JAFFRÉ Jean, Joseph, François [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot et Jacques Girault

Né le 13 novembre 1923 à Camaret-sur-mer (Finistère, France) ; professeur au lycée de Philippeville (Skikda) ; militant syndicaliste et communiste sanctionné pour son anticolonialisme ; après l’indépendance, coopérant à Alger.

Les parents de Jean Jaffré étaient des instituteurs publics, eux-mêmes enfants de paysans et d’ouvriers. Son père, devenu instituteur à Quimperlé puis à Quimper, faisant partie du Syndicat national des instituteurs dans les années 1930, fut gréviste le 30 novembre 1938. Il emmenait son fils dans les manifestations du Front populaire.

Jean Jaffré fit ses études à Quimperlé, puis au lycée de Quimper (où il eut comme professeur d’histoire, Louis Poirier, futur Julien Gracq, alors communiste). Il les poursuivit en hypokhâgne puis en khâgne, aux lycées parisiens Henri IV (1941-1942) et Louis Le Grand (1942-1944). Il se maria en décembre 1948 à Paris (XIVe arr.) avec Heinda Berkowicz (voir Aline Jaffré), institutrice. Le couple eut trois enfants. Jean Jaffré adhéra au Parti communiste français en septembre 1948 à Bourg-la-Reine (Seine). Surveillant d’externat en 1949, il obtint le CAPES de lettres classiques en 1950.

Jean Jaffré, sa femme et leur jeune enfant partirent pour Philippeville (Skikda) en Algérie, où il fut nommé professeur au lycée. Militant au Syndicat national de l’enseignement secondaire, secrétaire de la section (S1) du lycée, membre de la FEN-CGT, J. Jaffré fut, avec Pierre Souyri*, professeur d’histoire, secrétaire adjoint du S1. Il compta parmi les rares enseignants qui soutenaient le Front algérien pour la défense et le respect des libertés, tentative pour surmonter la rivalité entre le Parti communiste algérien et le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques, luttant contre la répression policière, pour obtenir un statut de prisonniers politiques pour les emprisonnés et pour le retour en Algérie de Messali. Cette défense du MTLD constitue une exception résultant d’une entente locale entre militants.

Le 23 mai 1952, lors d’une grève générale de solidarité avec les condamnés des prisons de Bougie (Bejaia) et de Philippeville, qui réclamaient le statut de prisonniers politiques et pour protester contre la nouvelle arrestation de Messali après une tournée de meetings, Jean Jaffré, qui avait préparé avec son élève Mohammed Harbi le tract de soutien, fut arrêté pour avoir contesté l’interpellation d’un jeune homme. Accusé « d’avoir harangué la foule en arabe », symbolisant l’exaspération de la société coloniale, collègues compris, il fut condamné le surlendemain en flagrant délit à trois mois de prison et 12 000 francs d’amende. Alors qu’Alger Républicain faisait campagne pour les détenus et condamnés, après un procès en appel à Alger en juillet 1952, la condamnation fut maintenue, mais un sursis libérable fut prononcé pour le temps d’emprisonnement restant, l’amende étant confirmée. Suspendu de toute fonction enseignante, il fut réprimandé par le Conseil académique d’Alger, spécialement réuni le 10 décembre 1953.

Depuis février 1953, Jean Jaffré avait été nommé d’office à Saumur (Maine-et-Loire, France) tandis que son épouse devenait institutrice de classe unique à Blou, village à quinze kilomètres où ils habitèrent. Il devint secrétaire de la section communiste de Saumur et entra au comité de la fédération communiste du Maine-et-Loire en 1956. Pour n’avoir pas payé l’amende dont le cumul s’élevait 19 853 francs, il avait été rayé des listes électorales. Il fut nommé, en octobre 1956, professeur au collège de Nemours (Seine-et-Marne). Reçu à l’agrégation de Lettres classiques en 1962, il fut nommé à Vincennes, puis au lycée Gabriel Fauré à Paris (XIIIe arr.). Les Jaffré participèrent à toutes les actions contre la guerre d’Algérie ; ils furent notamment matraqués près du métro Charonne, à Paris, le 8 février 1962.

Après l’indépendance, en octobre 1962, les Jaffré revinrent en Algérie. Jean Jaffré enseigna au lycée Émir Abdelkader (ex-Bugeaud) à Alger dès novembre 1962 jusqu’en juillet 1967. Ils reprirent contact avec les dirigeants d’Alger républicain et participèrent à des actions militantes (articles de presse, représentations théâtrales, interventions de la fête de l’arbre, cours aux jeunes journalistes). Après le coup d’État de Boumédienne (19 juin 1965), tout en s’abstenant de toute activité politique, ils aidèrent l’équipe de militants d’Alger Républicain et les dirigeants du Parti communiste algérien.

En 1967, J. Jaffré et son épouse réintégrèrent la France. Il revint enseigner au lycée Gabriel Fauré jusqu’en 1975. Il enseigna par la suite en classe de Première supérieure au lycée d’Enghien-les-Bains, puis à Paris aux lycées Lamartine puis Victor Duruy jusqu’à sa retraite en 1988. Il publia des articles de linguistique dans des revues spécialisées (Langages, Langue française notamment). Installés en région parisienne, les Jaffré participèrent à Mai 1968 et poursuivirent leur action militante dans le PCF, qu’ils quittèrent entre 1981 et 1985. Toujours syndiqué en tant que retraité, J. Jaffré écrivit le récit de ses séjours en Algérie.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article152925, notice JAFFRÉ Jean, Joseph, François [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot et Jacques Girault, version mise en ligne le 1er février 2014, dernière modification le 23 janvier 2019.

Par René Gallissot et Jacques Girault

ŒUVRES : Le vers et le poème, Paris, Nathan-Université, 1984. — L’Engrenage. Un procès exemplaire. Algérie. 1952. Récit autobiographique, Le Temps des cerises, 2004.

SOURCES : Archives du Comité national du PCF. — Presse. — Notice dans le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, Maghreb Algérie, par René Gallissot. — M. Harbi, Une vie debout. Mémoires politiques, Tome 1, 1945-1962, Paris, La Découverte, 2002. — Jean Jaffré, L’Engrenage. Un procès exemplaire. Algérie. 1952. Récit autobiographique, Pantin, Le Temps des cerises, 2004. — Renseignements fournis par l’intéressé.

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