HARAIGUE Omar pseudonyme Omar Régnier surnommé Omar-Mourepiane [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né le 11 juillet 1927 à Coblence (Allemagne), mort le 16 mai 1982 à Alger ; ouvrier en France de Creusot-Loire, syndicaliste, militant de la Fédération de France du MTLD puis responsable FLN de l’Organisation spéciale pour la région Centre et Sud ; replié en Allemagne ; présenté dans les médias et recherché comme l’organisateur des sabotages exécutés par l’Organisation spéciale de la Fédération de France du FLN en 1958 ; réfugié au Maroc puis commandant des forces de police à la Casbah d’Alger dans la crise du printemps-été 1962 ; opposant ou marginalisé politiquement en Algérie après l’indépendance.

La famille Haraigue tirerait son nom du Djebel Haraigue près de Sétif. C’est la région d’origine du père, Abdallah Ben Belkacem Haraigue, présumé né au douar Zemala en 1885 ; Sétif reste le lieu de retour en Algérie avant l’établissement d’une grande part de la famille à Bougie (Bejaia). Le père s’est engagé dans l’armée française et fait la Première Guerre mondiale dans l’Est de la France contre l’Allemagne. Gazé dans la longue et terrible bataille de Verdun, après l’armistice, il suit les troupes françaises d’occupation dans l’Ouest de l’Allemagne ; il est soigné à l’hôpital. En 1920, il épouse à trente-cinq ans, une jeune infirmière allemande, de neuf ans sa cadette, Joséphine Kaiser. Les premiers enfants naissent en Allemagne : Ali en 1923 à Wiesbaden, Belkacem en 1924, et Omar donc en 1927 à Coblence. Par le père, les enfants sont Français ; la mère, Joséphine Kaiser conserve sa nationalité allemande si bien que la retraite militaire à la mort du père, en 1942 à cinquante-sept ans, ne lui sera pas reversée. La famille s’était repliée en Algérie, à Sétif puis à Bougie (Bejaïa) où naissent les autres frères et sœurs : Louise en 1930, Sadek en 1932, Zina en 1934, Rachid en 1937 ; une famille de sept enfants qui sera sur place, très sensible aux massacres coloniaux de la région de Sétif en Mai 1945.

Les plus âgés des garçons s’étaient, à leur tour, engagés dans l’armée française, celle reconstituée en Afrique du Nord faisant les campagnes de Tunisie, Italie et France. Le second garçon, Belkacem Haraigue, prend part à la bataille de Monte-Cassino près de Naples et reste dans l’armée française ; entré dans la Légion étrangère, il fait la guerre coloniale d’Indochine où il meurt. Très jeune engagé lui aussi, dans l’armée française, à la fin de la guerre, Omar Haraigue fait un premier passage en France ; il quitte alors l’armée en se faisant réformer pour incontinence. Comme son frère ainé Ali, il choisit de travailler en France.

En 1946 à dix-neuf ans, ayant quelque connaissance de la région, il s’embauche aux fours de l’aciérie Verdier à Unieux près de Firminy et Saint-Etienne, une usine du groupe Creusot-Loire qui exploite les mines de charbon du centre de la France. Il fait la connaissance d’une ouvrière française de l’usine, de dix-huit ans, Marthe Crouzet, fille de cultivateur mort à la guerre. Leur mariage aura lieu le 30 août 1950 dans une petite chapelle à Unieux, de la paroisse dont le curé est le père Courbon qui s’occupe de l’action sociale auprès des travailleurs immigrés « nord-africains ». Le prêtre baptise les enfants : Christian né en 1951 et Alain, né en 1952, déclarés français à l’état-civil puisque leur père est citoyen français.

Omar Haraigue fait venir sa toute jeune sœur Zina (Zina Haraigue) qui lui est très attachée ; elle va aussi travailler à l’usine Verdier. La maman allemande, Joséphine, et les trois derniers enfants viennent s’installer près de Firminy. Ainsi dans cette histoire familiale, on voit à l’œuvre les deux modes de sortir du pays, celui premier, de partir dans l’armée française, et ensuite, le travail en immigration.

Militant syndical peut-être à la CGT alors que sa sœur Zina le dit inscrit (comme elle) à la CFTC, mais son témoignage est tardif. O. Haraigue devient très vite délégué du personnel pour représenter les travailleurs algériens de l’entreprise. Dès 1947, il a adhéré au MTLD ; rapidement, il est à la tête de la kasma (section) de Saint-Etienne. À la fédération de France, ces arrivants appartiennent à la nouvelle génération de travailleurs qui ne sont ni formés ni retenus par l’ancienneté du militantisme dans le mouvement messaliste depuis l’ENA et le PPA. Aussi vont-ils, en nombre, passés directement de la Fédération de France du MTLD à celle du FLN, et entrer fréquemment dans l’organisation spéciale clandestine.

