SMAILI Ahmed [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né le 1er janvier 1913 à Miliana, mort le 30 janvier 1944, à Alger, tué par un camion de l’armée des Etats-Unis ; exclu de l’EN de La Bouzaréah (Alger) en 1933 pour avoir constitué une cellule communiste ; propagandiste communiste en Kabylie et dans le Sersou ; évadé de la prison Barberousse d’Alger en 1940 ; réservé devant la réorganisation clandestine du PCA en 1940-1941 ; suspect dans le PCA mais engagé à Alger Républicain en 1943.

À la suite du congrès de formation du PCA en octobre 1936, Ahmed Smaïli est entré au Comité central et au Bureau politique. Après avoir été renvoyé de l’École normale d’instituteurs en mars 1933 ; un temps clerc d’avocat, huit jours à la Poste d’Alger, plus longuement journaliste à La Dépêche de Constantine, écrivain public, commis greffier abrité chez ses parents, il s’est voué à l’organisation du parti et de la CGTU particulièrement autour de Miliana à Affreville, foyer familial, et à Ménerville (Theniet) sur le chemin de la Kabylie où il avait implanté les Jeunesses communistes depuis l’École normale. Comme il n’a pas d’emploi stable, le PCA en fait un permanent. Son expérience à la CGTU, lui vaut d’être envoyé à Bougie (Bejaia) pour diriger l’Union de syndicats confédérés, c’est-à-dire la CGT réunifiée. On dispose de la quinzaine de pages de son autobiographie rédigée pour l’internationale communiste et signée à Alger le 21 août 1937. Celle-ci comporte l’inévitable couplet dénonçant le troskysme ; curieusement Ahmed Smaïli dit encore "nous communistes français" comme au temps de la Région communiste d’Algérie du PCF qui vient donc d’être tranformée en PCA.

Parfaitement rédigée en français, l’autobiographie situe très bien son milieu familial. Le père est petit fonctionnaire en étant aoun, huissier de droit musulman au tribunal de la justice de paix d’Affreville près de Miliana ; il est un partisan de l’Emir Khaled*, descendant d’Abd-el-Kader, dont le courant nationaliste : La Fratenité algérienne, a été au début des années 1920, soutenu par les communistes. La mère est certainement instruite en français puisqu’elle s’emploie à l’association "Soutien de l’enfance". Après l’école primaire française, le jeune Smaïli a suivi l’École primaire supérieure de Maison-Carrée (El-Harrach) avant d’entrer en 1931 à l’École normale de La Bouzaréah. C’est à Ménerville où son père exerce alors, qu’il vient d’adhérer à la cellule communiste à partir des Jeunesses communistes et à l’instigation de militants responsables du Secours rouge.

Quand venant de Marseille, l’élève-instituteur Gaston Donnat* arrive en 1931 à l’École normale de La Bouzaréah à Alger, il ne trouve de présence communiste déclarée que celle d’Ahmed Smaïli, élève de première année de « la section indigène ». Parmi les enseignants, les socialistes s’affichent et sont prépondérants. Avec quelques autres élèves « européens », G. Donnat fait partie du groupe des Étudiants socialistes qui se réunissent autour de Max-Pol Fouchet*, étudiant de la Faculté d’Alger ; l’autobiographie d’Ahmed Smaïli évoque cette présence des Étudiants socialistes. À ceux qui s’interrogent sur la condition algérienne, Ahmed Smaïli est le seul à parler de la paupérisation des paysans montagnards et aussi des idées de Lénine sur la paysannerie et la révolution dans les pays dominés.

En effet, A. Smaïli conjugue une expérience de l’éveil social et politique en Kabylie et ses lectures des brochures communistes. Très vite, il entraîne ses jeunes camarades à venir en montagne au contact de jeunes algériens à partir de la gare de Ménerville (Théniet). A. Smaïli a pour grand ami, probablement camarade d’école primaire à Ménerville, Gaston Thuillier qui est interne à l’Institut agricole de Maison-Carrée ; ils retournent ensemble au pays.

À l’École normale, A. Smaïli reforme une cellule communiste d’élèves (il y en a peut-être eu une première en 1921) ; elle comprend deux « européens » : Édouard Camizon* et Gaston Donnat*, et trois élèves « indigènes ». Ces élèves communistes se joignent aux quelques manifestations de rues des Jeunesses communistes, diffusent la Lutte Sociale, ont des contacts en ces heures difficiles de la Région communiste, avec Ahmed Belarbi* (Boualem) qui s’efforce de maintenir une activité, et avec François Serrano* qui les aide à mettre en place une section du Secours rouge international. Ces élèves mettent également sur pied une section algérienne de la Ligue antiimpérialiste et contre l’oppression coloniale.

Une descente de police qui fait la chasse aux communistes, à l’Institut agricole de Maison-Carrée, saisit une correspondance échangée entre A. Smaïli et son ami G. Thuillier*, qui parle de la création de la cellulle. En mars 1933, Gaston Thuillier est exclu de l’Institut agricole et Ahmed Smaïli de l’École normale, pour "activités antifrançaises" et "propagande anticoloniale" ; ce sont les deux secrétaires de cellule ; les autres membres sont blâmés. Il est des enseignants socialistes non seulement pour approuver ces sanctions, mais s’élever contre « des gens comme Ahmed Smaïli » qui mettent en danger les instituteurs (français) du bled qui risquent d’être massacrés !

