WEISS Jean-Pierre, Antoine [Dictionnaire Algérie]

Par Madeleine Singer

Né le 20 mars 1930 à Colmar (Haut-Rhin, France) ; agrégé de grammaire, professeur au lycée Bugeaud à Alger, assistant à la Faculté des lettres ; membre du « triumvirat » qui, après la démission des secrétaires académiques successifs, les remplaça en 1959 à la tête du Syndicat général de l’Éducation nationale (SGEN) dans l’académie d’Alger, et fit partie en 1962-1963 du bureau provisoire de l’Association générale de l’enseignement public (AGEP).

Jean-Pierre Weiss était l’aîné des trois enfants d’André Weiss qui avait épousé Anne Schehin. Celui-ci fit toute sa carrière aux éditions Alsatia où il fut successivement typographe, journaliste, directeur du service de diffusion d’une revue et enfin chef du personnel. Il fut de 1950 à 1955 administrateur de la Caisse d’allocations familiales du Haut-Rhin et, de 1950 à 1968, membre du conseil d’administration de la Caisse primaire des assurances maladie de Colmar. Après des études dans une école primaire supérieure, Jean-Pierre Weiss passa un examen qui lui permit d’entrer en Cinquième au gymnase Martin Schongauer de Colmar où il fut reçu au baccalauréat en 1948. Il suivit alors les cours de la faculté des lettres de Strasbourg (Bas-Rhin), obtint la licence ès lettres classiques en 1952, le DES en 1953 et l’agrégation en 1956. Il avait pris en 1954 un poste de maître auxiliaire au collège de Barr (Bas-Rhin) d’où il passa au collège de Thann (Haut-Rhin). Il fut nommé à la rentrée de 1955, adjoint d’enseignement stagiaire au lycée Kléber de Strasbourg.

L’année suivante il rejoignit en qualité d’agrégé le lycée Bugeaud d’Alger. Il épousa en 1958 Françoise Betz qu’il avait connue à Strasbourg lorsqu’ils étaient étudiants. Celle-ci, reçue en 1957 au CAPES de lettres classiques, avait été nommée au collège de jeunes filles de Blida (Algérie) où elle adhéra au SGEN. Elle fut mutée pour la rentrée de 1958 au lycée Savorgnan de Brazza, à Alger.

Jean-Pierre Weiss fut nommé en 1962 assistant à la faculté des lettres d’Alger où il enseigna le latin. Il y faisait déjà depuis 1958 un cours de propédeutique tout en assurant au lycée Bugeaud une classe de Lettres supérieures. Il était en même temps chargé, à l’Institut d’études politiques d’Alger, de la conférence intitulée « Littérature et politique » et poursuivit cet enseignement après l’indépendance du pays, jusqu’à son départ de l’Algérie. Il fut muté en 1965 à la faculté des lettres et sciences humaines de Nice (Alpes-Maritimes, France) où il fut promu maître-assistant, puis maître de conférences. Il y prit sa retraite en 1995. Il avait soutenu en 1970 une thèse, Edition critique des homélies de Valérien de Cimiez, évêque de Cimiez au Ve siècle. A cette époque il y avait à la fois un évêque de Nice et un évêque de Cimiez ; cette localité est aujourd’hui un quartier de Nice.

Membre de 1969 à 1980 du conseil de la faculté des lettres et sciences humaines de Nice, Jean-Pierre Weiss fut d’abord pendant deux ans assesseur du doyen de ladite faculté, puis lui-même doyen de 1971 à 1978, tout en étant de 1971 à 1980 membre du conseil d’administration de l’Université. Il fut en même temps de 1971 à 1980, puis de 1981 à 1993, membre du Conseil scientifique de son Université, lequel a la charge d’organiser la recherche et d’en ventiler les crédits ; il appartint au bureau de ce Conseil pendant les douze dernières années. En outre la faculté des lettres et sciences humaines ayant, comme la loi l’y autorise, créé un Conseil scientifique. J-P. Weiss en fut membre de 1969 à 1978, puis de 1981 à 1995.

