CASANOVA Laurent [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né le 9 octobre 1906 à Souk-Ahras, mort le 20 mars 1972 à Paris. Étudiant en droit à Paris, chargé vers 1930 du travail d’agit-prop en direction des soldats, permanent du PC depuis 1933, dernier responsable du travail anti-impérialiste, appareil communiste supprimé en 1935. Sans titre, secrétaire personnel et intime du Secrétaire général du PCF ; a certainement préparé le discours sur la nation algérienne en formation, prononcé à Alger en février 1939 par Maurice Thorez* qu’il accompagne. Membre du Comité central du PCF depuis 1945 ; député de Seine et Marne en 1946, ministre des Anciens Combattants et victimes de guerre. Proche collaborateur de Maurice Thorez jusqu’en 1953, membre suppléant depuis 1947 du Bureau politique, titulaire en 1954. Exclu du BP en février 1961 (affaire Servin-Casanova) pour avoir soutenu une vision plus ouverte du PCF pour sortir du stalinisme, regarder vers le mouvement étudiant, ne pas être pris de cours par De Gaulle dans une reconnaissance de l’indépendance algérienne. Resté en silence membre du PCF.

De son enfance à Souk-Ahras, Antoine, Laurent, Casanova, appelé Laurent pour ne pas être confondu avec son père, conserve le souvenir des grèves de cheminots de 1920 ; son père fut délégué du comité de grèves. Il dira avoir gardé aussi le souvenir des ravages de la famine en 1924. Boursier d’État au lycée de Bône (Annaba), il a retenu la vulgate coloniale qui tient lieu d’histoire de l’Algérie, faite de la succession en terre berbère, des conquêtes phénicienne, romaine, byzantine, arabe musulmane, turque ottomane, avant l’établissement après la conquête française, du peuplement mêlé méditerranéen maltais, italien, corse, espagnol…. En son oralité emphatique qui se veut elle aussi méditerranéenne, il se dira « enfant de Souk-Ahras » ; « Européen » se croyant Algérien, il ne cessera de dire « mon peuple » jusque dans les années de la guerre de libération. 

Il quitte l’Algérie pour faire des études de droit à Paris ; il fréquente les réunions de l’Union fédérale étudiante et plus particulièrement le cercle des étudiants corses ; c’est là qu’il rencontre en 1928, Vincentella Périni, fille d’instituteur d’Ajaccio qui suit des études dentaires. Déjà animatrice des Jeunesses communistes elle vient de recevoir sa carte du parti, des mains d’un dirigeant instructeur qui se nomme Victor Michaut. Au sens propre du mot, l’accompagnant pour qu’il retire sa carte, c’est elle qui conduit Laurent Casanova au parti en janvier 1929. Ils se marient en décembre 1933 ; elle est connue sous le nom de Danielle Casanova.

Combative, elle était déjà en 1931, membre du bureau de la Région parisienne des JC ; elle est alors versée à l’appareil illégal de la Jeunesse, auprès de Raymond Guyot qui sera arrêté en juin 1932. Elue au CC et au Bureau des JC, c’est sur elle que reposent le travail antimilitariste et le travail colonial comme on dit à l’époque, principalement à l’adresse de l’immigration nord-africaine. Elle participe ainsi à la rubrique coloniale du journal des JC : L’Avant-garde. En 1935, après un séjour à Moscou, elle entre à l’exécutif de l’Internationale communiste des Jeunes. Avec le Front populaire, les PC reprennent le discours national. La responsable des JC se trouve en décembre 1936 avec Claudine Chomat qui vient d’épouser Victor Michaut, et Jeannette Vermeersch, compagne de Maurice Thorez, à la fondation de l’Union des Jeunes Filles de France dont elle devient la Secrétaire générale.

