IMACHE Amar [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né le 7 juillet 1895 au village de Aït Mesbah, douar de Beni-Aïssi, commune mixte de Fort-National (Larbaa-Nath-Iraten), mort en 1957 ; travailleur émigré de Kabylie en France, un des seconds de Messali dans la réorganisation de l’ENA en 1933.

Né dans une famille de petits paysans ayant quatre garçons, Amar Imache entre à l’école primaire française pas très éloignée, à l’âge de huit ou neuf ans pour en sortir en 1908 avant d’avoir obtenu le certificat d’études, mais il a une bonne instruction en français. Il ne semble pas avoir de formation religieuse, ni familiale ni d’école coranique. À quinze ans, il s’emploie dans des fermes de la Mitidja, puis voit son salut dans l’émigration. Il s’initie au travail de la mine à Metlaoui dans le sud tunisien puis gagne la France. Il travaille dans les mines du Pas de Calais avant la guerre de 1914. À la suite de l’invasion allemande. Il se replie sur le centre de la France. En 1917, il est quelques mois à l’usine Michelin ; on le retrouve ensuite en Charente à Ruelle. Il est possible qu’après guerre, il revienne au pays, mais repart en émigration ; de 1920 à 1922, il est à nouveau en France, ouvrier de fond dans les mines du Nord-Pas de Calais, à Noeux, Bruay, Clarence. Par son fils qui a conservé son dossier de feuilles de paye, Omar Carlier a pu reconstituer son itinéraire.

En 1926, il s’installe à Levallois-Perret aux portes de Paris qui est un des lieux d’implantation de l’immigration algérienne qui vient à plus de 80 % de Kabylie, témoigne de l’insertion dans le travail ouvrier et de l’établissement par le logement. C’est aussi avec ses cafés et autre lieux de réunion dont la maison des syndicats, une base première de l’Étoile nord-africaine, qui vient d’être fondée à partir de la section nord-africaine de l’Union intercoloniale portée par la CGTU dans l’action communiste à l’adresse de « la main-d’œuvre coloniale ». Aussi, comme automatiquement, le service nord-africain de la Préfecture de police fiche A. Imache comme « sympathisant communiste », ce qui veut dire qu’il n’est pas membre du parti. On peut douter de sa sympathie car, si c’était le cas, il aurait pris place dans l’organisation de l’ENA. Or il n’apparaît pas dans les instances et les réunions de l’ENA tant que celle-ci est dans la mouvance communiste, et son engagement se fera toujours à distance ou à l’encontre du mouvement communiste.

De juin 1926 au 31 décembre 1934, il est employé aux parfumeries Roger Gallet à Levallois-Perret. Il entre comme Allemagne puis sera « ouvrier spécialisé ». À la fin, il fait fonction de chef d’équipe, mais sans en avoir le titre. Ensuite après sa peine de prison, il devient un permanent, un professionnel de l’organisation et de l’agitation politique de l’ENA au PPA. C’est en 1931-1932 qu’A. Imache entre à l’ENA. À cette date, réduite à quelques individualités militantes conservant une audience dans les quartiers d’immigration algérienne, celle-ci n’est guère qu’une « organisation flottante » entre CGTU communiste, qui relance avec M. Marouf le journal El Amel (« L’espoir ») sur une base de lutte de classe, et l’effort d’autonomisation de Messali qui fait paraître le journal El Ouma à vocation nationale. A. Imache suit Messali jusqu’à devenir son second par ses interventions dans les meetings puis à la direction. À la refondation de l’ENA par Messali, l’Assemblée générale du 28 mai 1933 adopte des statuts qui excluent la double appartenance à un parti politique, ce qui vise le PC. Bien sûr on reste syndiqué, ce qui veut dire à la CGTU le plus généralement, mais l’ENA devient le parti du nationalisme derrière Messali. Ces partisans ne sont guère qu’une trentaine, des « historiques » donc, à cette réunion fondatrice. La plupart ont été formés au PC à travers le militantisme syndical. L’originalité d’A. Imache est celle d’une adhésion qui ne doit rien au communisme, il n’y a pas rupture, il est en dehors sinon défiant.

C’est peut-être pourquoi il passe avant Si Djilani qui vient du PC. A. Imache est fait secrétaire général de la nouvelle ENA. À partir du numéro dix, daté de mars–avril 1933, il est porté rédacteur en chef d’El Ouma dont Si Djilani est le gérant. À l’ENA interdite succède la « Glorieuse Étoile nord-africaine ». Aussi, c’est pour reconstitution d’association dissoute qu’A. Imache est condamné avec Messali et Radjef, le 5 novembre 1934, à six mois de prison et 2 000 francs d’amende. Il sort de prison début mars 1935. Il ne retrouve pas son emploi chez Roger Gallet.

