PETITE Jean, Noël

Par Alain Dalançon, Pierre Petremann

Né le 9 décembre 1924 à Paris (XIIIe arr.), mort le 30 mai 2014 à Newcastle (Angleterre) ; professeur de philosophie ; militant de la JEC, Résistant de « Défense de la France », fondateur du JLN ; militant syndicaliste, secrétaire de la section départementale du Calvados de la FEN (1961-1966), secrétaire de la section académique de Caen du SNES (1964-1966), secrétaire national pédagogique (1967-1981), secrétaire général adjoint (1981-1985) ; secrétaire général de la FIPESO (1982-1986) ; militant du PSU puis du PS, animateur de « Démocratie et Université » ; militant du Mouvement de la Paix et de l’Appel des cent.

Jean Petite
Jean Petite
Congrès SNES 1970

Le père de Jean Petite, originaire du Doubs, qui avait combattu à Verdun et aux Dardanelles, s’engagea après la guerre 1914-1918 dans la Garde républicaine où il devint officier. Sa mère, originaire de Cosne-sur-Loire (Nièvre), était titulaire du brevet supérieur. Ses parents lui donnèrent une éducation catholique et l’envoyèrent commencer sa scolarité à l’école privée Pierre de Luxembourg à Issy-les-Moulineaux (Seine), près du Grand séminaire. Mais après les événements de février 1934, il fut envoyé en classe de septième au lycée public Jules Michelet de Vanves (Seine) où il demeura jusqu’en troisième, tandis que sa sœur fut scolarisée au lycée Camille Sée.

Durant la « drôle de guerre » en 1939-1940, sa famille préféra éloigner les enfants de la capitale, de sorte qu’il effectua sa seconde au collège de Cosne-sur-Loire. Il revint en classe de première au lycée Michelet en 1940-1941, changea d’établissement pour faire sa « philo » en 1941-1942 au lycée Louis le Grand où il entra, après l’obtention du baccalauréat, en hypokhâgne à la rentrée 1942. Son père avait démissionné de la Garde républicaine, pour devenir chef de la sécurité des musées de France ; la famille habita donc, à partir de septembre 1942, dans un logement de fonction au Louvre.

Au cours de cette période, Jean Petite trouva dans le militantisme à la fédération de Paris de la Jeunesse des étudiants catholiques « le fil conducteur qui lui manquait entre religieux et politique », grâce au père jésuite Bith qui invitait les jeunes à la résistance spirituelle. Il eut bientôt des contacts avec Témoignage chrétien et « Défense de la France », un groupe de résistance fondé en juillet 1941 autour de Philippe Viannay. Il avait eu le temps de passer le certificat d’études latines à la Sorbonne quand il annonça au printemps 1944 à son professeur d’histoire, François Gadrat, qu‘il ne finirait pas son année de khâgne. Après avoir distribué journaux et tracts, il avait en effet décidé d’entrer dans le maquis FFI Seine-et-Oise nord, pour préparer l’insurrection armée auprès de Philippe Viannay dont il fut un agent de liaison.

Jean Petite participa à l’euphorie de la Libération et se rendit en Angleterre à l’automne 1944 dans une délégation FFI conduite par Maurice Kriegel-Valrimont pour l’anniversaire du 11 novembre. Mais il fut témoin des rivalités entre mouvements de la Résistance et partis. Délégué de « Défense la France » avec Gérard Lefebvre, futur créateur de Sciences et Avenir, pour la fondation des « Jeunes de la Libération nationale » du MNL (Mouvement de Libération nationale), il refusa de se laisser embrigader dans la création de l’UJRF (Union de la jeunesse républicaine de France) souhaitée par les communistes, comme il refusa ensuite de se laisser manipuler par les gaullistes pour réactiver le JLN.

Au début de l’année 1945, Jean Petite décida de reprendre ses études en khâgne et à la Sorbonne. Il obtint les certificats de philosophie générale et logique, de morale et sociologie et d’histoire générale de la philosophie, en continuant de militer au groupe Lettres de la Sorbonne et à Radio-Sorbonne dont il eut la responsabilité éditoriale. Puis en 1946, il compléta sa licence de philosophie par les certificats de psychologie générale, d’études grecques et de littérature française. Cette année-là, il épousa le 16 juillet à Châtenay-Malabry (Seine, Hauts-de-Seine) une camarade, Marie-Noëlle Roederer, née le 31 décembre 1923 à Dillingen (Sarre), fille de Joseph Roederer, dirigeant d’aciérie dans la Sarre, rencontrée dans la Résistance à Défense de la France et dont la sœur, Hélène, étudiante en histoire, elle-même résistante dans le même réseau, fut arrêtée en juin 1944 et mourut en déportation à Ravensbrück. Le couple s’installa dans la grande maison des Roederer, rue Jean Longuet, à Châtenay-Malabry ; de cette union allaient naître sept enfants (Guillaume, Jean-Christophe, Hélène-Marie, Pierre-Côme, Laurent, Agnès, Valérie).

