Par Amar Benamrouche et René Gallissot
Né en 1930 à Alger (Algérie), mort le 5 octobre 2012 à Alger ; passant du scoutisme catholique à la Jeunesse étudiante chrétienne ; à partir de 1952, un des animateurs de l’Association algérienne d’action sociale, réunissant des militants de mouvements de jeunesse ; collaborateur en 1954 de la revue Consciences maghribines, sous la direction d’André Mandouze* ; étudiant en médecine puis médecin aidant l’ALN ; à Tunis depuis 1957, membre de la Commission de rédaction d’El Moudjahid, organe du FLN et responsable du Centre de documentation du Ministère de l’information du GPRA à partir de 1958 ; membre su Service de santé de l’ALN-FLN en Tunisie (1958-1962). Après l’indépendance, enseignant de médecine à l’Université d’Alger et expert de l’OMS depuis 1981.
À Alger, Pierre Chaulet, grandit dans le nouvel appartement en plein centre colonial d’Alger où viennent de s’installer ses parents, tous deux animateurs dans les « équipes sociales » d’action catholique ; le père Alexandre Chaulet* (ci-dessus) est le fondateur de la CFTC en Algérie ; depuis 1937 il appartient au Bureau confédéral de la CFTC. Le fils aîné Pierre Chaulet est détourné de l’école publique par les pères jésuites amis de la famille ; il fréquente d’abord l’école annexe, boulevard Saint-Saëns (bd Mohammed V) du Collège Notre-Dame d’Afrique puis le Collège même, au milieu des enfants de la bonne société coloniale. Dans ce collège des Jésuites, on n’enseigne pas la langue arabe.
Malgré les réticences de son père qui trouve le scoutisme, bourgeois, à dix ans en 1940, le garçon est entré, d’abord louveteau au groupe de l’école des Jésuites, chez les Scouts de France, scoutisme catholique qui sous Vichy fait du zèle dans toutes les parades au drapeau (la montée des couleurs tous les matins) et les défilés qui chantent le Maréchal Pétain.
En 1941, pour mieux se consacrer à la CFTC, Alexandre Chaulet quitte son emploi de représentant commercial, pour prendre la direction à Alger de la première Caisse d’allocations familiales d’Algérie . On sait (ci-dessus) que sous l’action de Jacques Chevallier au nom du catholicisme social et de la lutte contre le communisme (on dit encore bolchevisme), le régime de Vichy (« Travail, Famille, Patrie ») soutient la mise en place de centres sociaux. Dans son témoignage (Parti pris, cité ci-dessous), Pierre Chaulet ne parle pas de cette époque ; il n’avait qu’une dizaine d’années.
À la fin des études secondaires, Pierre Chaulet fait partie des Jeunesses étudiantes chrétiennes (JEC) ; il se trouve ainsi militer à « l’Asso », l’association des étudiants catholiques de l’université d’Alger, car il a entrepris des études de médecine. C’est comme soigneur volontaire qu’il participe aux équipes du Servie civil international qui a ouvert un chantier dans un bidonville d’Hussein-Dey. Dans sa famille, il avait déjà été mis en éveil sur la misère sociale des quartiers et des bidonvilles ; à cette époque, le Secrétariat social de l’archevêché d’Alger, dirigé par le père Sanson, commence aussi ses enquêtes.
Les années 1947-1948 voient le remplacement du Gouverneur Chataigneau* par M.E.Naegelen*, tous deux socialistes certes, mais le successeur s’illustrant à donner satisfaction au pire contrôle colonial tant sur les élections que sur le syndicalisme et les manifestations politiques, en prenant même à son aise avec le statut de 1947 qui n’en confirmait pas moins la discrimination des deux collèges. Pour Pierre Chaulet, à l’approche d’action sociale, s’ajoute le rejet du racisme colonial et de la forfanterie dominante du milieu colonial que servent les institutions.
Le jeune homme trouve ses lectures à la Librairie Nouvelle, « communiste », et près de la Pêcherie, à la Librairie Mimouni du nom de son patron, responsable PPA, qui dispose de la presse et des brochures nationalistes, et bien sûr dans Alger républicain et dans les trois numéros de décembre 1950 à juin 1951 de Consciences algériennes, la revue d’André Mandouze*. À la Faculté certes, quelques étudiants algériens se joignent aux luttes du moment pour une Mutuelle étudiante. Pour participer aux rencontres entre mouvements de jeunesse, ce sont des Scouts Musulmans Algériens, routiers aguerris, qui sont les plus disponibles. Depuis 1945, le mouvement des SMA est investi par-delà des adeptes des Oulémas, par des cadres et militants du PPA-MTLD.