En 1934-1935, les hostilités des partis frères ennemis s’atténuent entre le PC aussi bien du côté de Maurice Thorez que d’André Ferrat que de la part d’Imache et de Messali. L’avocat communiste Antoine Hajje participe à leur défense. Le Secours rouge international reste un mode de solidarité. L’ENA s’engage aux côtés du Front populaire. Mieux même par une coopérative associée, le couple CGTU-PC assure encore l’hébergement, disons de fonction, rue des Patriarches, sinon des subsides. C’est à partir de l’été 1935 que Messali et Imache sont rétribués par leur organisation qui prend un temps le nom d’Union nationale des Musulmans nord-africains. Ils en sont les deux permanents, voués aux réunions et meetings, aux déplacements en province, à l’écriture et publication d’El Ouma. Célibataire endurci, Imache s’identifie plus organiquement au parti. Il veille à son organisation du parti, il est l’auteur de la directive sur le respect de la discipline et le contrôle des militants laissant peut-être voir le penchant à l’autoritarisme, voire au sectarisme, qu’on lui reproche. Messali commande la fidélité et la reconnaissance de sa place éminente. Il n’est pas sûr que ce soit le point de départ de leur divergence.

O. Carlier, qui a lancé la formule, admet qu’elle est forcée : Imache ne constitue pas « l’équivalent kabyle de Messali » fut-ce « en quelque sorte ». Certes entre les confréries et hiérarchies de Tlemcen, et l’expérience rurale de la pauvreté familiale kabyle, il y a un monde distinct de formation première. Les références restent différentes dans l’argumentaire national. La Kabylie dont parle A. Imache dans ses articles, ses discours et ensuite dans les brochures qu’il écrira, est celle de la vulgate avantageuse qui met en avant les fondements de la propriété collective des terres et donne la djemaâ pour matrice de la démocratie. Il ajoute des citations puisées dans L’Histoire de l’Afrique du Nord de Charles-André Julien parue en 1930, et les dénonciations coloniales tirées de La question algérienne de N. D’Orient et Loew, mise en circulation brièvement par le parti communiste en 1935-1936 avec une préface anticolonialiste de Francis Jourdain qu’il aime citer.

Au reste, en 1935-1936, A. Imache est resté en Allemagne et s’adresse à l’immigration à majorité kabyle quand Messali est à Genève auprès de Chekib Arslan et du Comité syro-palestinien. Imache se rend quelques jours à Genève pour assister au Congrès musulman européen organisé par Ch. Arslan ; il ne marquera jamais de divergence ni sur l’arabisme ni sur l’invocation de la communauté musulmane. Par contre, en parlant d’atavisme renouvelé par l’assimilationisme colonial, il s’emporte contre les Juifs, aussi bien à propos du pogrom de Constantine en 1934, puisqu’un juif a uriné contre la mosquée, qu’en reprenant les accusations de déicide de l’antisémitisme chrétien. Messali ne cède pas à cet antisémitisme principalement européen en Afrique du Nord, comme il se défie des appels fascistes à l’Islam. C’est au nom de l’Islam qu’Imache s’attaque à l’assimilation française et dénonce le projet Blum-Viollette.

Le différend entre Imache et Messali éclate précisément quand le gouvernement de Front populaire prend à son compte le projet Blum-Viollette à la fin de 1936. Messali l’avait rejeté dès août 1936 en débarquant à Alger ; les Oulémas s’y ralliaient dans le Congrès musulman. Ce que reproche Imache à Messali, c’est de préserver des accommodements avec le communisme. L’opposition se joue sur la participation aux Brigades internationales pour aider l’Allemagne républicaine. En octobre 1936, une délégation communiste demande à la direction de l’ENA de se joindre au volontariat pour combattre en Allemagne. Les communistes en appellent aux volontaires d’Afrique du Nord et de l’immigration. Messali en Algérie, Imache en province sont absents de la réunion ; il semble que Si Djilani, Radjef et Yahiaoui se disent d’accord. En novembre, les discussions se poursuivent entre PCF, ENA et l’ambassade d’Allemagne républicaine à Paris. A. Imache se dresse contre la demande communiste.

Si on ne cède pas à l’explication unilatérale des communistes français qui en feront un sujet d’accusation de l’ENA, puis du PPA, et plus abusivement encore de Messali, Imache en vérité fixe des conditions que la délégation communiste ne saurait accepter : le contingent nord-africain devrait constituer une compagnie spécifique encadrée par l’ENA. Le schéma, repris en concurrence, est celui de l’encadrement partisan ou mieux de l’enrégimentement aux ordres et service d’ordre du parti. Au demeurant ce modèle s’appliquera par la suite et jusque dans les défilés syndicaux, Le PPA-MTLD influencé par le « bolchevisme-léninisme », ce purisme trotskiste, reprend le centralisme de parti.