Il appartint par ailleurs de 1978 à 1981 au conseil d’administration du Centre universitaire méditerranéen, créé dans les années 30 par Paul Valéry, pour promouvoir à Nice un minimum de vie intellectuelle de haut niveau à une époque où l’Université n’existait pas dans cette ville. Ce Centre organise encore actuellement des conférences, en particulier autour de « noyaux » appelés chaires, telles que la chaire Platon animée par un professeur de grec moderne. Jean-Pierre Weiss fut également membre du comité d’organisation des Assises régionales de la recherche, suscitées en 1981 par Jean-Pierre Chevènement*, ministre de l’Éducation nationale et de la Recherche. Ces Assises régionales, sises à Marseille (Bouches-du-Rhône) pour la région Provence- Côte-d’Azur, furent suivies d’Assises nationales chargées d’en faire la synthèse.

Jean-Pierre Weiss, lorsqu’il était étudiant, lisait Le Monde, France-Observateur, Esprit, Les temps modernes, Les nouvelles littéraires. Il adhéra au SGEN dès qu’il occupa un poste de maître auxiliaire car il était séduit par le caractère général du Syndicat et recherchait un syndicat laïc qui ne fut pas laïciste. Quand il arriva au lycée Bugeaud en 1956, il était le seul membre du SGEN si l’on excepte un adhérent qui se trouvait à l’annexe Ben Aknoun du lycée et qui lui confia la responsabilité de secrétaire d’établissement ; il la conserva jusqu’à son départ pour la Faculté. Il constitua une petite section qui gagna en dynamisme, dit-il, lorsque l’année suivante Jean Oliviéri* fut nommé au lycée Bugeaud.

Or depuis 1956 les secrétaires académiques successifs du SGEN à Alger quittaient les uns après les autres leur fonction car ils n’approuvaient pas la politique algérienne du SGEN. Quelques mois avant l’arrivée de J.-P. Weiss en Algérie, un texte voté le 25 juin 1956 par le bureau académique associé aux élus SGEN des commissions administratives paritaires académiques (CAPA) protestait contre la motion du comité national du 10 juin qui demandait « l’élaboration entre la nation française et les peuples d’Outre-Mer de rapports nouveaux fondés sur la compréhension du processus mondial de décolonisation ainsi que des mouvements nationalistes qui se développent dans les territoires sous-développés ». C’est ainsi que L. Vandevelle passa en juillet 1956 sa fonction de secrétaire académique à Sintes ; celui-ci quitta le SGEN en janvier 1958 et fut remplacé par Jean-Jacques Soléri, professeur de philosophie dans un lycée franco- musulman. Ce dernier, à la rentrée de 1959, prévint entre autres J-P. Weiss qu’il abandonnait sa fonction. Il projetait de faire construire un immeuble pour les fonctionnaires et avait de la peine à s’inscrire dans une perspective d’indépendance où la France n’aurait plus de rôle en Algérie. D’ailleurs à cette époque, il était devenu le seul membre du bureau académique. Une assemblée générale des adhérents SGEN eut lieu le samedi 10 octobre 1959 au local de la CFTC à Alger. Elle permit la constitution d’un bureau académique de dix personnes, bureau dont J-P. Weiss, J. Oliviéri* et Suzanne Bouveret*, directrice du lycée franco-musulman de Kouba, commune suburbaine d’Alger, prirent la tête.

Le « triumvirat » vécut alors une période difficile pendant laquelle ils se répartirent les tâches, Suzanne Bouveret* se chargeant des relations avec Paris. Ils allèrent aussitôt annoncer au Rectorat le départ de Jean-Jacques Soléri et présenter le nouveau bureau ; ils furent reçus par l’inspecteur d’académie Lanly, détaché au Rectorat pour le Premier et le Second degré. Celui-ci fut pour eux un interlocuteur de très grande qualité quoique, à cause d’un conflit avec le SNES, il dut leur annoncer qu’il ne les recevrait plus, les représentants syndicaux devant dès lors poser leurs questions par écrit. Mais en janvier 1960, les relations avec le Rectorat redevinrent normales : Jean-Pierre Weiss et Jean Oliviéri* eurent avec M. Lanly une « entrevue agréable et cordiale ». Tous deux faisaient les démarches nécessaires pour sauvegarder les intérêts de l’ensemble de leurs collègues : promotions, mutations, nominations, etc.