Après de difficiles discussions sur la représentativité des organisations et plus encore sur l’objectif de « front national », c’est finalement à partir de 1952 qu’est mise en place l’Association de la Jeunesse algérienne pour l’Action sociale (AJAAS) qui ne retient pas l’adjectif national et privilégie donc la mission sociale. L’Association catholique des étudiants a deux représentants dont Pierre Chaulet ; parmi les Scouts musulmans : Mahfoud Kaddache, Mohamed Salah Louanchi, Mohamed Drareni… ; pour les Jeunesses de l’UDMA : Layachi Yalker et Hassen Bourouiba*, pour les Jeunesses du MTLD : Belaïd Abdesslam et Lamine Khène ; certains représentants de partis ne sont que des figurants.
Sur des thèmes économiques, sociaux et politiques, l’AJAAS organise des sorties de week-ends, en moyenne une fois par trimestre à partir de 1953, à la base de vacances EDF de Sidi-Ferruch ; on y rencontre d’autres étudiants : Slimane Asselah, Mahmoud Bouayed, Abdelhamid Chariki, Pierre Colonna, Nafissa Hamoud, Jean Leca…, et des lycéens : Rachid Amara, Anne-Marie Chaulet, la jeune sœur.
L’impulsion que donne A. Mandouze l’emporte, tout en ne débordant guère ce milieu de la Faculté d’Alger et de travailleurs sociaux qui sont le plus souvent des jeunes filles chrétiennes, et de grands scouts ; une tentative d’implantation à Constantine n’aura pas de suite. En dépit de la crise du MTLD, l’influence nationaliste tend à être dominante. En 1953, après le congrès d’avril, Pierre Chaulet demande à entrer au MTLD, sans suite.
Pour porter le message d’en finir avec le racisme et les rapports coloniaux, André Mandouze se laisse gagner à l’idée de donner une suite à Consciences algériennes. Il est en contact suivi avec Robert Barrat, son condisciple et intellectuel catholique, journaliste à Paris, qui défend la cause marocaine après le coup monté de la déposition du sultan, et en liaison continuée avec François Chatelet* qui a dû quitter le lycée d’Oran pour enseigner à Tunis. Aussi la revue ronéotée (seule la couverture est imprimée) prend le titre de Consciences Maghribines (sic) ; pour faire plus arabe, Maghreb est écrit Maghrib. Pierre Chaulet est membre du Comité de rédaction ; la publication aura quelque 600 abonnés.
Le n° 1 de mars 1954 donne le point de vue des syndicats par Lakhdar Kaïdi* pour la CGT, un texte au nom de la CFTC, un pour FO même, et un au nom du Comité Algérien des chômeurs qui exprime le point de vue de la Commission centrale des Affaires sociales et syndicales du MTLD qu’anime Idir Aïssat*. Le n° 3 est ouvert par un éditorial d’André Mandouze : « Au secours, Messieurs, l’Algérie est calme » ; il paraît en octobre 1954. Le dernier numéro (n° double 6-7) en 1957 publie des textes du programme du FLN et de l’UGTA, que A. Mandouze reprendra ensuite en livre. Pierre Chaulet est lié à ces noyaux de prêtres, de militantes et militants catholiques qui sont aux côtés de la lutte de libération, comme à Alger les abbés Jean Scotto à Hussein-Dey, Alfred Desrousseaux à El Biar, Jules Declercq dans la Haute Casbah, et les prêtres de la Mission de France installés à Hussein-Dey et dans l’Est à Souk-Ahras. Un des derniers stages de l’AJAAS à Sidi-Ferruch en 1955, sur « la peur en Algérie », entendra un exposé de Frantz Fanon*. L’AJAAS continuera jusqu’en 1956 ; le dernier stage a lieu en janvier 1956 à l’Auberge de jeunesse d’Aïn Taya.
Pierre Chaulet s’engage déjà dans le travail d’aide à la lutte nationale par les Amitiés algériennes, créées en mars 1955 pour secourir les victimes de la « répression collective » pratiquée explicitement par les forces françaises ; il collecte les médicaments et s’adresse à Frantz Fanon à l’hôpital psychiatrique de Blida pour soigner les blessés de l’ALN.