Licencié en droit, ayant accompli son service militaire, Laurent Casanova fut associé au travail en direction des soldats et des « coloniaux » ; en 1933, il devient permanent du PC et chargé de diriger ce secteur de l’agit-prop. (agitation-propagande) en direction des soldats et qui doit aussi conduire l’action anticolonialiste. Cet appareil est placé sous la direction du responsable des JC, mais avec la liquidation du groupe des Jeunesses, sauf quelques exceptions, il passe sous le contrôle du nouveau Secrétaire général du parti en 1934 : Maurice Thorez. En 1935, suivant l’IC et la stratégie de Staline, les Partis communistes et parmi les premiers, le parti français (à la suite des accords Laval-Staline), se rallient à la défense nationale ; Laurent Casanova est ainsi le dernier responsable de ce « travail antiimpérialiste » dont la section disparaît en 1935. Toutes les positions contre l’Union sacrée et la dénonciation de la guerre de 1914 sont mises en retrait ; au lendemain du 11 novembre 1935, L’Humanité porte en manchette : « Le poilu a retrouvé ses camarades ».

En février 1936, Laurent Casanova prend place dans le bureau de Maurice Thorez au siège du PC à Paris, 120 rue Lafayette ; l’année suivante, le PCF occupera tout un immeuble carrefour de Châteaudun au 44 rue Le Peletier (« le 44 »). Au centre, le bureau de Thorez, et sans titre ni fonction déléguée, Laurent Casanova, secrétaire personnel, inscrit à toute fin utile au barreau de Paris ; il prépare les rapports et les notes, reçoit ; le premier collaborateur donc ; sa mission est de faire le lien entre la direction du parti et les parlementaires. La familiarité devient très forte ; « les Thorez » (Maurice Thorez, Jeannette Vermeersch et les enfants), vont passer les vacances en Corse avec « les Casanova » à la maison des parents de Danielle Casanova. Les femmes sont des battantes, tout en nerfs ; les hommes ont la poigne chaleureuse ; Laurent Casanova en impose par sa prestance et séduit par l’ampleur du propos, le plaisir de l’enveloppement par la phrase.

Bien qu’il préfère la parole à l’écriture, il est certainement le principal auteur du texte prononcé au meeting du 11 février 1939 à Alger sur la nation algérienne en formation dans le mélange de vingt races, ce creuset en devenir où se fondent les peuplements successifs, « juifs » et « européens » compris, par le miracle de la dissolution des rapports de domination coloniale. L’essentiel est d’appeler à l’Union avec la France dans le combat antifasciste.

Au retour d’Algérie où il assiste donc Maurice Thorez*, Laurent Casanova, faire valoir de la direction du parti, est envoyé à Moscou pour porter les résolutions et documents du PCF à l’issue du Comité central de mai ; il dira son émerveillement à rencontrer les paysans qu’on lui a présentés en cette première tournée en URSS. En revenant de Moscou, il fait le compte rendu du déplacement de Maurice Thorez en Algérie dans les Cahiers du bolchevisme (n° d’octobre 1939) : « Nous travaillons à la création d’une communauté française, métropole et colonies formant un bloc capable de résister au plan d’hégémonie du racisme hitlérien ». C’est dire qu’au revers de la guerre d’Espagne, face au fascisme mussolinien et en redoutant l’influence des puissances de l’Axe sur le monde arabe et musulman, par l’union avec la France, l’Afrique du Nord est centrale dans le tout de la stratégie communiste soviétique.

Mobilisé à l’ouverture de la guerre en septembre 1939 alors que le PCF est interdit, fait prisonnier, Laurent Casanova réussit à la 2e reprise, son évasion d’Allemagne pour arriver à Paris le 1er Mai 1942 et apprendre l’arrestation de Danielle Casanova qui va être déportée à Auschwitz et mourir du typhus en janvier 1943. Le PCF en fera l’héroïne de la Résistance française. Il se joint, sans fonction propre mais il représente en quelque sorte Maurice Thorez, aux dirigeants des FTP, que sont Pierre Villon et Charles Tillon. Il retrouve aussi Claudine Chomat qui est la tête des Comités féminins de Résistance, qu’il épousera en secondes noces après la guerre. Entré au Comité central en 1945, devenu député de Seine-et-Marne en 1946, après le retour d’URSS de Maurice Thorez, il deviendra ministre des Anciens combattants et victimes de guerre dans deux gouvernements couvrant l’année 1946.

