SIBLOT Charles [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né le 6 juillet 1912 à Ténès, mort le 22 octobre 1981 à Sète (Hérault) ; instituteur, responsable régional et national du SNI ; militant du PCA depuis 1938, expulsé en 1956.

De famille paysanne de Lorraine incorporée à l’empire allemand proclamé en 1871 après la victoire militaire prussienne, le père de Charles Siblot avait quitté la région de St Dié dans le massif des Vosges pour échapper à la conscription allemande en passant en France. On en fit de l’autre côté de la frontière, un gendarme français, envoyé grossir le peuplement colonial de l’Algérie. Il y épouse une fille Xicluna, d’une famille venue de Malte fonder une entreprise de cabotage entre Alger et le port de Ténès. Né dans cette place militaire, quatrième enfant et seul garçon, Charles Siblot grandit dans des casernes de gendarmerie ; celle de Mouzaïaville au pied de l’Atlas, puis celle de Chéragas dans le Sahel non loin d’Alger, et celle encore qui jouxte la citadelle de la Casbah où il passe son adolescence. Il vit enfin de façon plus civile rue du docteur Trolard, au centre de la ville coloniale prés des Facultés. Cette jeunesse algéroise de fils de fonctionnaire militaire et d’enfant de chœur se passe « sans histoire ». La mémoire familiale conserve les récits épiques du basketteur du RUA, le club universitaire, et les évocations plus elliptiques du clarinettiste qui se faisait de l’argent de poche au café du Tantonville, près de l’Opéra. Après le Brevet Supérieur, il entre à l’École Normale d’instituteurs de la Bouzaréah, section de « l’enseignement indigène », ce qui va le conduire « au bled ».

Ses professeurs lui font découvrir des idéaux anti-militaristes et pour certains anarcho-syndicalistes. Dans l’effervescence politique qui annonce le Front Populaire, il faut l’expérience du terrain avec une nomination à Saint Donat sur les hauts plateaux du constantinois en 1935, pour que le jeune homme sorte de l’enfermement colonial en ville qui ne voit pas la misère à sa porte, pour avoir sous les yeux la désolation du monde rural et le règne de l’arbitraire colonial. Il connaît alors les premiers heurts et un premier conflit avec l’administration. Les affrontements se répètent à partir de 1936 ; il est nommé au douar de Beni-Haoua dont l’école est isolée dans la montagne, au terme d’une piste difficile, à plus d’une dizaine de kilomètres du village de colonisation et village minier de Francis Garnier près de la côte entre Ténès et Cherchell. Il se marie ; son épouse, Angèle Piazza, fille de père italien garibaldien et de mère française venue de Bretagne, est née elle aussi en Algérie, dans un « bled perdu » de la commune mixte de Teniet-el-Haad dans l’Ouarsenis, où elle parlait l’arabe plus souvent que le français.

Le couple rencontre l’hostilité de la plupart des « Européens » du village qui voient dans l’enseignement des « indigènes », une entreprise contre nature. De 1937 à 1939, la famine et le typhus accroissent leurs ravages. L’école, avec un dispensaire de fortune que l’instituteur et sa femme ont monté, devient le dernier havre de déshérités qui échouent là, dépouillés de tout, certains vêtus de sacs de ciments troués pour passer la tête et les bras. Une réclamation violente reçoit enfin une réponse : l’administration fait parvenir deux camions de chaux vive pour couvrir les cadavres. Ce soir même de 1938, C. Siblot rédige une demande d’adhésion au PCA. Il est vrai que la belle-famille était versée dans les luttes sociales et politiques ; inspirés par le garibaldisme paternel peut-être, Henri et René Piazza, frères d’Angèle, avaient adhéré au PCA. Tous deux étaient électriciens employés à l’hôpital Mustapha à Alger ; René Piazza sera exclu plus tard pour « déviation nationaliste ».

L’enthousiasme pédagogique en pratiquant à l’école les méthodes libres, l’action corporative au SNI où il prend des responsabilités, font une place de plus en plus grande au militantisme social sur la frontière coloniale. Mobilisé en 1939, C. Siblot retrouve le village en 1940. Dans la période de parade coloniale pétainiste sous Vichy, face aux « Européens », le couple se replie et vit en autarcie sur l’école. Lors du débarquement allié de novembre 1942, l’instituteur est appelé au secours par les quelques résistants locaux ; ils réussissent à neutraliser le groupe fasciste de la Légion à Francis-Garnier. En 1943, Charles Siblot rejoint l’armée française d’Afrique du Nord pour la campagne de Tunisie ; une dysenterie amibienne le fait réformer.

