SPORTISSE Bernard [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot et Jean-Louis Planche

Né le 21 juillet 1917 à Constantine ; employé des contributions ; dirigeant des Jeunesses communistes du Constantinois, candidat du PCA aux élections ; expulsé de Constantine en 1955, clandestin à Alger pendant la guerre de libération ; communiste resté en Algérie.

À Contantine, la famille des Sportisse habite le vieux quartier du Rocher, peu pénétré par les « Européens », famille juive andalouse par le père, juive berbère par la mère, née Guedj. À la maison, on parlait arabe et français ; la mère n’apprend que sur le tard, à lire un peu le français par la presse. D’abord marchand de cuir, puis comptable, le père faisait sa comptabilité aussi bien en arabe qu’en français. Très religieux, il allait prier à la synagogue, mais d’esprit ouvert et tolérant pour l’engagement politique de ses fils. Le frère aîné, Lucien né en 1905, résistant français abattu à Lyon en 1944, est le héros de la famille et l’exemple communiste ; le frère dernier né en 1923, William, est le continuateur du PCA à Constantine ; Bernard Sportisse vivant à la maison paternelle, est le frère intermédiaire porteur du communisme à Constantine.

À la rentrée d’octobre 1934, Bernard Sportisse relance avec des camarades du Lycée d’Aumale, grand lycée de Constantine, les Jeunesses Communistes, désorganisées par les attaques contre les Juifs et les commerces du quartier juif, du 5 août 1934, et par la révocation de Lucien Sportisse* qui était instituteur, accompagnée de son éloignement en Oranie. Son instruction française le met à l’écart des institutions et des croyances religieuses juives. En 1935 à 18 ans, Bernard Sportisse préside l’assemblée des Jeunesses communistes et des Jeunesses socialistes. Il entre au Parti communiste en 1935, est délégué au congrès de formation du PCA en octobre 1936, et restera responsable des JC jusqu’en 1945-1946. Les militants européens, parmi lesquels se distinguent notamment Georges Raffini*, sont rapidement minoritaires, une vingtaine d’étudiants de la médersa ayant adhéré, dont Mohamed Kateb* très actif, ainsi que des élèves de l’École primaire supérieure, de l’école d’apprentissage, et de l’École pratique d’industrie. Fin 1936, le groupe des JC de Constantine atteint 60 à 70 adhérents, et compte quelques jeunes filles qui ont adhéré à la suite de la grève du Monoprix dans l’été 1936, dont Viviane Halimi* d’une famille juive d’Aïn-M’Lila, et future femme de Léon Feix*. Le local des Jeunesses est ouvert dans le quartier El Kantara, à proximité du siège du PCA. Bernard Sportisse organise des sorties communes étendues aux sympathisants, au cinéma, et à la plage de Philippeville (Skikda).

Ayant obtenu son baccalauréat en juin 1937, Bernard Sportisse demande un poste dans l’administration des Contributions. Il est nommé en 1938 à Aïn-M’Lila, une commune mixte à 50 km de Constantine. Par les Jeunesses, il a de nombreux copains musulmans tout en conservant dans la parenté, des liens communautaires. Il épouse ainsi Edith Zerbib, institutrice qui passe elle-aussi des Jeunesses au PCA. La nouvelle famille vit à la maison paternelle Sportisse, comme y demeure le jeune frère William.

Mobilisé le 15 septembre 1939, désigné pour l’école des élèves officiers de réserve à Cherchell, mais fiché communiste, Bernard Sportisse est incorporé au 3° Zouave, à Constantine où ils sont 250 communistes, beaucoup venant de France, quelques-uns d’Alger et d’Oran. Insistant pour monter au front, il débarque en France en avril 1940, est stationné à Gap où son frère Lucien vient le voir à vélo. Il sera le dernier de la famille à voir Lucien descendu à Marseille pour les adieux au retour de Bernard en Algérie. Bernard Sportisse est démobilisé en août à Constantine.

Contacté par Lisette Vincent en octobre 1940, il participe avec G. Raffini* et Maurice Laban* à la réorganisation clandestine du PCA, chargé de la liaison Alger-Constantine. Toujours employé des Contributions à Aïn M’Lila où il ramène de Constantine les tracts ronéotypés ainsi qu’au tournant de l’année 1940-1941, le n°1 de la Lutte Sociale clandestine, qui appelle à l’indépendance, il en assure la distribution dans le sud du département. C’est lui qui trouve à Constantine, avec l’aide d’Emile Attali, typographe, les caractères d’imprimerie nécessaires à permettre l’impression du journal.

Il est arrêté le 5 mars 1941, le jour même où ayant été révoqué, il s’apprêtait à quitter Aïn-M’Lila pour Alger rejoindre le groupe qui publie la Lutte Sociale. Il a été dénoncé par la postière de Berthault, village de colonisation à 10 km d’Aïn-M’Lila, où la police a localisé Lisette Vincent*, venue chez son amie Yvonne Saillen*, l’institutrice du village, pour renforcer les liaisons entre Alger et Constantine. Les deux militantes, prévenues de l’arrestation de leurs camarades à Alger, dont l’un d’eux a parlé sous la torture, parviennent à s’échapper.

