CHARBIT Jacques ou Jacques CHARBY, pseudonyme François [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né en 1929 au Pré-Saint-Gervais, au nord-est de Paris, mort le 1er janvier 2006 ; partisan de l’indépendance de l’Algérie, principal organisateur du soutien au FLN en France dans les milieux du théâtre et de l’action culturelle ; internationaliste de la naissance à la mort.

Son nom de théâtre reproduit à la terminaison près, son vrai nom : Charbit. L’enfant grandit dans l’écho des débats et tracas du groupe La Révolution Prolétarienne ; son père, Fraïm Charbit* (ci-dessus), né à Tlemcen, typographe, est gérant de la revue, en est autant dire le porteur, aux côtés de Pierre Monatte, Maurice Chambelland et plus distant, le syndicaliste Alfred Rosmer qui fait le lien avec Léon Trotstky. Les deux fils Charbit sont en quelque sorte mêlés à l’histoire du mouvement international. Jacques en est particulièrement nourri ; il est élevé aussi à l’école républicaine française ; sa mère est enseignante ; elle vient d’une famille juive d’Alger. Quand sévissent les lois raciales du régime de Vichy en 1941, quand l’arrestation s’approche, elle se suicide. Le père et les deux fils traversent clandestinement la ligne de démarcation vers la zone non occupée ; ils demeurent alors à Toulouse.

Tout après la libération de Toulouse, élève du conservatoire, et trichant un peu sur son âge, jeune affamé au seul costume étriqué et râpé, le garçon de 16 ans réussit grâce à André Thorent, à se faire recruter par la troupe de théâtre qui prend le nom de Grenier de Toulouse et lui, de Jacques Charby. Il gagnait de l’argent en faisant tous les métiers : vendeur de lacets, éclusier, il devient un comédien qui gagne en puissance et profondeur de voix pour devenir aux côtés de Daniel Sorano, Jacques Duby, Jean-Marie Rivière, un acteur majeur du Grenier de Toulouse montant et conduisant en tournées, des œuvres de Shakespeare, Molière, Marivaux, Plaute, Giraudoux, Cocteau…

Lors d’une tournée en Algérie, il conquiert celle qui devient sa compagne et qu’il épouse en 1953, Aline Bouveret* qui tranche avec le milieu colonial d’autant qu’elle appartient au groupe de jeunes qui entourent le professeur A. Mandouze* dont les enfants du syndicaliste chrétien Alexandre Chaulet*, Pierre et Anne-Marie Chaulet* et Salah Louanchi*. Jacques Charby a ses raisons familiales algériennes d’être attentif à la montée de la lutte et de la guerre de libération. Venant à Paris, grande voix et figure du théâtre classique, il triomphe en outre au théâtre de cabaret (Collège Inn, Chez Gilles, Trois Baudets, Tête de l’art…) ; il joue dans les séries de télévision, écrit et interprète une revue chez Agnès Capri…

Après avoir été « faucon rouge » (les Faucons rouges sont des groupes pionniers des Jeunesses socialistes), il avait été exclu en 1947 des Jeunesses socialistes pour trotskysme ou gauchisme révolutionnaire, ce qui n’est pas faux, sur injonction du nouveau secrétaire général de la SFIO qu’est Guy Mollet. Il militait activement au syndicat CGT des spectacles et de la culture et s’engage bientôt à la petite formation de l’Union de la Gauche socialiste qui lui semble se prononcer plus clairement que le PCF pour l’indépendance de l’Algérie. Mettant en avant le Mouvement de la paix, le PCF s’en tient généralement à parler de paix en Algérie.

Lucide mais extrême, Jacques Charby tiendra toujours grief au parti communiste d’avoir mis en retrait le mot d’ordre d’indépendance ; il faudrait mieux dire que l’indépendance n’est plus mentionnée que sous des conditions de négociations avec les représentants qualifiés des populations d’Algérie, comprenant donc les Français d’Algérie et la participation du PCA, comme si la guerre de libération n’était pas conduite par le FLN. Le débat se trouve quelque peu gauchi par pureté révolutionnaire.

Quand les proches d’Aline Bouveret devenue Aline Charbit : Annie-Marie Chaulet et Salah Louanchi qui vient prendre la tête de la Fédération de France du FLN, arrivent à Paris, Jacques Charby se met à leur disposition pour contribuer à la cause de la libération de l’Algérie, très tôt à la fin de 1956 et en se joignant en 1957 au réseau Jeanson*. Aline est Françoise et lui François du nom du héros du Diable au corps de Raymond Radiguet. Tout en prêtant la main au transport des sacs de sports pour les transferts de fonds et de tracts et journaux, à la cache des armes, il est chargé de l’hébergement, faisant appel à toute connaissance mais veillant à la sécurité ; à la demande de Haddad Hamada (Youssef Haddad) responsable de Paris-Périphérie de la fédérationde France du FLN, il conduit ainsi un blessé s’abriter chez Simone de Beauvoir.