Pas du tout tenté par l’entrée en politique, ni dans la démocratie chrétienne du MRP ni dans le socialisme de la SFIO, Jean Petite décida de continuer à se consacrer à ses études. Il suivit l’enseignement de Ferdinand Alquié et prépara avec ce professeur un diplôme d’études supérieures au sujet ambitieux « L’Homme concret chez Descartes et Spinoza », qu’il soutint en 1947. Ce retour au réel s’accompagnait du désir d’acquérir une formation scientifique, à travers la préparation du certificat de géologie générale qu’il obtint la même année : « Ainsi la terre s’ouvrait à la vie, la vie à l’Homme et pour certains à Dieu. »

Durant les deux années suivantes, il se préoccupa surtout de préparer l’agrégation de philosophie, un peu à l’écart des durs combats politiques de cette période du début de la guerre froide. Admissible au concours de 1949, et ayant besoin de travailler, il accepta un poste de délégué ministériel au collège de Bruay-en-Artois (Nord), ce qui le contraignit à quitter sa famille. Admissible une seconde fois en 1952, il fut titularisé adjoint d’enseignement et muté à la rentrée 1954 au lycée Faidherbe de Lille (Nord), ville où il avait installé sa famille. Il fut ensuite nommé professeur délégué ministériel au lycée de garçons de Tourcoing (Nord), à la rentrée 1955, puis au collège de filles de la même ville, à la rentrée 1956.

Cette période nordiste fut extrêmement féconde en engagements pour Jean Petite qui découvrit un autre monde que celui qu’il avait connu : les travailleurs des mines et des chemins de fer et des militants communistes de terrain ainsi que des prêtres ouvriers. Il commença à militer au Syndicat national de l’enseignement secondaire, en étant secrétaire de la section (S1) du collège de Bruay, et participa aux premières grèves des professeurs en 1949-1950. Adoubé au congrès académique par Cyprien Bocquet, il devint militant de la liste « B », mais sans jamais appartenir à la Fédération de l’Éducation nationale-CGT, et entra à la commission administrative de la section académique (S3) en 1952, bientôt chargé des relations avec le rectorat pour les adjoints d’enseignement et les maîtres auxiliaires. Il apprit son métier de syndicaliste auprès des responsables du S3 (Bocquet, Fernand Matton, Marie-Joseph Moeglin) qui dirigeaient le syndicat de façon assez indépendante par rapport à la direction parisienne, en étant très attentifs à la défense de la qualité de l’enseignement de second degré et aux conditions de travail et de rémunérations de leurs personnels. Il figura aussi sur la liste « B » aux élections à la CA nationale, de 1954 à 1956, mais sans être élu.

Jean Petite cherchait en même temps sa voie au plan politique dans des groupes de « chrétiens progressistes ». Lecteur de la revue Esprit, du journal La Quinzaine, de la revue Economie et Humanisme, ayant participé à l’aventure de la revue Les mal-pensants (1949-1950) animée par Georges Suffert, il fut attiré par le mouvement « Jeunesse de l’Eglise » du père Montuclard, s’efforçant de « lutter contre l’idolâtrie moderne ». De son côté, son épouse militait au bureau national de l’Union des femmes françaises. L’ensemble de ces influences le conduisit à s’engager au Mouvement de la Paix, dont il fut l’un des secrétaires départementaux du Nord de 1953 à 1957. Avec des camarades se retrouvant dans l’orientation d’Esprit, il ne souhaitait pas réduire l’activité du Mouvement à l’interdiction de la bombe atomique, objet de l’Appel de Stockholm du 18 mars 1950 ; il poussait à son élargissement à la décolonisation et à l’Europe, notamment à la réunification de l’Allemagne, tenant ainsi à ce que le Mouvement conserve son indépendance par rapport à l’URSS. Il devint membre du bureau national en 1956 et intervint pour condamner l’intervention soviétique en Hongrie. Ce sujet divisa par ailleurs gravement les militants « Bouches-du-Rhône » au congrès de la FEN de novembre, dont beaucoup, non-communistes comme lui, mais aussi communistes, furent choqués par l’intervention de Georges Fournial, copie conforme de la position du Parti communiste français.