Il accompagne la création de l’UGTA et réalise, le 1er mars 1956, une semaine après la création de la centrale nationale, la première interview d’Idir Aïssat* qui expose la signification nationale du syndicalisme. L’entretien paraît dans le journal L’Action à Tunis et sera repris dans Consciences maghribines. Pierre Chaulet est arrêté ; libéré, il doit quitter l’Algérie pour Paris. En 1956-1957 déjà, étudiante à Paris, sa fiancée Claudine Guillot, assurait la liaison avec la Fédération de France du FLN dirigée alors par Mohamed Salah Louanchi qui va épouser Anne-Marie Chaulet. Pierre et Claudine Chaulet rejoignent ensuite Tunis ; collaborateur du Moudjahid aux côtés d’Ahmed Boumendjel*, Frantz Fanon* et Redha Malek notamment, Pierre Chaulet devient responsable du Centre de documentation du Ministère de l’information du GPRA. Membre du Service de santé de l’ALN, il assure aussi un lourd travail de soins à l’hôpital,
Pour le 3e congrès de l’UGEMA en août 1960, Claudine et Pierre Chaulet soutiennent, la nouvelle proposition faite de retirer le M du nom du syndicat étudiant. C’est reprendre la tentative d’UNEA soutenue en 1953-1954, avec d’autres, par M.Harbi* La question se pose d’autant plus que deux déléguées élues, outre le fait qu’elles soient femmes, ne sont pas « musulmanes » selon identification communautaire, l’une « d’origine européenne » élue par les étudiants algériens de Tunisie, l’autre élue par les étudiants de RDA où elle est boursière de l’UGEMA : Alice Cherki.
Celle-ci est née dans une famille juive d’Alger, a travaillé en psychiatrie avec Frantz Fanon à Blida, puis le retrouvera à l’hôpital de Tunis. Bien qu’elle n’ait jamais été inscrite au PCA, elle est trois fois suspecte : femme combative, juive mais personne ne prononce le mot, et communiste, car elle a cette étiquette collée par l’anti-communisme majoritaire parmi les militants nationalistes en mal de tenir les appareils. Malgré le vote des délégués des pays arabes, favorable au changement, parce que pour eux, arabe ne veut pas dire conjointement musulman, la question du retrait du M est retirée de l’ordre du jour. En 1961, ce qui marque bien le rôle témoin qu’entendent lui faire jouer les dirigeants du FLN sans que l’opinion de beaucoup aille dans ce sens, il écrit dans El Moudjahid, les articles qui s’adressent à la minorité européenne pour lui assurer une place dans l’Algérie indépendante.
À Alger après l’indépendance, Pierre Chaulet enseigne à l’Université d’Alger ; il est de 1967 à 1994, professeur de médecine à l’Université, et depuis 1981, expert de l’Organisation mondiale de la santé. Il est élu comme délégué à l’Assemblée Populaire Communale d’Alger de 1967 à 1971. Il sera vice-président de l’Observatoire national des droits de l’homme (1992-1996), mis en place par Mohamed Boudiaf. Il est chargé de mission (santé) auprès du chef du gouvernement (1992-1994). Depuis 1999, il est membre du Comité national d’experts auprès du Ministère algérien de la santé. Claudine Chaulet consacre pour sa part, ses recherches à l’étude de l’autogestion agricole et enseigne la sociologie rurale à l’Université d’Alger.
Claudine Chaulet, née le 21 avril 1931 à Loneau (Haute-Marne), fille d’un officier de gendarmerie e d’une enseignante, mourut trois ans après lui, le 29 octobre 2015 à Alger.
Par Amar Benamrouche et René Gallissot
SOURCES : P. Chaulet, Parti pris, contribution à Majallah et Tarikh, revue d’histoire, Université d’Alger, n°spécial « Trentième anniversaire », ronéo. 27 +7 p., Alger 1984. – M .Farès, Aïssat Idir, op.cit. — A. Mandouze, Mémoires d’outre-siècle. Tome 1. D’une Résistance à l’autre. Viviane Hamy, France, 1998, 2002. — M. Harbi, Une vie debout. Mémoires politiques. Tome 1 : 1945-1962. La Découverte, Paris, 2001. — M. Martini, Chroniques des années algériennes. 1946-1962, Bouchène, Saint-Denis. — Corrections adressées par Pierre Chaulet après la publication en 2007 du Dictionnaire Maghreb : Algérie : engagements sociaux et question nationale, op. cit. – P. et C. Chaulet, Le choix de l’Algérie. Deux voix, une mémoire. Éditions Barzakh, Alger 2012.— Le Monde, 5 novembre 2015.