Paris, 1970. – « Ministre en 1964 et agriculteur dans l’Algérie de 1992 », entretien de Boudissa Safi réalisé par Mohamed Zaoui, El-Khabar (quotidien de langue arabe), 2 juin 1992.