Peu après, engagé dans la lutte pour la paix en Algérie, il participa à la création à Lille du Mouvement des intellectuels pour la Paix en Algérie et fut signataire avec Louis Guilbert d’un projet de motion soumis au vote des syndiqués avant le congrès du SNES de 1957 ; la motion qui condamnait la « pacification » en Algérie, demandait la « négociation pour un cessez-le-feu avec ceux qui se battent, devant aboutir à un règlement politique sur la base de la reconnaissance du droit à l’indépendance des populations autochtones et de la sauvegarde des intérêts légitimes des populations d’origine européenne », recueillit 33 % des exprimés, contre 22 % à celle de Pierre Broué (pour la liste « A »), mais il y eut 44 % d’abstentions sur 46 % de votants.

Pour bénéficier de sa titularisation comme professeur certifié, Jean Petite accepta un poste au collège de Falaise (Calvados) en octobre 1957. Une nouvelle phase de sa vie commençait en Normandie. Intégré dans le cadre des professeurs bi-admissibles en 1960, il fut muté au lycée Malherbe à Caen (Calvados), en septembre 1963, où il allait rester en poste jusqu’à sa retraite, ayant bénéficié en 1977 de la promotion interne au grade d’agrégé.

Il poursuivit son militantisme au SNES : secrétaire du S1 de Falaise dès son arrivée, il fut rapidement élu à la CA du S3 de Caen. En 1961, il devint secrétaire de la section FEN du Calvados, à la suite du changement d’orientation de la section départementale du Syndicat national des instituteurs (élection de Guy Julienne) puis il cumula la responsabilité de secrétaire du S3 (1964-1966). Il militait en même temps à l’amicale laïque de Falaise, puis fut élu au conseil de la Fédération des œuvres laïques du Calvados en tant que secrétaire de la SD/FEN. Il fut un des animateurs de l’expérience de cette section s’efforçant de dépasser les clivages traditionnels de tendance notamment au plan pédagogique : une plate-forme concernant le premier cycle du second degré et la formation des maîtres fut élaborée ; le Plan Langevin-Wallon fut réédité en 1963 et popularisé. Jean Petite s’intéressa beaucoup à partir de cette époque à la recherche scientifique pédagogique.

En même temps, il fut élu membre de la CA nationale du SNES sur la liste « B » et membre du bureau national à partir de 1958 ; il allait le demeurer jusqu’à sa prise de retraite. Il devint alors un des militants les plus en vue de ce courant qui devint « Unité et Action », s’efforçant de maintenir la diversité des approches dans un débat démocratique, et d’empêcher que certains militants communistes ne se sentent en droit de prendre des initiatives seuls (Maurice Loi en particulier). Il s’investit pour changer les mandats du SNES au sujet des classes de sixième et cinquième ; ainsi, lors du référendum de 1963, il prit parti avec André Drubay et le secrétaire pédagogique Jean Marchais, pour un enseignement commun en sixième et partiellement différencié en cinquième avec report du commencement du latin à ce niveau.

Jean Petite poursuivait parallèlement son militantisme au Mouvement de la Paix : il fut ainsi rapporteur de la motion sur l’Algérie au congrès d’Issy-les-Moulineaux en mars 1962, qui avait été la cible de l’OAS le jour de son ouverture par un attentat à la voiture piégée (3 morts et 47 blessés). À la même époque, son domicile fut perquisitionné par la police. Il prit part à diverses manifestations internationales de pacifistes en Angleterre, en République fédérale allemande. Avec Drubay, il participa au Congrès mondial de la Paix à Moscou, en juillet 1962, en s’intéressant aux mouvements d’indépendance ; son « tiers-mondisme » s’affirma dès lors. Il militait aussi à la Ligue des droits de l’Homme.

