Par René Gallissot
Né le 1er février 1919 à Cap Matifou à l’Ouest d’Alger, syndicaliste CGT avant 1939 à l’Atelier industriel de l’Air à Maison-Carrée ; clandestin communiste arrêté en 1941, condamné en 1942 au bagne à Lambèse ; administrateur d’Alger Républicain à partir de 1950 ; arrêté en 1957, torturé et condamné ; administrateur à nouveau d’Alger Républicain en 1962.
Ayant fait des études techniques, Jacques Salort est entré à la veille de la guerre de 1939 à l’établissement de l’armée de l’air près de l’aéroport militaire, l’Atelier industriel de l’Air (AIA) à Maison-Carrée. Communiste, il milite à la CGT. Clandestin en 1940, il participe à la reconstitution d’une organisation du PCA à Alger ; il a la responsabilité du Secours populaire dont il est le trésorier, et assure des liaisons pour le Secours populaire avec Yvonne Saillen*, l’amie de Lisette Vincent* et avec le groupe de l’imprimerie clandestine autour de Thomas Ibanez*. Comme Paul Caballero*, très attaché à la ligne communiste soviétique, il ne semble pas partager les idées de l’appel à l’indépendance de l’Algérie du Manifeste du PCA et de La Lutte Sociale publiée à la fin de 1940 (cf. Maurice Laban*).
Filé par la police sur un rendez-vous avec Y. Saillen* et Ahmed Smaïli*, il est arrêté en juin 1941 ; torturé entre les mains des policiers, il est incarcéré à la prison Barberousse puis à la centrale de Maison-Carrée. Il est condamné au procès dit des 61 (communistes) en mars 1942 par le Tribunal militaire d’Alger à 20 ans de travaux forcés ; en mai 1942, il est rayé des rôles de l’AIA. Il est alors envoyé au bagne de Lambèze où se trouve déjà Messali* et bien d’autres condamnés nationalistes, voués au travail forcé. Le débarquement allié du 8 novembre 1942 ne les libère pas. Jacques Salort adresse ses plaintes contre le directeur et ses protestations aux nouvelles autorités d’Alger. En vain ; les détenus ne sortent qu’au printemps 1943.
Mobilisé en juillet dans l’armée française d’Afrique du Nord, il ne prend part aux campagnes de libération en Europe ; il retrouve ensuite comme technicien, les bureaux d’études de l’Atelier industriel de l’Air, et entre dans les services de presse communiste dont le principal journal est l’hebdomadaire Liberté. Syndicaliste CGT, il organise les techniciens et cadres Français-Européens des Ateliers de l’Air, sans grand contact avec les travailleurs algériens dont les cantines et les lieux de réunion sont distincts mais qui font nombre aussi à la CGT. L’activité nationaliste est présente par Idir Aïssat*, qui appartient aux Services de l’AIA, et par l’action de la Commission syndicale du MTLD qui maintient l’adhésion à la CGT. À l’AIA,, Jacques Salort mène campagne en 1949 contre la guerre d’Indochine, ce qui lui vaut une mise à pied doublée d’une condamnation en juillet 1950 à 15 jours de prison et 10 000 francs d’amende. Réintégré à l’AIA, il est à nouveau et définitivement suspendu en janvier 1951.
Plus encore, ses activités sont consacrées au service du PCA, au delà de ses fonctions à Liberté ; candidat présenté aux élections, secrétaire de section à Maison-Carrée (El Harrach), il devient aussi secrétaire de la région algéroise du PCA. Le directeur d’Alger Républicain, Karl Escure*, communiste venu de France, est remplacé par Henri Alleg* ; les décisions de la relève communiste sont prises le 1er novembre 1950 ; l’annonce est faite dans le journal du 1er février 1951. Sous une photo, Alger Républicain du 25 août 1951 présente la suite des changements : « Apéritif amical à Alger Républicain à l’occasion du départ de Mr André Wallaert. C’est Mr Jacques Salort qui remplira désormais les fonctions d’administrateur ». Boualem Khalfa* est devenu rédacteur en chef ; la nouvelle équipe porte le quotidien, sans cesse en mal de trésorerie, jusqu’à l’interdiction de septembre 1955.
Lourde charge assumée en conservant sa place parmi les dirigeants du PCA ; lors de la décision en juin 1955, de former des groupes de Combattants de la libération, le Comité central du PCA désigne Jacques Salort dans le comité de direction aux côtés des secrétaires du parti : Bachir Hadj-Ali* et Sadek Hadjerès*, avec Lucette Manaranche-Larribère* et Camille Larribère* comme conseiller militaire. Arrêté en mars 1957, torturé à plusieurs reprises, il relevait de la planche à tortures quand il est amené devant le Tribunal des forces armées d’Alger le 4 décembre 1957, pour le procès dit des Combattants de la libération ; il est condamné à nouveau à 20 ans de travaux forcés.
Après l’indépendance, Henri Alleg* le retrouve en juillet 1962 dans les bureaux de l’architecte Bouchama* pour sortir le nouvel Alger Républicain. Jacques Salort qui a ressorti les listes des anciens dépositaires, reprend sa tâche jusqu’à la disparition du journal au moment du coup d’Etat militaire du 19 juin 1965. Arrêté dans l’appartement encore inoccupé boulevard Mohammed V où il avait prévu d’emménager avec sa femme Rolande, il subit pour une troisième fois la torture à Alger. Né en Algérie, il partira pour la France.
Par René Gallissot
SOURCES : Arch. Outre-mer, Aix-en-Provence, F161 et 166. – Alger républicain et Liberté. – J. Merrien Alger Républicain et la politique de Front national de 1950 à 1954, mémoire de DES d’histoire, Université de Nanterre, 1967. -H. Alleg, A. Benzine, B. Khalfa La grande aventure d’Alger Républicain, Messidor, Paris 1987. -J-L. Einaudi, Un rêve algérien. Histoire de Lisette Vincent, une femme d’Algérie. Dagorno, Paris, 1994, et Un Algérien Maurice Laban. Le cherche midi éditeur, Paris, 1997. – N. Benallègue-Chaouia, Algérie. Mouvement ouvrier et question nationale, op.cit. – H. Alleg, Mémoire algérienne. Stock, Paris, 2005.