SAILLEN Yvonne [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Compagne de Lisette Vincent*, institutrice communiste ayant sa propre influence par son enseignement pratiquant les méthodes Freinet, par son militantisme au Secours rouge international puis Secours populaire, par sa participation à Alger à l’action clandestine du PCA en 1941 ; condamnée au procès dit des 61 en mars 1942.

Le silence fait sur elle comme la mise à part de Lisette Vincent au PCA, tient au regard de rejet porté sur leur relation. La famille d’Yvonne Saillen est implantée en Oranie et à Alger tenant des postes dans les services coloniaux. Deux élèves d’École normale d’institutrices, Lisette Vincent à Oran et Yvonne Saillen à Alger, se rencontrent en 1928 dans un stage à l’École ménagère d’Alger ; elles ont vingt ans et à 5 jours près, la même date de naissance (avril/mai 1908) ; elles se ressemblent et se feront en clandestinité passer pour deux sœurs. Elles deviennent toutes deux institutrices selon les méthodes pédagogiques nouvelles de libre exercice et d’usage de l’imprimerie dans la classe. Yvonne Saillen enseigne à l’école de filles d’Akbou en Kabylie, s’affirmant comme communiste, ce qui lui vaut suspicions et brimades.

Les deux amies se retrouvent quand Lisette Vincent revient de la guerre d’Espagne à Paris en 1939, et toutes deux regagnent l’Algérie, refusant notamment de condamner le pacte germano-soviétique comme leur demandent des collègues syndiqués au SNI. Pour soigner Lisette Vincent et échapper à la chasse aux communistes, Yvonne Saillen prend un poste éloigné dans le Constantinois, à Berteaux près d’Aïn M’lila. C’est de là que Thomas Ibanez*, ancien socialiste et communiste oranais qui s’emploie à rétablir une organisation et une direction communiste, appelle à Alger Lisette Vincent qu’il connaît depuis Oran et par les Brigades internationales. Yvonne Saillen rejoint Alger au printemps 1941 et collabore au travail clandestin d’impression de la Lutte sociale sur la ligne de l’appel à l’indépendance de l’Algérie (voir aux noms de Th. Ibanez* et M. Laban*). Elle a des faux papiers au nom de Françoise Albertini, et Lisette Vincent au nom de Marie Versini ; elles se font passer pour deux sœurs pour leur logeuse à Fort-de-l’eau (Bordj-el-Kiffan) à l’Ouest d’Alger. Yvonne Saillen assure les liaisons avec Jacques Salort* ; il es arrêté en juin 1941 ainsi que Lisette Vincent ; Yvonne ne rejoint la prison de Barberousse qu’en août suivant.

En prison, elle est accusée de propagande communiste pour ses crayonnages sur un portrait de Pétain et des propos en secourant des détenues algériennes ; elle est envoyée plusieurs semaines au mitard dans les caves. En plus de ces dernières accusations, son dossier d’instruction comprend un numéro de la Lutte sociale tiré en mars 1941 et sa correspondance pour le Secours populaire qui succède au Secours rouge international auquel elle s’était consacrée antérieurement. Au procès des 61 (communistes) en mars 1942, cela suffit pour qu’elle soit condamnée à 10 ans de travaux forcés. Lisette Vincent fait partie des 6 condamnés à mort. Les survivants car une part sont déjà morts du typhus, sont transférés à la prison centrale de Maison-Carrée à s’attendre au pire. Une des condamnées, Isabelle Vial, « La Grande », se suicide. Les deux amies ne sont libres que le 16 mars 1943.

En juin 1944, Lisette Vincent est exclue du PCA par André Marty* tout puissant dans ses choix, vraisemblablement à la demande d’Amar Ouzegane* qu’il pousse à la direction ; elle a écrit une lettre sur le refus d‘Ouzegane de s’évader du camp de Djenien-bou-Rezg. C’est aussi le moment où Lisette Vincent va accoucher de sa fille Annie, ce qui compromet encore plus la bonne morale du parti. Les deux amies enseignent alors à Blida ; Yvonne Saillen peut accueillir dans sa classe du primaire, les quelques fillettes algériennes de la maternelle que lui envoie Lisette Vincent, ce qui n’était jamais fait pour des filles « indigènes ». Ensuite toutes deux s’installent à Air de France, qui n’est encore qu’un terrain de baraquements en haut d’Alger, en construisant et aménageant une maison. Yvonne Saillen enseigne dans une école de Bouzaréah. Après l’arrestation de Lisette Vincent le 1er juin 1956 qui la mène à l’expulsion vers la France avec d’autres instituteurs communistes, Yvonne Saillen n’est arrêtée que par la suite et retenue au centre de détention de Beni-Messous. À sa sortie, elle rejoint Lisette Vincent au Maroc indépendant.

Toutes deux reviennent à Air-de-France à l’indépendance et servent dans l’enseignement algérien. Elles se retirent pour des raisons de santé, en France dans la Drôme en 1974.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article152205, notice SAILLEN Yvonne [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 10 janvier 2014, dernière modification le 10 janvier 2014.

Par René Gallissot

SOURCES : Arch. de la Justice militaire, Le Blanc (Indre, France), dossiers du tribunal d’Alger et autres arch. citées par J-L. Einaudi, Un rêve algérien. Histoire de Lisette Vincent, une femme d’Algérie. Dagorno, Paris, 1994.

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