SERFATY Gilberte, épouse SALEM (Henri Alleg*) [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Professeur d’anglais et traductrice, militante du PCA et de l’Union démocratique des femmes ; reçoit la nationalité/citoyenneté algérienne en 1963 pour son engagement dans la lutte d’indépendance ; en France depuis 1965, membre du PCF.

Voulant dire sépharade, appellation courante des Juifs en Méditerranée, le nom de Serfaty est très répandu au Maghreb et les familles juives sont nombreuses à Mostaganem : des Chouraqui, Chemouilli, Benichou… comme à Tlemcen et Oran, de condition sociale différenciée. Le port colonial est soulevé dans les années 1930 par des vagues antijuives liées au mouvement antisémite fort en Oranie. Gilberte Serfaty et sa sœur cadette Andrée ont perdu leur père alors qu’elles sont adolescentes avant la guerre de 1939 ; c’était un homme cultivé, « féru de musique et d’idées généreuses » au dire du gendre Henry Salem devenu Henri Alleg*. La mère tient un magasin d’articles de mode. En application des lois raciales de Vichy, vraisemblablement en 1941, Andrée Serfaty est exclue du lycée de la ville, et Gilberte interrompue dans ses études d’anglais à la Faculté d’Alger. Elles souffrent de cette exclusion et s’insurgent contre le racisme, sans afficher quelque judéité « dont elles ne se sont jamais souciées » (H. Alleg).

En effet, ayant une vingtaine d’années, Gilberte Serfaty a gagné Alger pour aller à l’Université ; elle y fait la connaissance de l’étudiante de géographie et d’histoire, Lucette Larribère*, fille du Docteur Jean-Marie Larribère* de la famille des communistes d’Oranie. Les deux amies se retrouvent à la même pension de jeunes filles du boulevard Saint-Saëns (Mohammed V), tenue par des protestantes américaines. Après le débarquement allié de novembre 1942, Gilberte Serfaty travaille pour l’armée française, comme traductrice au Contrôle militaire qui fait le tri des informations venant principalement des Etats-Unis. Lucette Larribère entre aux services de l’Agence Afrique-Presse où le jeune instructeur des Jeunesses communistes Henry Salem (sous le nom de Duval et pas encore d’Henri Alleg*) opère comme traducteur d’anglais des nouvelles de presse tombant des différentes agences. L’Agence Afrique-Presse se fondra dans l’Agence France-Presse ; Lucette Larribère* passera ensuite à la rédaction d’Alger Républicain.

Le bouillant H. Salem fait du recrutement à la cellule du PCA de l’Agence, ouvrant les réunions par des invitations électives. Lucette Larribère* assiste avec son amie, « une jeune fille brune et vive, distinguée » qui se fait remarquer par ses questions pointues avant de donner son adhésion. Les rencontres deviennent fréquentes au rendez-vous de midi dans une gargote de la rue Bab-Azoun au bas de la Casbah, seul client « européen » et seule femme à venir manger là, ou au Restaurant du Canard près du marché Clauzel, lieu de discussions politiques car tenu par Saïd Ouzegane de sentiment nationaliste, frère d’Amar Ouzegane*, le gardien de la ligne du PCA. Le mariage se fera plus tard, en 1945.

Devenue professeur d’anglais, Gilberte Salem se fait volontiers traductrice pour l’information ou les publications du PCA et pour les activités de l’Union démocratique des femmes d’autant que c’est Paulette Larribère* qui en prend la direction à partir de 1946. Elle est aussi militante quand dans les années de guerre froide, ce mouvement des femmes fait des pétitions, suscite des manifestations et soutient les grévistes engagés sur les ports, dans les dépôts, les mines dans des luttes longues et dures. Ce sont les femmes qui organisent la solidarité. Sanctionnée, Gilberte Salem doit quitter l’éducation nationale pour assurer des cours dans plusieurs institutions privées ; il faut subvenir à la famille ; deux garçons : André né en 1946 puis Jean en 1952 ; les rétributions d’Alger Républicain sont maigres et pas plus élevées pour le directeur qu’est devenu Henri Alleg*.

Le plus dur est à venir, quand après l’interdition du PCA et du journal en septembre 1955, la clandestinité est de rigueur faisant quitter le petit appartement de La Redoute (El Mouradia) au-dessus d’Alger. Les enfants sont envoyés en URSS ; Gilberte Salem habite pour plus de sûreté dans le centre bourgeois, rue Charles Péguy. Le lendemain de l’arrestation d’Henri Alleg* (12 juin 1957), les paras et les policiers occupent l’appartement, jouant du chantage, des menaces ; finalement dans la nuit du 6e jour, l’ordre vient de « ne pas livrer le paquet ». Libre de ses mouvements, Gilberte Salem alerte des avocats et multiplie démarches et visites auprès des autorités militaires et civiles ; elle est expulsée sur la France un mois plus tard. Accueillie par le PCF, en liaison avec le Comité Audin, elle participe aux campagnes contre la répression, les enlèvements et la torture, et pour la libération des détenus. Henri Alleg* est transféré à la prison Rennes pour le procès Audin* en juin 1960, puis s’évade et se réfugie à Prague.

À l’indépendance, Heni Alleg* revient à Alger en juillet 1962 pour reprendre la parution d’Alger républicain ; Gilberte Salem le rejoint en août pour s’installer dans un pavillon sur la montée vers El Biar au panorama étincelant. Tous deux « sont faits algériens » en 1963, mais pas les enfants. Alors que le PCA n’admet pas d’étrangers, ni de Français donc ; ils appartiennent au PCA illégal ; Henri Alleg* est membre du Bureau politique. Après le coup d’Etat du 19 juin 1965, Henri Alleg réussit à quitter l’Algérie en juillet ; Gilberte Salem le rejoint en France un mois plus tard. Tous deux prennent place au PCF ; Gilberte Salem dirige une bibliothèque municipale puis assure la documentation pour la publication des trois grands tomes illustrés de La guerre d’Algérie. Venant d’Algérie où elle entendait rester par la libération nationale, Gilberte Salem-Serfaty vit en France avec un certain sentiment d’étrangeté.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article152270, notice SERFATY Gilberte, épouse SALEM (Henri Alleg*) [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 11 janvier 2014, dernière modification le 10 janvier 2022.

Par René Gallissot

SOURCES : H. Alleg, Mémoire algérienne. Stock, Paris, 2005.

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