Proche de Gilles Martinet et de Claude Bourdet, il rejoignit le Parti socialiste unifié en juillet 1962 (son épouse était membre du PSU depuis avril 1960) et en mars 1967, il se présenta aux élections législatives dans la première circonscription de Caen, où il obtint 4 359 voix, soit 6,35 % des suffrages exprimés, un des meilleurs scores du PSU. Il se désista pour le candidat communiste Jacques Bayon arrivé en tête, alors que celui de la FGDS se retira seulement.

Cette année 1967 marqua un autre tournant dans le parcours de Jean Petite avec la victoire de la liste « Unité et Action » aux premières élections au collège unique du nouveau SNES. Il fit partie de la nouvelle direction du mini-secrétariat, véritable secrétariat général collectif, aux côtés des deux secrétaires généraux, André Drubay et Etienne Camy-Peyret et de trois militants communistes : Gérard Alaphilippe, François Blanchard et André Dellinger ; il se vit confier l’importante responsabilité de secrétaire de la commission pédagogique, qu’il allait conserver sous d’autres appellations jusqu’en 1981. Il abandonna dès lors toutes ses responsabilités à la FEN et au SNES à Caen (le secrétariat du S3 passa à son ami Robert Bourdon) ; il était aussi entré à la CA fédérale nationale (comme suppléant en 1965 puis titulaire en 1966), et fut déchargé de cours pour un demi-service, souhaitant ne pas être coupé de la pratique du métier.

Il eut dès lors l’ambition, à la fois de faire un bilan des enseignements de second degré et de construire pas à pas un projet syndical de réforme du système éducatif prenant pour guide le Plan Langevin-Wallon, qui puisse dépasser les grands principes du Comité national d’action laïque rappelés à son colloque de 1964. Il fut ainsi un des principaux animateurs des premiers États généraux du SNES en novembre 1967, où toutes les composantes de la gauche politique et syndicale étaient représentées. En mars 1968, il participa au colloque d’Amiens, en observateur, juste avant le congrès d’étude du SNES consacré notamment à l’orientation scolaire (avec Jacques Romian*) et à la situation dans le second cycle.

Jean Petite vécut les événements de mai-juin 1968 à Caen et à Paris, en estimant tout de suite que le mouvement devait s’appuyer aussi bien sur la classe ouvrière que sur le mouvement étudiant. À titre personnel, il participa au meeting de Charléty auquel la direction du SNES ne s’était pas associée, espérant que Pierre Mendès France soit reconnu comme le leader de la gauche, ce qui ne fut pas le cas, à son grand désappointement. À l’issue de ce meeting, il participa à un déjeuner avec Louis Astre, premier secrétaire général « autonome » du nouveau SNES et militant du PSU, invités par Marc Heurgon et Michel Rocard* qui souhaitaient savoir dans quelle mesure il y aurait possibilité de construire un nouveau courant dans le SNES et la FEN, susceptible d’accueillir les militants de gauche, en dehors du courant « Unité et Action » dominé par les communistes. Jean Petite ne répondit pas à cette sollicitation. Il représenta néanmoins à nouveau son parti aux élections législatives de 1968, dans la circonscription de Lisieux-Falaise. Il obtint 2 473 voix, faisant passer le score du PSU de 3 à 6 % des suffrages exprimés. En 1969, la direction du PSU persista, en poussant au développement de la nouvelle tendance « Rénovation syndicale » dans le SNES ; Robert Chapuis, secrétaire à l’éducation, envoya alors une circulaire demandant aux militants U-A du PSU de quitter leur tendance pour rejoindre RS ; Jean Petite, qui était particulièrement visé, signa alors une lettre collective de refus avec ses camarades Pierre Antonini, André Bourdon, André Guillemont et Robert Romeu : tous démissionnèrent ensuite du PSU ou ne reprirent pas leur carte. Son épouse, en revanche, continua de rester fidèle au PSU d’Huguette Bouchardeau. Comme ses camarades, Jean Petite avait choisi de rester fidèle à « Unité et Action » qui était en train de se structurer au plan fédéral. Il lui semblait en effet que ce courant était le seul à pouvoir rassembler dans la diversité la majorité des enseignants, de tous les degrés, et de participer à sa place à l’élaboration du Programme commun de la gauche qu’il appelait de ses vœux. Il joua d’ailleurs un rôle important dans cette structuration et dans l’apparition en 1970 et le développement du bulletin Unité et Action, au comité de rédaction duquel il participa régulièrement.