Les membres du bureau devaient en même temps réorganiser la section. Le compte courant du SGEN à Alger était bloqué car le trésorier démissionnaire Vandenhove avait la signature. Il fallut une attestation de Paul Vignaux annulant ladite signature et donnant le pouvoir aux deux signataires indiqués par Suzanne Bouveret* car celle-ci jugeait plus prudent de ne pas en avoir un seul. L’effort du triumvirat portait aussi sur la propagande et le rassemblement des adhérents. Le 19 janvier 1960, Suzanne Bouveret* pouvait annoncer à Paris que les effectifs avaient été « bien reconstitués », avec « un noyau d’adhérents conscients qui suivent attentivement et la situation politique et l’évolution syndicaliste et les affaires algériennes ». Peu après le dimanche 24 janvier, des barricades s’élevèrent à Alger dans le quartier des facultés. Dans la nuit, le général de Gaulle, président de la République, adjura ceux qui se dressaient à Alger contre la patrie, « de rentrer dans l’ordre national ». Le 29 janvier, il s’adressa au Français d’Algérie et à l’armée : « L’autodétermination est la seule issue possible ». « Aucun soldat ne doit, sous peine de faute grave, s’associer à aucun moment, même passivement, à l’insurrection ». Les insurgés se rendirent le 1er février. Mais sans attendre l’issue de la crise, le bureau académique SGEN d’Alger avait voté le jeudi 27 janvier — alors jour de congé — une motion où il « réaffirmait avec force son attachement à la politique d’autodétermination définie par le gouvernement légal du pays » et « voyait uniquement dans l’insurrection algéroise une tentative contre la France et la démocratie fomentée par certains éléments européens extrémistes sans aucune participation musulmane ». Ce texte fut publié en première page de Syndicalisme universitaire le 17 février 1960 ; le bureau national l’accompagna d’un « hommage à l’indépendance d’esprit et au courage » dont les camarades d’Algérie « viennent de faire preuve une fois de plus ».

En avril 1960 se tint à Besançon (Doubs) le congrès national du SGEN. Jean-Pierre Weiss y participa avec Yves Vié Lesage*, secrétaire départemental à Oran (Algérie) qui venait, quand il le pouvait, assister aux réunions à Alger du bureau académique. D’après Le Comtois du 7 avril, c’est Jean-Pierre Weiss qui présida la séance de clôture du congrès. Lors de l’assemblée générale du SGEN à Alger, le 20 octobre 1960, Jean Oliviéri* fut élu secrétaire académique après que J-P. Weiss eut présenté le rapport moral où il fit état des difficultés rencontrées en octobre 1959 pour assurer la continuité de l’action du SGEN en Algérie. J. Oliviéri* m’écrivit plus tard qu’il avait assumé sa fonction avec « l’appui fidèle et solide de Weiss et de Madame Bouveret ». Avec Jean-Pierre Weiss, il constitua les listes de candidats pour les élections aux CAPA du 21 mars 1961, étant eux-mêmes têtes de liste, l’un pour les agrégés, l’autre pour les certifiés. Ce ne fut pas une mince affaire car ils étaient ultra-minoritaires ; aussi n’eurent-ils pas d’élus. À partir de cette époque, on ne pouvait sur place que se taire et se terrer. Les activités syndicales étaient en sourdine : les positions nationales suffisaient à les mettre en danger sans qu’ils aient à les renforcer par des déclarations locales. Aussi leurs réunions étaient quasi confidentielles : ils se contentaient de maintenir le Syndicat aux yeux des autorités académiques comme des collègues. La prudence était de règle, même dans la correspondance avec Paris.

Le premier semestre 1962 fut une période dramatique. L’OAS (organisation armée secrète), groupement constitué en février 1961 par les partisans irréductibles de l’Algérie française, multipliait les attentats : on tira sur la voiture que conduisait le secrétaire SNES du lycée Bugeaud, avec sa femme à ses côtés. Les deux passagers furent blessés, mais pas trop grièvement, les balles ayant passé pour l’essentiel entre leurs sièges. À partir de là, il pouvait y avoir danger pour Jean-Pierre Weiss et Jean Oliviéri*. Par une note du 5 mars 1962, Paul Vignaux sollicita du ministre le retour de ce dernier en métropole, J-P. Weiss dont la femme enseignait aussi à Alger n’ayant pas demandé à partir. Les vacances de Pâques furent avancées en Algérie de quelques jours, vu la tension qui y régnait : le 17 mars, on annonça qu’elles débuteraient le lendemain. Le ménage Weiss réussit le 18 à prendre un bateau pour la France, avec Jean Oliviéri* accompagné de sa femme et de sa fille. Vers le matin un message du capitaine leur apprit que les accords d’Evian (Haute-Savoie) venaient d’être signés entre le gouvernement français et le GPRA (gouvernement provisoire de la république algérienne).