Bernard Sportisse est interrogé cinq jours au secret à Constantine, mais parvient à nier toute implication, la perquisition chez lui n’ayant rien donné. Il est alors transféré à la prison Barberousse à Alger, où, grâce à des gardiens, aux prisonniers qui distribuaient la soupe, et à Paul Estorges* employé au greffe de la prison, il parvient à garder le contact avec ses camarades, notamment le docteur Cattoir* et Maurice Laban*. Après 8 mois d’emprisonnement, en octobre 1941, il est mis en liberté provisoire, Lisette Vincent* ayant persité à nier l’avoir jamais connu. Il reprend le contact deux mois plus tard avec Constantine ; il est d’abord mis à l’épreuve, en lui faisant distribuer des tracts. À Alger, le Parti recommence à se réorganiser grâce aux camarades espagnols. Il contribue à l’évasion de M. Laban* et G. Raffini* mais ceux-ci sont repris.

Dès l’entrée des troupes alliées à Constantine en novembre 1942, il réclame d’aller se battre, mais les Juifs sont versés dans les pionniers, non dans les troupes combattantes. Il part donc casser du caillou, du côté de Souk-Ahras d’abord. Devant l’insistance des frères Sportisse, les autorités militaires proposent les corps francs. B. Sportisse est ainsi des 3 ou 400 volontaires envoyés en A.O.F. Il est affecté en mars 1943 à Dakar dans un régiment d’artillerie coloniale. Il y reste 10 mois. Le groupe de communistes qu’il forme avec des camarades, diffuse Liberté, anime un cercle d’études marxistes, un groupe France combattante avec des gaullistes, voire même des officiers. Début 1944, il est muté au Maroc, à Meknès, puis à Salé. Il est rattaché à une cellule du PCF, créée à Casablanca, y rencontre les camarades marocains, Léon-René Sultan* venant de Constantine, entre autres.

Démobilisé à Constantine en août 1945, il rejoint son poste à Aïn-M’Lila. La section du PCA s’y était renforcée, elle avait atteint en 1944, 3 à 400 membres, avec des cellules communistes de 20-25 membres dans 7 à 8 douars sur les vingt de la commune mixte. Elu secrétaire de la section de Constantine en 1946 et membre du Bureau régional, il est candidat aux élections législatives en 1947, puis en 1951. Il affronte son cousin et médecin de la famille, le docteur Joseph Attal, communiste dans sa jeunesse et candidat de la SFIO. A cette époque, secrétaire local du Front Algérien pour la Défense et le Respect des Libertés (FADRL), il noue des liens avec le MTLD, et en 1953-1954 facilite l’adhésion de plusieurs jeunes qui, lors de la crise du parti nationaliste, se sont rapprochés des communistes.

Alors que le PCA et le presse communiste vont être interdits, Bernard Sportisse est expulsé du département de Constantine, interdit de séjour par arrêté du 5 juillet 1955. Sa femme et enfants restent à Constantine chez le père ; lui gagne Alger en semi-clndestinité, trouvant du travail dans le privé et prenant contact avec les dirigeants clandestins du PCA. En 1960-1961, il peut être agent des contributions à Maison-Carrée (El-Harrach) et sa famille le rejoindre à Alger. En contact avec des membres du FLN, il est menaçé par l’OAS et fait retour à Constantine.

À l’indépendance, au titre de la loi de 1963, Edith et lui ne demandent pas la nationalité algérienne, à la différence de William Sportisse. Demeurant communiste, Bernard a des doutes sur les possibilités démocratiques en Algérie. Il exerce cependant dans des postes de responsabilité de l’administration fiscale puis de l’administration communale au ministère de l’intérieur. Dans son livre d’entretiens (Le camp des oliviers, cf. Sources), son frère William conclut : "Ses préventions à l’égard du régime ne l’ont pas empêché de continuer à aimer l’Algérie, et de tout donner pour contribuer à l’édification de l’Algérie indépendante."

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article152322, notice SPORTISSE Bernard [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot et Jean-Louis Planche, version mise en ligne le 12 janvier 2014, dernière modification le 12 janvier 2014.

Par René Gallissot et Jean-Louis Planche

SOURCES : Liberté. –J-L. Einaudi, Un Algérien Maurice Laban. Le cherche midi éditeur, Paris, 1997. -Entretiens de J-L. Planche avec Bernard Sportisse, Vallauris (Alpes-Maritimes, France), 1989-1990. -William Sportisse, Entretiens avec Pierre-Jean Le Foll-Luciani. Le Camp des Oliviers. Parcours d’un communiste algérien. Presses universitaires de Rennes, 2012.

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