Parallèlement, sollicité par Gérard Delfau et Louis Mexandeau, il apporta à partir de 1972 sa collaboration au groupe « Démocratie et Université », « carrefour politique et syndical, lieu d’échanges, de réflexion, d’études pour un socialisme qui se cherchait », où se retrouvaient nombre de militants socialistes U-A. Il n’adhéra qu’un peu plus tard au Parti socialiste, en 1974, dans la section des « écrivains » et participa au brain trust installé dans la Tour Montparnasse au service du candidat unique de la gauche à l’élection présidentielle, François Mitterrand. C’est ainsi que lui échut de la responsabilité de rédiger la réponse à la lettre, qu’au nom du SNES, il avait écrite au candidat à la présidence.

Après mai-juin 1968, Jean Petite fut ainsi acteur, de différentes manières, dans les débats et combats autour de l’École, qui occupèrent une très grande place dans l’espace public. Il participa aux négociations de juin-juillet 1968 avec Edgar Faure, marquées par la fin du latin en sixième, la création des équipes pédagogique et éducatives, l’élargissement de la composition des conseils d’établissements et de leurs pouvoirs ainsi que la création des foyers socio-éducatifs. Au congrès du SNES de 1972, après avoir rencontré Yvan Illich, dont beaucoup de sectateurs n’avaient pas compris, selon lui, le message, il fut l’un des artisans (avec Michaux, Alaphilippe et Luc Bouret) de la mise au point de la philosophie du SNES sur l’institution école, hostile à toute déscolarisation malgré les contradictions qui la traversaient ; elle était « nécessaire à la formation de la force de travail […] de l’homme social et à l’épanouissement de chaque personnalité » ; les établissements scolaires étaient donc des lieux d’enseignement et en même temps des lieux d’éducation.

Mais l’approche de Jean Petite pour construire un « enseignement démocratique de qualité » fut essentiellement pragmatique, expérimentale, à l’opposé d’une approche idéologique : priorité à la recherche, à la lutte contre l’échec, à la formation des maîtres, ainsi qu’au passage par les disciplines d’enseignement, « bonne manière de ne pas se couper du vécu des enseignants pour retrouver des cohérences et affermir des choix ». Si la valeur des savoirs devait être réaffirmée, les savoir-faire et les pratiques ne devaient pas être mésestimés. Le concret devait être réintroduit à l’intérieur d’une pédagogie globale, d’où l’intérêt pour les travaux manuels éducatifs ; il en allait de même pour les enseignements artistiques et l’éducation physique et sportive. En concertation avec les associations de spécialistes et le Syndicat national de l’éducation physique et sportive pour l’EPS, Jean Petite impulsa donc une série d’initiatives communes. Il en alla de même pour les enseignements dits fondamentaux : français, philosophie, langues vivantes, enseignements scientifiques et technologiques. Il accordait en outre beaucoup d’importance aux expérimentations pour trouver les méthodes et les moyens de lutter contre l’échec scolaire, mettre au point des procédures de rattrapage. Il aurait voulu aller plus loin dans les ouvertures à de nouvelles méthodes que ne le souhaitait la majorité des militants du SNES : il défendit ainsi le « travail indépendant » et la libre disposition de 10% de l’horaire mis en place en 1973 par le ministre Fontanet.

Il ne perdait cependant pas de vue les objectifs généraux, réaffirmés par les États généraux du SNES de 1974, ceux d’un grand second degré de la sixième à la terminale, dans le cadre d’une scolarité obligatoire portée à 18 ans. C’est la raison pour laquelle il combattit le projet d’ « École fondamentale » du SNI qui étendait le modèle de l’école primaire jusqu’à la troisième en se limitant à la scolarité obligatoire à 16 ans. Il combattit de la même manière le projet Fontanet puis la réforme Haby, tout en reconnaissant, avec le recul, que la création du collège unique avait été un tournant et un progrès. Dans sa critique de cette réforme, il insistait sur son ambiguïté visant à donner un savoir minimum au plus grand nombre tout en maintenant la sélection des élites. Il s’opposa au projet de la FEN « d’éducation permanente » rendu public en 1977, estimant que ce projet n’était que l’École fondamentale du SNI prolongée par un cycle de détermination, « procédant d’une conception morale de l’homme dans un type indéterminé de société, réduisant la science à la possession de savoirs, conduisant à une « école de la médiocrité ».