En 1947, il devient membre suppléant du Bureau politique. Le couple Casanova– Chomat retrouve la proximité du couple Thorez-Vermeersch en pratiquant la promenade en montagne dans les Alpes. Dans le durcissement de la guerre froide, Laurent Casanova exerce à la direction du parti, la tutelle des intellectuels communistes ; il impose la ligne que Jdanov définit à Moscou au nom du magistère du matérialisme scientifique stalinien qui oppose la science prolétarienne, seule science, à la science bourgeoise qui n’est qu’idéologie. Comme Jdanov, il fait la leçon au nom de l’esprit de parti ; il introduit en France, les élucubrations des prétendues théories de l’hérédité de Lyssenko malmenant le biologiste Marcel Prenant (père d’André Prenant*). Incorporant l’idéologie nationale au marxisme, en fait une orthodoxie soviétique, il trace la ligne dans la brochure qu’il donne aux éditions du parti : Le Parti communiste, les Intellectuels et la Nation. Il se drape en intellectuel en participant à l’accusation et à l’éviction en 1952 d’André Marty* et Charles Tillon.

Des tensions semblent apparaître malgré l’affection entre M.Thorez et lui, à travers les interventions autoritaires de J.Vermeersch et dans les rapports entre celle-ci et Claudine Chomat, d’autant que Maurice Thorez frappé d’hémiplégie est soigné en URSS. Cependant, c’est Laurent Casanova qui est appelé à Moscou en avril 1953, pour accompagner Maurice Thorez lors de son retour qui le fait reprendre plus directement la direction du parti. Travaillant à temps très partiel, Maurice Thorez confie son secrétariat personnel à Georges Cogniot, bourreau de travail et tête très pleine. Laurent Casanova est envoyé représenter le PCF dans les instances du Mouvement de la paix et au Conseil mondial de la paix.

Au moment du XXe congrès du PC soviétique en février 1956 et en mars, quand Maurice Thorez et la direction du PCF font approuver par les parlementaires communistes, les pouvoirs spéciaux pour le maintien de l’ordre en Algérie, Laurent Casanova est absent dans une passe de santé difficile. Victime d’une infection rénale, il subit en avril, l’ablation d’un rein et passe sa convalescence en Corse. Claudine Chomat lui demande de venir assister au Havre à la mi-juin au 14e congrès du PCF ; il est présent sans jamais intervenir. Il est vrai que la contestation des thèses a été circonscrite avant le congrès qui écarte le débat sur le stalinisme, la mise en cause du vote des pouvoirs spéciaux, l’abandon du mouvement des rappelés. La seule modification concédée est celle d’enlever l’adjectif française dans la finalité maintenue de l’Union pour Union française. En s’immobilisant la direction communiste cherche à conjurer la crise ouverte avec la jeunesse et, particulièrement, le mouvement étudiant, comme avec la critique intellectuelle à l’intérieur du parti, sans parler des reculs électoraux qui vont être niés.

Or ce sont sur ces points que Laurent Casanova va entrer en divergence ; fort lentement. Il faut attendre le retour de De Gaulle après le 13 mai 1958, puis le discours sur l’autodétermination de l’Algérie en septembre 1959, et la poussée de l’UNEF en 1960 que veut accompagner l’Union des étudiants communistes. Quelle place occupe la question algérienne ? Pour se faire une idée, faut-il se fier aux fuites de témoignages dans ces opérations internes aux organismes du parti ? Tout se passe dans le secret intérieur et entre dirigeants soupçonneux qui tiennent leur place, leur rang et leur subsistance et substance même du parti. L’Algérie en guerre n’est pas centrale alors même qu’elle fait l’actualité et qu’elle dresse la scène pour répondre aux coups de force des ultras ; la priorité est de se rassembler dans un front, organiser les manifestations de masse, franchir la course d’obstacle que tracent les referendums gaullistes. Pour parodier M.Thorez donnant la clef de l’approbation des pouvoirs spéciaux, elle n’est que « la partie » quand « le tout », pour les protagonistes dirigeants, est l’avenir du parti et le leur, dans les incertitudes de l’évolution en URSS et dans le camp socialiste, et à la marge du communisme chinois.

