DEVOUASSOUD Pierre, Armand

Par Jean-Pierre Ravery

Né le 9 février 1921 à Paris (XVIIIe arr.), fusillé le 12 avril 1941 à Montebourg (Manche) ; aviateur ; résistant gaulliste.

Pierre Devouassoud était fils unique. Il fréquenta le lycée Jean-Baptiste-Say dans le XVIe arrondissement de Paris. En 1939, il devança l’appel et s’engagea dans l’armée de l’air pour la durée de la guerre en tant qu’élève-pilote. En mai 1940, il fut envoyé à l’école élémentaire de pilotage no 23 de Saint-Brieuc. Il y fit la connaissance du sergent-chef Jean-Magloire Dorange qui devint son instructeur. Il fut bientôt nommé caporal-chef et breveté. Démobilisé en août 1940, le jeune homme n’était pas décidé à rendre les armes. Le Royaume-Uni continuait la guerre contre le IIIe Reich et avait un besoin pressant de pilotes pour affronter les escadrilles de la Luftwaffe. Pour l’y aider, le général de Gaulle venait d’autoriser des aviateurs français qui s’étaient ralliés à lui à combattre dans les rangs de la Royal Air Force (RAF). Pierre Devouassoud avait gardé le contact avec son ancien instructeur et plusieurs de ses camarades de l’école de Saint-Brieuc. Ils conçurent le projet d’acquérir un bateau pour s’évader de France et gagner l’Angleterre. Ils en trouvèrent un à Saint-Cast (Côtes-du-Nord, Côtes-d’Armor) – un cotre de neuf tonnes dénommé le Buhara – que son propriétaire était prêt à leur vendre au prix fort, malgré son état déplorable. Chacun mit la main à la poche et la mère de Pierre Devouassoud paya ce qui manquait. Les candidats au départ étaient bien conscients des limites de leurs compétences en matière de navigation. Ils intéressèrent donc à leur entreprise un marin de Dinard âgé de vingt-trois ans, René Lebreton, un mécanicien de la marine de vingt-sept ans natif de Paris, Victor Quéret, et un électricien de Saint-Brieuc, Emmanuel Chevalier, qui n’avait pas encore vingt ans.
Dans la nuit du 12 février 1941, le Buhara était amené dans la baie de la Fresnaye et quinze hommes embarquaient à son bord. Outre Dorange et Devouassoud*, plusieurs d’entre eux étaient d’anciens pilotes ou élèves-pilotes, tous âgés d’une vingtaine d’années, parfois moins : Pierre Blangy, Pierre Delabruyère, Maurice Mathiot, Raymond Cauvel, Robert Laruelle, Émile Aubry, Auguste Zalewski et Henri Menetray.
Après quelques heures de navigation dans une mer forte, la drisse de la grand-voile se rompit. Mis en route, le moteur donna rapidement des signes de faiblesse. L’essence dérobée aux Allemands avait un indice d’octane trop élevé. Pour compléter le tout, une voie d’eau se déclara. Au petit matin du 13 février, alors que le cotre était en perdition à une cinquantaine de kilomètres au large de Guernesey, la fumée d’un navire apparut à l’horizon. Londres ayant été prévenu, les jeunes insoumis voulurent croire que c’était un bateau anglais qui venait à leur rencontre. Mais c’était en fait un patrouilleur de la Kriegsmarine, le Bernhard von Tschiraky, qui les arraisonna, les prit en remorque et les débarqua le soir même à Cherbourg (Manche).
Le 3 mars 1941, ils furent transférés à Saint-Lô (Manche) pour y être traduits devant le tribunal de guerre de la Feldkommandantur 722. Le procès fut expédié en deux jours, les 19 et 20 mars. Le Kriegsgerichtrat Wirth présidait les débats, assisté de l’un de ses collègues de la Kommandantur de Saint-Lô, Serg Hauptmann, et d’un officier de la Kreiskommandantur 741 de Granville (Manche), le capitaine von Pascali. La défense des accusés était assurée par des avocats allemands commis d’office, le Dr Diener et le capitaine Rolls. Ce dernier se démena pour sauver la tête de ses clients, invoquant leur ardent patriotisme et leur sens du devoir, mais il n’y parvint que partiellement. Les autorités militaires allemandes étaient décidées en effet à faire un exemple.
Dans son réquisitoire, le procureur présenta les accusés comme des mercenaires appâtés par les fortes primes offertes aux aviateurs par la Grande-Bretagne. En foi de quoi, il réclama la peine de mort pour « aide à l’ennemi », étant entendu que « les engagements dans l’armée anglaise sont punissables de par les lois françaises » (Vichy considérait en effet que les ressortissants français qui rejoignaient les forces armées britanniques se rendaient coupables de « haute trahison »). Jean Dorange avait avoué être l’organisateur de l’évasion. Ses compagnons avaient reconnu avoir « quitté la France pour entrer dans la RAF ».