Dans un dossier de L’Université Syndicaliste qu’il coordonna, publié en janvier 1977, furent exposées les propositions du SNES pour l’École, puis au terme d’un autre dossier, réalisé fin 1977, intitulé « Le second degré, une idée neuve », Jean Petite suggéra plus précisément « Un secondaire unifié, dans l’école progressive ». Le mot allait conduire à la dénomination du projet de « l’École progressive », dont il fut la cheville ouvrière. Mis en forme définitivement en 1981 pour être présenté au nouveau ministre Alain Savary, il s’était en fait construit depuis le début des années 1970 et avait été illustré dans le film du SNES Pour leur avenir. C’était « un projet pour une gauche au pouvoir dont nous esquissions les traits » estimait-il, qui lui apparaissait, vingt ans après, « comme une sorte de testament ».

Au cours de la douzaine d’années durant laquelle il anima le travail pédagogique de la direction nationale du SNES, Jean Petite essaya de travailler en équipes dans lesquelles il fit venir des militants plus jeunes (Luc Bouret, chrétien progressiste socialiste de D-U comme lui, Jean Chaubard, agrégé de philosophie), et surtout des militantes : Suzanne Mamane, Annette Krakowski, Michèle Jacquet, Rosette Spire, Monique Vuaillat… Il eut aussi l’occasion de défendre les positions du SNES avec autorité au Conseil de l’enseignement général et technique et au Conseil supérieur de l’Éducation nationale.

Les journées des enseignants du PS de mai 1975, où les militants de la FEN furent invités à soutenir la majorité UID (Unité indépendance et démocratie), avec l’aval de Louis Mexandeau, délégué général à l’Éducation depuis le congrès de Pau, constituèrent une déception pour Jean Petite. Comme Antonini et quelques autres, et comme en 1969, il ne se soumit pas, tout en restant membre de son parti. La déclaration SNI-PEGC/PS de février 1976 dans laquelle le PS prenait position de fait en faveur du projet d’École fondamentale, suite au travail de persuasion opéré par le groupe « École et Socialisme », instrumentalisé par les dirigeants de la FEN et du SNI-PEGC, constitua une nouvelle déception qui le conduisit à marquer ses distances. De la même manière, il n’approuva pas les mains libres laissées aux militants de l’OCI (Organisation communiste internationale) par la direction du PS pour contrôler le mouvement étudiant. Les passes d’armes qu’il menait souvent, dans les réunions du SNES et de la FEN, avec les militants du FUO (Front unique ouvrier) puis UPSAS (Union pour le SNES aux syndiqués) qui soutenaient la direction UID de la FEN, n’en furent qu’avivées. À l’intérieur du collectif UA-FEN, les responsabilités de la rupture du Programme commun en 1977 furent à l’origine de débats mais un terrain d’entente finit pas être trouvé et c’est Jean Petite qui présenta la motion Unité et Action au congrès fédéral de Nantes en 1978. Face à la stratégie d’André Henry visant à affaiblir U-A, voire à exclure le SNES, il affirmait « la FEN doit rester la FEN » mais solidaire avec un mouvement syndical de classe et de masse, dont les accords et les actions CGT-CFDT manifestaient toujours l’existence. En octobre 1980, reprenant au bond une interview de Georges Séguy dans Le Monde à l’égard des Luther du syndicalisme (Edmond Maire en particulier), il s’interrogeait dans la revue Unité & Action : « Faut-il brûler Luther ? » et affirmait : « Il n’y pas de nature réformiste de la CFDT. L’accord CGT-CFDT n’est pas le fait du hasard ou un accident de l’histoire. »

1981 marqua une nouvelle étape dans le parcours de Jean Petite. Une nouvelle direction nationale du SNES fut élue en juin, coïncidant avec l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République. Alors qu’il avait perdu certaines de ses responsabilités dans le secrétariat national avec la disparition des grandes commissions, au profit d’un découpage par secteurs, et qu’il avait évité de prendre parti ouvertement dans les conflits qui avaient conduit aux départs de François Blanchard, de Théodore Haddad et dans celui qui opposait André Dellinger à Gérard Alaphilippe, il avait cependant gardé une position incontournable dans la direction. Il devint secrétaire général adjoint, aux côtés d’Alaphilippe qui attendait depuis longtemps de succéder à Etienne Camy-Peyret comme secrétaire général, et de sa compagne Monique Vuaillat, autre adjointe. L’année suivante, ayant toujours manifesté beaucoup d’intérêt pour les affaires internationales, il succéda à André Drubay comme secrétaire général de la FIPESO (Fédération internationale des professeurs de l’enseignement secondaire officiel). Dans cette situation qui devait l’éloigner de Paris assez souvent, il essaya de maintenir l’esprit de co-responsabilité de la direction. Désormais il avait de nombreux amis du côté du pouvoir politique et il insista pour que le SNES pratique un syndicalisme certes déterminé et vigilant mais constructif. Jean Chaubard ayant décidé de ne pas persévérer dans la direction du SNES, il voyait en Jean-Louis Auduc, jeune agrégé d’histoire, militant socialiste, secrétaire du secteur « politique scolaire » héritier de la commission laïque, une sorte de successeur.