Comme Waldelk-Rochet réceptif mais ne s’exprimant guère, comme Marcel Servin prenant plus de risques, Laurent Casanova souhaite certainement que le communisme se mette en mouvement sans sacrifier son amitié pour Maurice Thorez, sans rompre le parti ou avec le parti. Il est à l’écoute des Étudiants communistes qu’il apparaît piloter, regarde ce qui se passe dans le soutien au combat des Algériens sans quitter la position de parti qui rejette l’insoumission (Manifeste des 121), attentif aux déclarations d’Aragon qui veut élargir le dégel soviétique ; il suit les analyses qui prennent en compte les transformations de classes (le débat sur les classes nouvelles) dans la société de croissance et non de paupérisation absolue ; il accompagne la réflexion de la revue Economie et politique avec Jean Baby, Henri Denis, Jean Pronteau, qui manifeste l’étroitesse d’une limitation aux trusts des cent familles françaises, dans la version provinciale du « capitalisme monopoliste d’État », d’État français, à l’heure du capitalisme monopoliste mondial.

Il va jusqu’à mettre en question l’appel à « la grandeur française » que prononce encore M.Thorez et qu’il a pratiqué lui-même depuis 1936. Sa vision politique du gaullisme est mieux connue ; De Gaulle ne se réduit pas à la formule de l’homme du capital français ; il est susceptible d’un redéploiement en dénouant l’enfermement de la domination coloniale en Algérie pour préserver quelque marge de manœuvre par rapport à l’unilatéralisme de l’hégémonie des États-Unis. La place de l’Algérie n’est que partielle ; et tout est subordonné au devenir du parti.

Il se peut que l’attribution par l’entremise d’Aragon, du prix Lénine de la paix en décembre 1960 en le situant publiquement et internationalement dans le camp de la révision khrouchtchévienne du stalinisme, ait précipité sa mise à l’écart. Le Comité central du PCF réuni le 24 février 1961 prononce l’exclusion du Bureau politique de Marcel Servin et de Laurent Casanova. Waldek-Rochet va devenir Secrétaire général adjoint, ce qui le dissocie et entérine la perpétuation de Maurice.Thorez. Le 16e congrès en mai confirme les évictions et promeut secrétaire à l’organisation, Georges Marchais qui est dans le sillage de Jeannettte Vermeersch et sans réélire au Comité central les condamnés, ni Claudine Chomat.

Celle-ci demeure au parti tout comme Laurent Casanova qui ne s’est pas plié à l’autocritique. À ses obsèques organisées par la Fédération de Paris en mars 1972, s’exprimant au nom du Comité central, Laurent Leroy dira juste, en attribuant ce silence à « son esprit de parti ». Silence qu’il n’a rompu que pour approuver l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie en 1968. L’esprit de parti qu’il a acquis depuis son incorporation de jeunesse, est de faire corps avec le corps du parti.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article152711, notice CASANOVA Laurent [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot , version mise en ligne le 24 janvier 2014, dernière modification le 8 février 2021.

Par René Gallissot

SOURCES : Témoignages et confidences rapportées par Ph. Robrieux, Maurice Thorez. Vie secrête et vie publique. Fayard, Paris 1975 et P. Daix, J’ai cru au matin. Robert Laffont, Paris 1976. — Archives citées dans la notice par J. Maitron, et C. Pennetier dans Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, op.cit., t.21 et par C.Pennetier Komintern : l’histoire et les hommes. Dictionnaire biographique de l’Internationale communiste. L’Atelier, Paris 2001.

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