Son action régionale peut se redéployer plus librement à partir de 1944. Alors que parallèlement, à la mine voisine qui fournit le port de Ténès, la syndicalisation des mineurs a commencé, et à Ténès, celle des dockers, (cf. Rabah Benhamou* et Abdallah Mokarnia*), ce sont de premiers syndicats d’ouvriers agricoles que Charles Siblot suscite depuis Francis Garnier ; il devient la bête noire du plus gros colon viticulteur Bortoloti. Son influence la plus profonde s’exerce par l’enseignement. D’anciens élèves devenus militants et cadres nationalistes le citent pour leur initiation aux idées libératrices, le donnant comme « fondateur », dans une enquête de 1987 sur l’histoire du mouvement national dans la région de Ténès.

En 1945, C. Siblot est nommé à Marengo (Hadjout) dans la Mitidja et deux ans plus tard à El-Biar au-dessus d’Alger. Deux enfants à la maison, un fils né en 1946, une fille en 1948. C. Siblot devient « maître de classe d’application de l’École Normale de la Bouzaréah », apôtre écouté de la méthode Freinet ; les élèves composent des journaux de classe. Il assume des responsabilités croissantes au SNI, jusqu’au niveau national. Il collabore à Alger Républicain. Il donne l’essentiel de son temps aux réunions syndicales et au PCA qui en fait un candidat battu aux différentes élections. De 1955 à 1956, il assure des contacts entre les responsables communistes de Blida et de Ténès (cf. Gaston Donnat*) et les connaissances militantes qu’il conserve dans le massif du Dahra pour la mise en place des groupes communistes des Combattants de la libération.

En février 1956 il prend l’initiative avec d’autres et avec les signatures d’enseignants algériens M. Khaddache, K. Malti, M. Mammeri, futurs professeurs de l’université algérienne, d’une Lettre d’un groupe d’enseignants à leurs collègues d’Algérie. Elle a une certaine audience et provoque de virulentes polémiques au sein du SNI. Après avoir dénoncé le « bilan du colonialisme » et celui de la politique de Soustelle, le texte soutient l’ appel pour une trêve civile (cf. Albert Camus*), et allant plus avant, il « reconnaît le bien fondé de la lutte du peuple algérien pour la réalisation de ses aspirations nationales », appelle à la négociation « avec les représentants qualifiés du peuple algérien », et conclut sur le vœu d’une « Communauté Algérienne nouvelle, fraternelle et stable, parce que fondée sur l’égalité, la justice et le respect mutuel ». Dans la nuit du 31 mai 1956 C. Siblot est emmené par les paras, avec des militants nationalistes et d’autres instituteurs communistes signataires : P. Coussaud*, J. Monacelli*, C. Occuli* et L. Vincent*. L’Echo d’Alger du 2 juin dénonce « une trentaine de communistes et de messalistes arrêtés ». Le Ministre-Résidant Robert Lacoste frappe d’interdiction de séjour et fait expulser ceux qui sont instituteurs français. C. Siblot n’a pas été repéré pour ses liens avec les communistes clandestins notamment M. Audin* et Henri Alleg* ; il échappe au pire. En France, il s’établit à Sète où il poursuit ses activités syndicales et s’engage très fortement, au sein du PCF, dans « la lutte pour la Paix en Algérie.

De retour en Algérie en 1962, il est nommé conseiller au cabinet du Ministre de l’Education ; il contribue à organiser des « campagnes d’alphabétisation ». Prévenu d’une arrestation imminente, il repart en France en 1965. Il revient ensuite en Algérie pour rentrer plus tard s’installer définitivement à Sète ; ses séjours en Algérie ne seront plus qu’épisodiques. L’utopie d’une Algérie algérienne réconciliée au delà de la colonisation, laisse place à la nostalgie pour un homme acquis aux principes humanistes et républicains qu’on lui avait appris et qu’il a enseignés.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article152301, notice SIBLOT Charles [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 12 janvier 2014, dernière modification le 18 août 2021.

Par René Gallissot

SOURCES : Témoignages familiaux communiqués à R. Gallissot en 2006. – G. Donnat, Afin que nul n’oublie. L’itinéraire d’un anticolonialiste Algérie-Cameroun-Afrique. L’Harmattan, Paris, 1986. -J-L. Einaudi, Un rêve algérien. Histoire de Lisette Vincent, une femme d’Algérie. Dagorno, Paris, 1994. – J. Galland, En Algérie « du temps de la France », 1950-1955, Tirésias, Paris, 1998.

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