Au sujet de la création du grand service public unifié de l’Éducation nationale, il intervint au Congrès de la FEN de 1982 pour que cette question soit examinée dans toutes ses dimensions (racisme, décentralisation, droits des femmes, conception de l’enfant dans la société, paix et démocratie mondiale) ; la presse du lendemain s’en fit l’écho avec le sous-titre : « Un moderne de la FEN s’exprime ». En juin 1982, répondant à l’appel de Suzanne Prou, il signa « l’Appel des cents pour la paix » où il retrouva Georges Séguy et consacra à la question de la paix plusieurs articles dans la revue Unité &Action.

Quand Gérard Alaphilippe démissionna de tous ses mandats en septembre 1984 pour raison de santé, et fut remplacé par Monique Vuaillat, Jean Petite resta secrétaire général adjoint jusqu’à la fin du mandat en cours en mai-juin 1985, avec Pierre Toussenel et Roger Vila et écrivit dans L’US un article afin de remercier Gérard Alaphilippe pour la part déterminante qu’il avait prise dans le développement du nouveau SNES et pour maintenir l’unité de la FEN, ce qui était à ses propres yeux la question fondamentale. De plus en plus absorbé par ses fonctions internationales, il intervint dès lors plus rarement dans les débats du SNES, son dernier éditorial du 28 février 1985 « Au nom des jeunes » résumant en quelque sorte le sens de son engagement syndical pour toujours tracer de nouvelles pistes.

En 1986, Jean Petite prit sa retraite et passa le témoin de secrétaire général de la FIPESO à Louis Weber. Dans le prolongement de l’action entreprise par André Drubay, il avait élargi les adhésions de la fédération en dehors du cadre européen, notamment en Afrique, en faisant bénéficier les nouveaux membres d’un « programme africain », afin de les armer pour le développement et la démocratisation de leur système éducatif.

Divorcé de sa première femme en 1978, il épousa en août 1989 à Bernières (Calvados), Barbara Hall, ancienne présidente de l’AMMA (Assistant Masters and Mistresses Association), et vécut dès lors le plus souvent en Angleterre où son épouse était directrice d’un établissement secondaire. Il poursuivit son militantisme à l’Appel des cent et était un témoin attentif de la situation politique et sociale en Europe et dans le monde.

Jean Petite n’avait accepté qu’une médaille, celle de la Résistance.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article152758, notice PETITE Jean, Noël par Alain Dalançon, Pierre Petremann, version mise en ligne le 27 janvier 2014, dernière modification le 28 janvier 2022.

Par Alain Dalançon, Pierre Petremann

Jean Petite
Jean Petite
Congrès SNES 1970
Congrès SNES 1973, à côté de Gérard Alaphilippe
Congrès SNES 1975, à côté d’André Drubay
Congrès FEN 1978

SOURCES : Arch. IRHSES (L’Université syndicaliste, fonds Jean Petite). — Arch. Nat., 581AP 101. — Archives du comité national du PCF. — Interview par Danièle Pouzache en 1997. — Long récit autobiographique en forme de mémoires inachevées « De la difficulté d’être Unité et Action », écrit au début des années 2000, confié à l’IRHSES. — Jean Battut, Changer l’école pour changer la vie : 1971-1981 François Mitterrand, la gauche et l’éducation, L’Harmattan, 2012. — Quand le syndicalisme rencontre le socialisme : Notes régulières transmises par la FEN et le SNI à François Mitterrand de 1975 à 1979, L’Harmattan, 2013. — Jérôme Letournel, Socialisme et socialistes dans le Calvados des origines à la fin du XXe siècle (1864-1998), thèse, Université de Caen, 2013. — Notes de Jacques Girault et Gilles Morin.

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