Par René Gallissot et Jean-Louis Planche
Né en décembre 1923 à Constantine : dirigeant de l’Union démocratique de la jeunesse du Constantinois puis dirigeant national ; membre de comité central du PCA et suppléant du Bureau politique ; permanent du PCA de 1948 à 1953 avant d’être chargé de l’émission en arabe de Radio Budapest en 1953-1954 ; organisateur clandestin du PCA à Constantine jusqu’à l’indépendance ; après 1962, citoyen algérien connaissant les vicissitudes des communistes algériens.
Dernier né des 9 enfants, en comptant les sœurs décédées, William Sportisse est littéralement le petit dernier des frères Sportisse ; à sa naissance, difficile, Lucien, l’aîné, avait 18 ans, instituteur révoqué, militant communiste exemplaire ; Bernard qui prendra la tête des Jeunesses communistes, a 6 ans ; mais cet écart fait que William sera en quelque sorte le continuateur de l’implantation communiste à Constantine.
S’il a des échos très fournis dans la famille, de l’attaque des Juifs et du quartier juif en août 1934, William qui n’a pas encore 11 ans, n’a rien vu puisque le quartier du Camp des oliviers où habitent les Sportisse, n’a pas été atteint ; il est cependant ému par la mort de Michel Attal, un cousin de sa mère et par les récits répétés. À l’école et dans les rues, il subit des atteintes conjuguées du racisme antijuif et de l’anticommunisme, visant ses frères. Mais il trouvera bientôt la camaraderie aux Jeunesses communistes.
Son premier prénom est Meyer pour marquer la référence juive ; son éducation sera partiellement religieuse ; il fait sa communion en 1936, un mois après la mort de sa mère, puis à l’exemple de ses fères et sœurs, se détache de la religion. En 1936, il entre au lycée de Constantine, le lycée d’Aumale, sans être particulièrement brillant. Il s’intéresse bien plus aux Brigades internationales et à la guerre d’Espagne, d’autant que de jeunes communistes de Constantine sont partis aux combats : Georges Raffini* communiste notoire, Simon Kalifa, juif communiste, et venant de Biskra, Maurice Laban* notamment. Georges Raffini, revenu en 1939, sera son guide vers le PCA. "Raffini m’a même associé en 1940 à une réunion de reconstitution de la direction, à laquelle participait Jean Torrecillas*, principal responsable du syndicat des dockers d’Oran" raconte William Sportisse dans ses entretiens. (Cf. Sources : Le camp des oliviers).
Le jeune homme assure les liaisons entre communistes à Constantine et colporte tracts et journaux, en apprenant à semer les policiers. Alors que ses deux frères sont en prison, par application des lois raciales de Vichy, William Sportisse est exclu du lycée à la rentrée de 1941 quand il allait passer en seconde. Il suit cependant des cours dans des classes de substitution à Sidi-Mabrouk, la ville du dépot des cheminots, base rouge. Il trouve une couverture en s’inscrivant aux Eclaireurs israélites de France, association maintenue.
Après le débarquement allié de novembre 1942, en 1943-1944, comme son frère Bernard, il est envoyé dans les troupes d’Outre-mer au Soudan (Maurétanie), ballotté de Dakar à Casablanca, Atar, à nouveau au Maroc avant d’être incorporé à l’armée française d’Afrique du Nord. Il combattra en France dans ce qui fut la poche de troupes allemandes dite poche de l’Atlantique. Pour visiter la tombe de son frère Lucien, il reste un temps dans le Sud de la France et à Marseille ; il fait retour en Algérie après les massacres de mai 1945. Il est démobilisé, fin septembre 1945. Dans ses entretiens plus de 60 ans après, il revient sur la carence qui fut celle des communistes, à ne parler que de la libération nationale de la France alors que Messali* et les militants du PPA (interdit) entendaient se battre pour l’indépendance de l’Algérie et de l’Afrique du Nord.