Évidemment, O. Haraigue est fiché par la police, pour « activité subversive ». En 1955, il est expulsé vers l’Algérie où il passe par les camps de Lodi (Draa Essamar) et Berrouaghia. De retour en France, à la Fédération de France du FLN, sous l’impulsion de Mohamed Boudiaf et de ses fidèles qui sont aux commandes, il se trouve pour la région Centre, chargé de la chasse aux messalistes du MNA. Il fait quelques mois de prison à Saint-Étienne en 1957.

Il a, comme ses frères et sœurs, le soutien du curé marieur, qu’est le père Courbon, qui participe aux réseaux de soutien au FLN, réseau Jeanson puis Curiel en liaison avec les prêtres du Prado à Lyon dont l’abbé Albert Cartéron qui fera le choix de travailler et vivre en Algérie après l’indépendance. Le père Courbon assure toute aide et l’abri : « tout ce que tu veux mais pas d’armes », formule rapportée dans le livre de Rachid Haraigue, son jeune frère. Par ailleurs, à la prison de Fresnes près de Paris, M. Boudiaf et ses fidèles s’imprègnent des perspectives révolutionnaires socialistes sous l’influence des partisans de La Voie communiste, en rupture du PCF. O. Haraigue en a t’il l’écho ?

Il devient responsable de l’Organisation spéciale pour la zone sud de la France. Il fait abattre le lieutenant colonel Riez, ancien des Services en Algérie, « conseiller social » de l’usine, qui conduit la répression contre les clandestins du FLN et s’est opposé à sa réintégration à sa sortie de prison. Les arrestations se rapprochent, dont celle de son beau-frère, Jean Crouzet, qui cache des armes dans son jardin, et celles de ses jeunes frères Sadek et Rachid en janvier 1958.

En tant que responsable de l’OS pour la zone sud, ne sortant plus de sa cache aux volets fermés, il s’emploie sur papiers à la préparation des attentats qui doivent marquer l’ouverture du second front (en France métropolitaine) dont le déclenchement se fera en août 1958. Il monte plusieurs sabotages dont celui du dépôt d’armes de Saint-Étienne. Ayant fait passer sa famille en Suisse, il est replié en République fédérale allemande où s’abrite la direction de la Fédération de France du FLN, quand s’enchaînent les incendies des dépôts de carburants après celui de Mourepiane qui a lieu le 25 août 1958.

Mais pour la police et les services français, et plus encore pour la grande presse, il devient « Omar Mourepiane » , « l’insaisissable Omar Haraigue » ; photo à la une ; son nom, souvent mal orthographié, repris sur des bouts de papier et à partir d’aveux de militants torturés. Son image va demeurer celle du chef opérateur des sabotages de l’été 1958. Jugé par contumace, O. Haraigue est condamné à mort par le tribunal permanent de forces armées de Marseille. Il l’est une deuxième fois par le tribunal de Toulouse, dans l’affaire des sabotages FLN contre les installations pétrolières de Toulouse et de Port-la-Nouvelle.

Lui et sa famille s’installent à Tunis à partir de janvier 1959. Sa voiture subit un mitraillage attribué à la Main Rouge, groupe armé secret ultra-colonial opérant pour le SDECE, service français, qui a notamment monté en 1952 l’assassinat du leader syndical de l’UGTT, Ferhat Hached. O. Haraigue se rend en Égypte où s’active la délégation extérieure du FLN qui incline vers l’arabo-islamisme tandis que le président Nasser et ses Services chantent l’arabisme. À son retour d’Égypte, comme en témoigne son frère Rachid Haraigue dans son livre, il décide de l’arabisation familiale, convoquant ses deux fils aux prénoms chrétiens, annonçant à Christian : « maintenant tu t’appelles Hamid », et à Alain : « et toi tu t’appelles Rachid » ; la circoncision est pratiquée. À l’indépendance en 1962, O. Haraigue tente de faire supprimer les prénoms de l’état civil français ; il fait renoncer ses fils à la citoyenneté française. La volonté est peut-être d’effacer la part coloniale du service dans l’armée française en ce partage ou succession familiale, destin commun à beaucoup de familles algériennes qui pour affirmer leur algérianisation, passent à l’arabisation.