Ahmed Smaïli passe donc d’un emploi d’écriture à un autre, et milite principalement à la CGTU. Comme sa famille est retournée à Affreville (Khémis-Miliana), il s’emploie avec M. Marouf*, à la syndicalisation des ouvriers agricoles de la vallée du Chélif et sur les hauts plateaux, peut-être à l’écart du parti. Il a été accusé à tort, ce que le parti reconnaîtra plus tard, d’avoir dilapidé la caisse du syndicat agricole d’Affreville. Dans son autobiographie, il note qu’il revient au parti en 1936, à la suite de la circulaire Barthel*, l’envoyé en mission de la commission coloniale du PCF chargé de relancer l’organisation communiste en Algérie et qui préconise un double front : le front populaire et le front anitimpérailiste continué pour l’indépendance de la nation algérienne. En 1937, A. Smaïli subit plusieurs condamnations par le tribunal de Blida pour son action militante à Affreville ; il est encore poursuivi en 1938. À Bougie, il a le contact avec les ouvriers "indigènes" et particulièrement avec les ouvriers du liège. Il s’est déjà mis en clandestinité plusieurs fois et bien sûr se retrouve clandestin à l’automne 1939, à l’interdiction du PCA à l’ouverture de la guerre.

Arrêté, il s’évade de la prison Barberousse d’Alger ; il s’abrite chez Gaston Thuillier* dans le haut de Belcourt à Alger. Dans l’été 1940, A. Smaïli trouve le contact avec les clandestins communistes qui s’efforcent de coordonner les militants épars sur Alger et ses environs (P. Caballero*, G. Yvorra*, J. Bentolilla*…), et par ailleurs de reconstituer une direction du PCA autour de Thomas Ibanez* ; ce petit groupe publie les numéros de La Lutte Sociale et le Manifeste qui en appelle à l’indépendance de l’Algérie (cf. Maurice Laban*). Ce n’est pas sur ces mots d’ordre et sur l’orientation qu’Ahmed Smaïli a des divergences ou des réserves ; lui-même écrit dans une lettre saisie, adressée au PCF, datée du 13 septembre 1940, « il faut absolument et sans retard sortir de nos cartons, le mot d’ordre d’indépendance du pays ». Il critique la composition du Comité central projeté qui ne lui semble pas représentative de l’algérianisation du PCA. Il se refuse à cette cooptation ; c’est ce que M. Laban*, G. Raffini*…. , appellent « la dissidence de Smaïli ». Lors d’une nouvelle arrestation, la police saisit une lettre sur lui. Il s’échappe encore. A. Smaïli jugeait aussi que la pratique d’une stricte clandestinité laissait à désirer, alors que lui redouble de vigilance.

Ahmed Smaïli va se retrouver doublement suspect au sein du PCA. Pour Lisette Vincent* et le groupe de la Lutte Sociale clandestine, il est un indicateur, car il a fait défaut à des rendez-vous, et au dernier qui provoque le 16 août 1941, l’arrestation de Lisette Vincent. Rien ne confirme le soupçon, et la police ne cesse de rechercher sa trace. Après 1943, dans le silence fait sur cette action clandestine et sur la revendication d’indépendance, les fidèles du PCA et du PCF sur la ligne d’union patriotique française dans La France combattante, mettent en garde contre lui tenu pour « nationaliste » et contre les activistes de cette période.

Cependant, les responsables du PCA à l’organisation (Paul Caballero* et André Moine*), ont bien dû écarter les soupçons qui n’en durent pas moins, pour qu’Ahmed Smaïli rejoigne à la fin de 1943 ou en 1944, l’équipe d’Alger Républicain ; voie de garage peut-être car son service n’est guère précisé quand les futurs dirigeants du journal (Henri Alleg* et Boualem Khalfa*) en parlent seulement en rappelant sa mort sous un camion américain. Au reste, curieusement pour un journal et des journalistes, ils ne font pas la recherche de la date de cet accident, signalé dans L’Echo d’Alger le 1er février 1944. Certes ils ne sont pas encore aux commandes du journal ; A. Smaïli n’est pas un inconnu ; il reste à part.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article152313, notice SMAILI Ahmed [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 12 janvier 2014, dernière modification le 16 juin 2019.

Par René Gallissot

SOURCES : Arch. Outre-mer, Aix-en-Provence, 9H42. – RGASPI, ref. 495 189 117a. -Arch. départ. de Bobigny, dépôt du PCF, Fonds André Moine 332 J1. – L’Echo d’Alger, 1er février 1944. – Estorges "souvenir de militant". - G. Donnat, Afin que nul n’oublie. L’itinéraire d’un anticolonialiste Algérie-Cameroun-Afrique. L’Harmattan, Paris, 1986. - B. Khalfa, H. Alleg, A. Benzine, La Grande aventure d’Alger Républicain. Messidor, Paris, 1987. – J.-L. Einaudi, Un rêve algérien. Histoire de Lisette Vincent, une femme d’Algérie. Dagorno, Paris, 1994. -Interview d’A. Ouzegane par J.-L. Planche (1976-1977).

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