À Constantine, il prend le relais à la direction de la Jeunesse démocratique, pour le Constantinois qui continue les Jeunesses communistes. Après la première rencontre à Sidi-Fredj, il participe à la République des jeunes en 1946, ce rassemblement de 500 jeunes à Chréa, au-dessus de Blida. Il devient secrétaire national de l’Union de la jeunesse démocatique se partageant entre Constantine et Alger. Il assure la direction de la région constantinoise du PCA, secrétaire général régional et membre du Comité central depuis le congrès de 1947 du PCA. Il a fort à s’employer pour tenir au parti, les groupes communistes de Batna et des Aurès et plus encore celui de Biskra autour de Maurice Laban*. En 1951, il amortit les oppositions entre la direction du PCA à Alger et M. Laban partisan du boycott des élections, et en 1953 après le second blâme de Laban*, s’indigant de la négligence à parler de libération nationale algérienne. Il s’emploie à maintenir les liens avec les partis algériens, UDMA et MTLD ; il est proche de Redha Houhou, secrétaire général de l’Institut Ben Badis situant à gauche le mouvement des Oulémas.
En 1952-1953 il est envoyé à Alger travailler à l’hebdomaire du PCA Liberté. Cet apprentissage du journalisme lui servira quand de la fin de 1953 et en 1954-1955, il est à la radio communiste de Budapest, le journaliste des émissions de la "Voix de l’indépendance et de la paix" à l’adresse de l’Algérie et du Maghreb, pour sa connaissance de l’arabe dialectal. Il diffuse ainsi la proclamation du FLN appelant en novembre 1954 au soulèvement national et reprend les informations sur les opérations de guerre. A la fin octobre 1955, l’ambassadeur de France en Hongrie obtient la fin des émissions.
William Sportisse et sa femme sont de retour en Algérie à la fin de 1955. À Constantine, à partir de mars 1956, il renoue l’organisation du PCA, assurant l’impression bricolée et la diffusion de tracts et journaux ; en 1960, il est assisté de Jean-Pierre Saïd qui est libéré du camp de Lodi (Draa Essamar), et souvent hébergé et aidé par un couple de jeunes instituteurs : Jeanine Caraguel et Guy Fève.
Probablement en hommage à son frère Lucien, le bulletin du PCA s’appelle Le Patriote ; cette fois ces résistants sont des patriotes algériens. Il y aura 17 numéros. Face aux assasinats perpétrés par des Juifs armés les 12 et 13 mai 1956, le journal rappelle : "Le PCA qui rassemble dans ses rangs des Algériens de toutes origines a toujours mis en garde le peuple algérien contre tout acte inconsidéré pouvant servir le colonialisme dans sa politique de division des différentes couches ethniques composant notre peuple." Ce sera la ligne constante. Le Patriote fait la critique de la lenteur ou de la marche à retardement du général De Gaulle, mettant en avant les popositions du FLN.
William Sportisse abandonne la clandestinité et son déguisement ; il vote pour l’indépendance à Constantine avant d’aller s’installer à Alger en août 1962, toujours au service du PCA qui reste interdit. Il entre en 1963 à Alger Républicain, devenant responsable du secrétariat de rédaction. Il fit valoir ses droits à la nationalité algérienne qu’il obtient au bout de 3 années, sans jamais recevoir l’attestation.
Après le coup d’Etat de Boumédienne, il sera arrêté et subira la torture, ainsi que sa compagne Gilberte Chemouilli*, connaissant les prisons et les camps, et longuement la mise en résidence surveillée à Tiaret, retrouvant alors les communistes au PAGS. Employé dans une société nationale en 1974, il se résignera sous la menace des années noires, à quitter l’Algérie en 1994.
Par René Gallissot et Jean-Louis Planche
SOURCES : Liberté. –J.-L. Einaudi, Un Algérien Maurice Laban. Le cherche midi éditeur, Paris, 1997. -Entretiens de J-L. Planche avec Bernard Sportisse, Vallauris (Alpes-Maritimes, France), 1989-1990. -William Sportisse, Entretiens avec Pierre-Jean Le Foll-Luciani. Le Camp des Oliviers. Parcours d’un communiste algérien. Presses universitaires de Rennes, 2012.