Longuement retenu en Tunisie, en prison ou assigné à résidence, sur ordre du président Bourguiba, pour implication dans l’assassinat d’un opposant au FLN, O. Haraigue peut rejoindre au Maroc, en 1960, les chargés de mission de la Résistance algérienne. Sur la frontière, à Oujda, il est responsable de l’action sociale du FLN pour prendre en charge les orphelins de combattants algériens. Un regroupement familial autour de la maman Joséphine s’opère à Rabat. Sa sœur Zina, l’évadée de la Roquette, rejoint alors que les jeunes frères sont encore emprisonnés en France. Au début de 1962, O. Haraigue convoie à Cuba qui accueille ces orphelins algériens. Considéré comme un grand combattant, il apparaît à La Havane faire l’alliance militaire de la révolution algérienne et de la révolution cubaine.

Après les accords d’Évian, il est appelé à l’Exécutif provisoire à Rocher Noir (Boumerdès) pour prendre des responsabilités au commandement de la Force spéciale chargée de la sécurité ; celle-ci recrute des « auxiliaires temporaires de l’ordre » ! Il y a fort à faire face à l’OAS et dans le chaos du printemps-été 1962 avec des ralliements de dernière heure (les « marsiens » après Évian en mars). Les groupes coloniaux tirent sur les soldats français du contingent. O. Haraigue installe un temps son PC à la Casbah, rejoint par son frère Rachid, libéré. L’exode emporte les Européens laissant des biens vacants ; les harkis et soldats algériens de l’armée française sur place sont voués au sauve-qui-peut sur les bases françaises ou en fuite au risque de mort, voire en passant à la Force spéciale.

En novembre 1962, sous Ben Bella, alors qu’il a été nommé commissaire de police divisionnaire à Alger, Omar Haraigue n’en est pas moins interpellé par un autre service et embarqué dans un blindé de l’armée ; il passe trois mois en prison. Il passe pour appartenir au PRS de M. Boudiaf dont une quarantaine de membres sont arrêtés et emprisonnés. Dans un retour en grâce, il est, en 1964, nommé « surveillant général de l’Institut National des hydrocarbures et de la chimie » ; en écho de Mourepiane ?

Après le coup d’État du colonel Boumedienne, il est à nouveau arrêté en septembre 1965 avec les opposants de l’Organisation de la Résistance populaire (ORP) ; il connaît encore une fois la prison pendant un an.

Libéré, il est remis en scène : de la fin de 1966 et en 1967, curieusement, il est directeur par intérim (!) du Centre national du livre, responsable de la sérigraphie artistique industrielle et publicitaire, puis, en 1967-1969, inspecteur de la Société nationale des semouleries, meuneries, fabriques de pâtes alimentaires et couscous (SEMPAC), avant d’être mieux assis à la marge en étant fait commissaire principal et administrateur de la Mutuelle générale de la Sureté Nationale. C’est à ce titre que, lors du débat en 1976 sur la Charte nationale, il présente le compte rendu de l’assemblée générale du personnel de la MGSN. Ce rapport daté de mai 1976, émanant du personnel de police et adressé au Directeur de la Sûreté nationale, a une tonalité socialiste assez radicale faisant penser à une réaffirmation de positions défendues à l’indépendance par le PRS de Mohamed Boudiaf et la Fédération de France dont O. Haraigue est un grand ancien et un symbole. Il se prononce « pour un parti pour le socialisme…recruté parmi les jeunes, les ouvriers, les paysans et les intellectuels, à l’exclusion de toute autre classe sociale » , pour conclure : « La société socialiste ne peut être que le fruit du travail et de la discipline. »

En 1976, Joséphine Haraigue, la maman allemande, meurt à Alger. Atteint d’un cancer, O. Haraigue décède le 16 mai 1982. Il est enterré au cimetière de gloire officielle d’El Alia.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article152262, notice HARAIGUE Omar pseudonyme Omar Régnier surnommé Omar-Mourepiane [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 11 janvier 2014, dernière modification le 11 janvier 2014.

Par René Gallissot

SOURCES : Extraits du greffe du Tribunal permanent des Forces armées de Lyon (décembre 1958). — Notice d’Hélène Vandevelde dans Parcours, op. cit. , n° 5, 1985, qui fait état d’entretiens avec Omar Haraigue et sa femme à Rabat et à Alger (sans date). — Ali Haroun, L’été de la discorde. Algérie, Casbah éditions, Alger 2000. — Rachid Haraigue, Le combat d’un lieutenant du FLN en France pendant la guerre d’Algérie, Éditions des écrivains, Paris 2003. — Amar Mohand Amer, L’Algérie et les premiers mois de son indépendance, thèse de doctorat en histoire, Université Paris 7, 2010.

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