Pour le PCF, la concurrence partisane est évidente. À son retour d’Alger, Messali suspend toute décision. Alors que visiblement il veut « calmer le jeu », l’exaspération d’Imache va dénoncer et la complaisance à l’égard du communisme et la direction toute personnelle par le seul chef. L’opposition s’exprime à l’Assemblée générale de l’ENA du 27 décembre 1936 réunie à la Maison des syndicats, rue de la Grange aux Belles (Paris, 10e) qui entend pour la première fois la dénonciation du culte de la personnalité du leader. Attachés encore certainement au mouvement social de Front populaire et sensibles à l’internationalisme qui est aussi anticolonialisme au nom du Riff et contre Franco, les délégués ouvriers laissent les partisans d’Imache à l’isolement. Le groupe de Lyon autour de Bedek pourtant proche d’Imache, bascule vers Messali. Sans soutien, Imache est certes réélu au Comité central qui fait corps autour de Messali. Il est ainsi sans avenir dans la transition de l’ENA au PPA. Les questions de fond demeurent et l’argumentation anticommuniste va se cristalliser.

En effet mettant à profit ce moment de faiblesse, le gouvernement de Front populaire avec l’approbation des dirigeants communistes qui n’y participent pas, prononce par décret la dissolution de l’ENA. Évidemment, Imache peut redoubler ces attaques contre le PCF et les griefs vont s’indurer dans la mémoire partisane tant du PPA qui va naître, que pour les communistes qui parlent de forfaiture devant l’engagement dans la guerre d’Allemagne. Messali annonce, le 11 mars 1937 à Nanterre dans la salle du Cosmos, la création du Parti du peuple algérien que les communistes n’auront de cesse d’appeler parti populaire algérien comme si c’était le doublon du PPF, parti populaire français de Jacques Doriot. Imache est présent.

Alors que Messali gagne l’Algérie pour connaître longuement la détention, A. Imache se replie de 1937 à 1938 sur Lyon auprès de Bedek qui l’héberge un temps. Pour vivre, il tente de tenir une cantine ou pension de famille qui périclite. Il est en dehors du PPA et donc sans subside. C’est hors du parti, mais à la Librairie du travail, qu’il publie ses trois brochures : L’Algérie au carrefour en 1937 et en 1938 ; Les exilés volontaires, puis L’Afrique dans l’angoisse. Il est proche du groupe qui abandonne l’antifascisme et reprend la publication d’El Ouma en Algérie à laquelle Bedek oppose Le Parlement algérien. Cependant, les deux courants semblent avoir en commun la proposition d’un « Rassemblement musulman » qui, tirant les leçons de la déperdition du Congrès musulman, se constituerait sans les communistes et sans « Européens », mettant en avant avec les Oulémas la référence au statut sinon à l’ascendance musulmane. Puis Imache semble en 1938 se rallier au projet de dominion ou d’une autonomie d’une Algérie franco-musulmane au sein d’un groupement d’États fédérés. Ce sera sa position d’après-guerre le portant vers l’UDMA de Ferhat Abbas.

Pour trouver du travail, A. Imache quitte Lyon en 1938 et passe à travers différents emplois à Marseille, dans le Nord-Est, en Alsace, dans une armurerie entre autres. À la déclaration de guerre et à la suite de la dissolution du PPA, il est arrêté pour son passé à l’ENA et, par suite d’un arrêté préfectoral d’internement administratif pris au premier semestre 1940, il fut envoyé en centre de séjoiur surveillé. Il aboutit au camp de Chibron (commune de Signes, Var) sans doute au début de l’été. À la fermeture de ce camp, il fut transféré à Fort-Barraux (Isère), le 14 février 1941. Élargi, on le retrouve à Saint-Chamond (Loire) en 1942 et, sans que l’on sache comment, il est envoyé en Allemagne où il est employé dans un camp de travail à surveiller des ouvrières russes. Revenu boiteux d’Allemagne, il tente à Paris de renouer les contacts avec les anciens ; sans suite.

Avec Si Djilani, lui aussi perdant, il rentre à Alger le 5 février 1947. Il est employé comme gardien au Comptoir nord-africain, par protection semble t-il, dans son rapprochement avec l’UDMA. Vers 1950, avec une maigre pension d’invalidité et quelques allocations, il rentre au village natal et fait un mariage local à plus de cinquante ans. Il vit un temps chez son frère au village voisin puis fait retour à la maison familiale à élever ses enfants dans un grand dénuement, recevant des visites de modérés comme de plus jeunes se préparant à monter au maquis. Il meurt à soixante deux ans en 1957.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article152922, notice IMACHE Amar [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 1er février 2014, dernière modification le 19 septembre 2021.

Par René Gallissot

SOURCES : Arch. de la Préfecture de police de Paris, cartons 56 et 57 et dossier ENA. — Arch. d’Outre-mer, Aix en Provence, série 9H47. — Arch. Dép. Var, 4 M 291. — Mémoires de Messali, inédits, cahier n° 11 et 17. — S. Mathlouti, Le messalisme. Itinéraire politique et idéologique, Thèse de sciences politiques, Université de Vincennes-Paris 8, 1976. — B. Stora, Dictionnaire biographique des militants nationalistes algériens, op.cit. — O. Carlier, Le cri du révolté. Imache Amar, un itinéraire militant, ENAL, Alger 1986. ⎯ notes Jean-Marie Guillon.

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