Tous furent condamnés à mort, à l’exception du plus jeune qui écopa de sept années d’emprisonnement. La mère de Pierre Devouassoud fut arrêtée pour « complicité », incarcérée et plus tard déportée, comme le batelier de Saint-Cast qui avait vendu le Buhara aux fugitifs. Finalement, le capitaine Rolls réussit à obtenir que les sentences de douze des condamnés soient commuées en peines de travaux forcés à perpétuité (deux d’entre eux, Raymond Canvel et Auguste Zalewski, allaient mourir en déportation). Mais le verdict fut maintenu pour Jean-Magloire Dorange et Pierre Devouassoud, « initiateurs et bailleurs de fonds du projet ».
Dans la dernière lettre qu’il put écrire à ses parents, Pierre Devouassoud réfutait les accusations du procureur allemand : « Je tiens à vous affirmer que personne ne m’a poussé à partir ; je suis seul responsable de mon acte. L’argent n’a jamais été mon but. Si je suis parti, c’est pour la France et pour l’aviation [...]. Ce que j’ai fait, j’estime que c’était mon devoir ; aussi je ne regrette rien [...]. Mourir en soldat, c’est une belle fin. »
Le 12 avril 1941, jour du vendredi saint, les deux hommes ont été fusillés dans le parc de l’abbaye Notre-Dame de l’Étoile, à proximité de l’aérodrome de Montebourg (Manche). Ils tombèrent au cri de « Vive la France, vive l’Angleterre ».
Le dimanche suivant l’exécution, le chanoine de Chivré annonça qu’une messe serait dite à la mémoire de « Pierre et Jean-Magloire, morts pour la France ». Le jour dit, l’abbatiale était comble. L’affaire allait connaître un grand retentissement pour une autre raison : dans sa cellule de la prison de Saint-Lô, Victor Quéret rédigea le 11 avril 1941 un récit de la tragédie qu’il remit à la fille du gardien-chef français, Odette Pannier. Cette dernière fit passer le document à des résistants qui le dupliquèrent et le diffusèrent à Saint-Lô et dans toute la région, attisant l’opprobre contre l’occupant.
Les dépouilles des deux aviateurs furent d’abord inhumées à Ozeville (Manche) puis transférées après-guerre à Orglandes (Manche) où elles reposent dans la même sépulture.
En 1948, Pierre Devouassoud fut promu au grade de sous-lieutenant à titre posthume au titre des Forces françaises combattantes (réseau Hector) et la Médaille de la Résistance lui fut décernée. Une stèle à la mémoire des deux aviateurs fut érigée à la sortie nord de Montebourg, sur le lieu de l’exécution, et une plaque commémorative apposée sous le porche de l’abbatiale. En 1952, deux vitraux évoquant leur sacrifice furent installés dans l’édifice (ils ont depuis été restaurés). Le nom de Pierre Devouassoud fut attribué à une rue d’Orglandes qui mène à un cimetière militaire allemand. Le mémorial de Saint-Cast « aux évadés de France » comporte également une plaque dédiée aux deux résistants fusillés. Enfin, le 14 février 2001, une stèle commémorant le départ des quinze jeunes Français libres a été inaugurée à Fréhel Port-Nieux (Côtes-d’Armor), à l’initiative de Mme Émilienne Laruelle, veuve de l’un d’entre eux.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article153358, notice DEVOUASSOUD Pierre, Armand par Jean-Pierre Ravery, version mise en ligne le 13 février 2014, dernière modification le 9 septembre 2022.

Par Jean-Pierre Ravery

SOURCES : DAVCC, Caen (Notes Thomas Pouty). – Henry Lafont (colonel, Compagnon de la Libération), Aviateurs de la Liberté. Mémorial des Forces françaises aériennes libres, Service historique de l’armée de l’air, 2002. – Hervé Le Boterf, La Bretagne dans la guerre, France Empire, 1969. – Roger Huguen, Par les nuits les plus longues : réseaux d’évasion d’aviateurs en Bretagne 1940-1944, Les Presses bretonnes, Saint-Brieuc, 1976. – Pierre Accoce, Les Français à Londres : 1940-1944, Balland, 1989. – André Debon et Louis Pinson, La Résistance dans le bocage normand, Tiresias, 1994. – Occupation, résistance, libération en Bretagne : témoignages (collectif), Éd. Astoure, 2001. – Jean-Pierre Besse et Thomas Pouty, Les fusillés : répression et exécutions pendant l’occupation, 1940-1944, Éd. de l’Atelier, 2006. – Mémorial GenWeb.

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