CARMONA Joséphine [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Née le 7 août 1919 à Oran, décédée le 27 février 2015 ; ouvrière lingère, militante des JC puis du PCA ; arrêtée en 1956 et condamnée pour son soutien à la lutte armée, transférée en France.

Les parents étaient arrivés à Oran en 1913-1914. Anarcho-syndicaliste recherché par la police, le père était venu s’y abriter. Il exerce le métier de boulanger puis tient une petite bimbeloterie. Avec les naissances en Algérie, il y aura sept garçons et trois filles : la famille vit à douze dans deux pièces et on ne parle longtemps qu’espagnol. Trois frères (Daniel, Faustino et Mathias) sont allés combattre en Espagne en 1936 contre la reconquista par l’armée de Franco.

À la mort de son père en 1931, la fillette arrête l’école française de quartier. Elle a douze ans et va travailler dans des ateliers de couture, atelier de mode pour des femmes de colons qui veulent faire paraître leur richesse ; son éducation de classe en est confirmée comme la conscience de l’écart avec la société algérienne. Dans son souvenir, la première manifestation à laquelle elle participe – elle a quatorze ans – est le cortège de l’enterrement du syndicaliste oranais tué à Paris lors de la manifestation du 9 février 1934, appelée par la CGT, la CGTU, la SFIO et à laquelle s’est joint le Parti communiste. Vincent Pérez, cheminot militant à la CGTU est enterré à Oran le 11 mars 1934. Une version communiste rétroactive attribue sa mort aux hommes de main de J. Doriot* qui à cette date n’est pas encore exclu du PC.

C’est en cette année 1934 que Joséphine Carmona commence à militer aux Jeunesses communistes, parmi lesquelles les filles sont encore rares. Plus tard quand, avec le Front populaire, le PCF dira les Jeunes filles de France, elle protestera contre cette appellation. De toute façon pour la famille, la guerre d’Espagne passe avant.

Elle connaît au PC, celui qui devient son mari le 7 octobre 1939. Le PCA est interdit et sa sœur Lucie emprisonnée. Elle part au Maroc pour voir son mari mobilisé ; le retour n’est plus possible et le jeune couple reste bloqué à Rabat où naît un fils en 1943. Avec l’armée d’Afrique du nord reconvertie, le mari fait les campagnes d’Italie et de libération de la France. En 1946, Joséphine le rejoint à Paris où il va rester, reprenant son métier de comptable et membre du PCF. Après séparation, Joséphine rentre à Oran en 1953 avec son fils, retrouve un travail de lingerie et le militantisme au PCA.

En 1955, les dirigeants clandestins du PCA, qui se cachent à Alger et se décident aux contacts avec le FLN, font appel aux militantes oranaises pour venir à Alger apporter leur aide et tout particulièrement couvrir les déplacements en se faisant accompagner de jeunes femmes. Sadek Hajerès est ainsi accompagné de Joséphine Carmona dans les réunions qui se tiennent notamment chez Annie Steiner, une catholique active dans les Centres sociaux.

Outre au recueil de médicaments, plus lourdement, elle participe aussi à la distribution et expédition des armes qui proviennent du camion livré par Henri. Maillot*. Elle est arrêtée par la DST chez une nièce où elle loge, le 8 septembre 1956. En chargeant le dossier, d’aide à association de malfaiteur, les policiers cherchent où sont passées les armes jusqu’à Tlemcen (réseau communiste autour des Guerroudj*) ; ils veulent aussi établir les liens avec le réseau des catholiques qui soutiennent le FLN. Si Joséphine Carmona n’est pas torturée, elle reçoit gifles, coups de pied et coups de poing pour lui faire avouer l’adresse de son frère curé ; en vain. Les interrogatoires se poursuivent dans « les caves du Trésor » (sous-sol du Trésor public) à Oran.

Joséphine Carmona reste à la prison d’Oran du 18 septembre 1956 au 8 mars 1958. Émile Pellegrin, l’ami de Joséphine Carmona alors en liaison avec l’ALN, est selon Joséphine, « abattu par le FLN » sur son apparence « européenne » au sortir d’une visite à la prison ; son frère Jordano, communiste, est tué plus tard dans un attentat. « Deux bavures dans ma propre famille. » Joséphine est condamnée par le Tribunal des forces armées en juillet 1957 à huit ans de prison. Défendue par les avocats venus de Paris, Me Paul Viennet et Me Nicole Dreyfus, le procès est cassé pour vice de forme. En janvier 1958, la peine est ramenée à cinq ans. Elle sera ensuite transférée à la prison de la Petite Roquette à Paris puis à la Maison d’arrêt de Rennes et à Pau. À partir d’octobre 1960, elle est assignée en résidence surveillée à Moissac jusqu’à sa remise en liberté en septembre 1962.

Bien que faite ancienne moudjahidate, elle reste en France dans le logement que lui a procuré le PCF à Ivry-sur-Seine dans la cité Gagarine (au-dessus des voies de chemin de fer), pour suivre les études de son fils et l’assister ensuite en grand-mère. Elle sera encore lingère, mais à la clinique de Choisy après 1969, participera à la mise au point d’un nouveau tissage de draps pour les alités et s’occupera des enfants du quartier. Elle quitte le PCF après les révélations sur Staline ; faute de mieux, elle continuera néanmoins à voter communiste.

Traversant la guerre avec moins d’encombre, seul le frère curé, sensible à la lutte algérienne, de « la clique à Mgr Duval » dit sa soeur cadette irrespectueuse, est resté vivre en Algérie après l’indépendance.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article152701, notice CARMONA Joséphine [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 24 janvier 2014, dernière modification le 3 mars 2015.

Par René Gallissot

SOURCES : Témoignages de J. Carmona, J. Guerroudj, G. Jimenez dans A. Dore-Audibert, Des Françaises d’Algérie dans la guerre de libération. Karthala, Paris, 1995.

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