Revenu en Algérie à l’issue des vacances, Jean- Pierre Weiss eut une autorisation d’absence établie par le Recteur pour assister au congrès SGEN qui se tint à Marseille (Bouches-du-Rhône) du 14 au 17 avril 1962. Il était alors le seul responsable du Syndicat en Algérie car J. Oliviéri* n’était pas rentré, pas plus que d’autres enseignants du lycée Bugeaud, parmi ceux qui se sentaient les plus exposés. Aussi l’enseignement fut-il désorganisé car on ne pouvait remplacer les professeurs absents et les familles de « Pieds noirs » commençaient à partir. L’OAS tirait comme des lapins les Arabes qui se risquaient au centre de la ville. Le lycée où enseignait Madame Weiss, finit par fermer parce qu’il fut victime d’une explosion. Fin juin le lycée Bugeaud fut officiellement fermé. Après avoir cherché en vain une place de bateau pour sa voiture, Jean-Pierre Weiss finit par accéder avec sa femme à l’aéroport militaire de Blida ; ils débarquèrent en France le 28 juin 1962.

Quand ils revinrent en Algérie pour la rentrée du 1er octobre, les syndicats français ne pouvaient plus exister dans un pays devenu indépendant. Une assemblée générale des adhérents SGEN eut lieu à Alger le dimanche 11 novembre 1962 ; elle avait pour objet de transformer la section académique en une association qui prit le nom d’Association générale de l’enseignement public, de la recherche et de la coopération technique (AGEP). On instaura un bureau provisoire dans lequel Jean-Pierre Weiss représenta l’Enseignement supérieur et fut chargé de suivre la question des traitements, comme on le voit par le compte rendu de la réunion du bureau, le 10 janvier 1963. Il ne fut plus candidat lors de l’élection du bureau définitif, le 24 mars 1963, car il n’approuvait pas le communiqué du 20 mars dans lequel l’AGEP évoquait notamment l’explosion atomique qui venait d’avoir lieu au Sahara. Sa thèse était que sur le sol algérien, des étrangers devaient se comporter avec discrétion et éviter toute prise de position concernant la politique étrangère de la France. Mais il resta membre de l’AGEP jusqu’à son retour en France en 1965.

Il réadhéra alors au SGEN et y demeura comme retraité sans toutefois exercer de responsabilité. Il consacra en effet ses loisirs au travail intellectuel : en 2000, il faisait encore bénévolement un cours d’agrégation et participait à une équipe de recherche sur le Moyen-Age. Au cours des années difficiles de la guerre d’Algérie, il avait joué un rôle essentiel pour maintenir la section académique dans la ligne définie par le SGEN national. Il était officier des Palmes académiques et officier de l’Ordre national du mérite.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article152445, notice WEISS Jean-Pierre, Antoine [Dictionnaire Algérie] par Madeleine Singer, version mise en ligne le 15 janvier 2014, dernière modification le 8 septembre 2020.

Par Madeleine Singer

SOURCES : M. Singer, Le SGEN 1937-1970, Thèse Lille III, 1984, 3 vol. (Arch. Dép. Nord, J1471) ; Histoire du SGEN, Presses universitaires de Lille, 1987. —Syndicalisme universitaire (1956-1963). — Lettres de Suzanne Bouveret au bureau national, 23 novembre 1959, 19 janvier 1960. — Lettres de J.-P. Weiss à M. Singer, accompagnées de nombreux documents sur le congrès SGEN de 1960, sur la section académique SGEN d’Alger et sur l’AGEP, 3 octobre 1995, 11 octobre 1995, 13 février 1997, 1er décembre 1999, 9 février 2000, 23 février 2000 (archives privées).

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