Il n’est pas clandestin ; il met à profit les déplacements de la troupe de comédiens, ses engagements d’acteur de théâtre et de cinéma, pour rabattre les gens du spectacle et de l’action culturelle ; c’est par lui que le réseau Jeanson gagne les premières centaines de participants et a des antennes à Lyon-Villeurbanne par la troupe de Roger Planchon* et par J.-M. Boeglin*, à Dijon, à Marseille et dans les Maisons de la culture. Il tourne un film avec Ado Kyrou et Raoul Sangla et recrute sur le tournage et au delà par contacts : Jacques Audoir, Georges Berger, Michèle Firk, Jacques Trebouta…Il entraîne Roger Blin, Brigitte Fontaine, Gabriel Garran, Yann Le Masson, Cécile Marion, Olga Poliakoff et Marina Vladi sa soeur, Roger Pigault, Serge Reggiani, Jacques Rispal, Catherine Sauvage, Jean-Marie Serreau, Francesca Solleville, Claude Vinci*….

A la suite du retournement du responsable FLN en zone sud, A.Younsi, alias Mr Paul, J.Charby est arrêté à la frontière espagnole près de Perpignan le premier dimanche de février 1960 ; à Paris, sa femme Aline est emprisonnée quelques jours plus tard. Les polices sont à la recherche de Francis Jeanson*. « Les traitements que j’ai subis étaient habituellement réservés aux Algériens » ; il lui reste une épaule mal remise jusqu’à la fin de sa vie. Peut-être le Commissaire principal qui conduit l’interrogatoire qui se transforme en passage à tabac, livre la clef d’explication en hurlant : « Un youpin du côté des bicots, on aura tout vu ! ». À la prison de Fresnes, il se retrouve au milieu de 800 détenus du FLN ; une organisation efficace est en place et Jacques Charby devient professeur de français pour des élèves de tout âge. Il écrit aussi L’Algérie en prison publié très vite en mars 1961 par F.Maspéro. « A ce militant résolument athée de la « gauche insoumise », écrit André Mandouze en préface, on doit le témoignage le plus admirable qui soit sur la fraternité vécue en la deuxième division de Fresnes au sein d’une communauté humaine vraiment exceptionnelle. »

Conseiller par le professeur Paul Milliez, le grand comédien simule une atteinte pathologique au cerveau pour partir à l’extérieur subir une trépanation. Après avoir revu sa femme à la prison de La Roquette et repris des contacts, pour éviter le procès, il se fait hospitaliser à l’hôpital Beaujon (hôpital de la Préfecture de police de Paris) jouant la dépression au bord de la folie suicidaire. Non seulement son cas est disjoint du procès du réseau Jeanson mais celui aussi de sa femme, Aline. Prenant la voix de son avocat le bâtonnier Thorp, il téléphone au président du tribunal décrivant un état désespéré qui réclame la venue de son épouse « peut-être pour la dernière fois » ; Aline Charby est libérée à titre provisoire. Il est effectivement transféré chez les fous à l’hôpital psychiatrique de Ville-Evrard d’où il s’échappe pour gagner avec sa femme Aline, la Belgique, l’Allemagne, l’Italie pour aboutir à Tunis. Lourdement condamné, il devra attendre l’amnistie de 1966 qui vaut aussi pour les criminels de l’OAS, avant de reparaître en France.

« J’ai produit des émissions pour Radio-Tunis et effectué quelques missions pour le GPRA, dit-il avec modestie,… J’ai fait la connaissance des leaders du FLN mais la rencontre qui m’a le plus marqué fut celle de Frantz Fanon qui m’encourageait à m’intéresser aux enfants orphelins ». Avec l’aide des docteurs Michel Martini* et Nekkache pour le FLN, il met sur pied en Tunisie puis en Algérie, des Maisons d’enfants pour orphelins et en adopte deux. On lui doit le livre Les Enfants d’Algérie et le film ensuite : Une si jeune paix. À Alger, il assiste Mohamed Boudia* dans la relève du Théatre national algérien ; cependant la guerre d’Algérie a rompu sa carrière de grand acteur et d’homme de théâtre.

De retour à Paris, il interprète encore avec bonheur des rôles dans Le goûter des généraux de Boris Vian ou la pièce d’Alain Decaux Les Rosenberg ; il participe à des soirées politiques par la lecture grave de grands textes. Il écrit des adaptations télévisées, il travaille pour France-Culture. Selon la remarque de son ami André Thorent : « autodidacte forcené, il a tout lu et rattrapé le temps perdu de la Culture ».

Son dernier pensum fut de lire pour avis et corrections, l’introduction et des notices de cet ouvrage. Internationaliste et défenseur des luttes d’émancipation mais non des régimes établis ou abolis, son dernier texte reprend sa critique de la défaillance du PCF dans le soutien à l’indépendance algérienne à propos du livre-souvenir d’Henri Alleg*, Mémoire algérienne. Son papier paraît dans Le Monde juste avant sa mort ; il disparaît le 1er janvier 2006.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article152940, notice CHARBIT Jacques ou Jacques CHARBY, pseudonyme François [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 1er février 2014, dernière modification le 1er février 2014.

Par René Gallissot

ŒUVRES : L’Algérie en prison, préface d’André Mandouze, Minuit, Paris, 1961. -Les enfants d’Algérie, Maspero, Paris 1962. – Une si jeune paix, film 1963. — Les porteurs d’espoir. Les réseaux de soutien au FLN pendant la guerre d’Algérie : les acteurs parlent. La Découverte, Paris 2004.

SOURCES : A. Mandouze, Mémoires d’outre-siècle. Tome 1. D’une Résistance à l’autre. Viviane Hamy, France, 1998. — Témoignages dans Les porteurs d’espoir (cité ci-dessus). — Entretiens jusqu’à son avant dernier jour. — M. Harbi, Jacques Charby. Article nécrologique, Le Monde, 7 janvier 2006.

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