L’HÉVÉDER Roger

Par Jean-Paul Nicolas

Né le 26 mars 1914 au Havre (Seine-Inférieure, Seine-Maritime), fusillé comme otage le 14 février 1942 au frontstalag 122 de Compiègne-Royallieu ; inscrit maritime, mécanicien ; militant communiste ; en Espagne : engagé dans les Brigades internationales puis passé membre d’équipage de France-Navigation .

Madame L’Hévéder, née Marie Rivoalen, la mère de Roger L’Hévéder à qui il adressa sa dernière lettre de condamné.

La famille L’Hévéder trouve son origine en Bretagne-nord à Louannec (Côtes- d’Armor) région côtière riche en "marins du commerce". Son père, François, marin mécanicien et sa mère Maria Le Roux, originaire de Louargat, vinrent au début du siècle s’installer au Havre comme beaucoup de navigants bretons de la marine marchande. La mère de Roger décéda en 1915, un an après la naissance de Roger. Son père, François se remaria avec Marie Rivoalen qui prit, comme sa vraie mère, soin du petit Roger. De cette nouvelle union naquirent les deux demi-frères de Roger : François et Jean.

Durant les années trente, Roger L’Hévéder comptait parmi les marins communistes du Havre. On sait que les ports jouaient un rôle de premier plan dans le fonctionnement de l’Internationale Communiste (IC) ou (Komintern). C’était le cas du port du Havre et L’Hévéder ainsi que ses collègues navigants ou dockers : Gruenais, Famery, Vernichon, Domurado, Nicol, Toulouzan, Couillard étaient rattachés à l’IMD (Internationale des Marins et Dockers). Leur rôle international les amenait à occuper dans l’organisation communiste une place particulière avec parfois des missions directement commanditées par l’IC ou la direction centrale du PCF. Cette activité politique parallèle tenait les marins et dockers en marge des structures locales du Parti. Marie-Paule Dhaille évoque à ce propos dans sa thèse et ses écrits la notion de double appareil. La guerre d’Espagne accentua ce phénomène avec la création de France-Navigation, la « société rouge » au pavillon français qui possédait plusieurs navires au port d’attache du Havre, recrutait des équipages entiers de marins français communistes en vue de venir en aide à la République espagnole en péril depuis le coup de force militaire franquiste de juillet 1936 qui engendra la guerre civile. Le but de France-Navigation était de fournir à l’Espagne républicaine le ravitaillement en armes lourdes soviétiques dont elle avait besoin pour résister au fascisme dans le contexte de "non-intervention" des deux puissances occidentales France et Grande-Bretagne. La création de cette compagnie financée par l’IC et fondée par le PCF avait la valeur politique d’un acte internationaliste de résistance à la montée du fascisme en Europe dans lequel l’Union Soviétique avait un rôle moteur.

Une lettre du commissariat central de police du Havre destinée au préfet, datée du 29 novembre 1941 indiquait que "Roger L’Hévéder, militant communiste convaincu avant la guerre, avait poussé ses convictions au point qu’il n’hésita pas à partir comme volontaire durant la guerre d’Espagne où il resta 21 mois ".

La police signalait également dans le même courrier la présence de L’Hévéder en 1938 comme « chef de cellule » (sic) à bord du Mostaganem, navire de France-Navigation.

Roger L’Hévéder fut-il mobilisé en 1939 ou début 1940 ? On peut au moins affirmer qu’il se trouvait au Havre à l’automne 1940, logé chez sa mère, Marie Rivoalen, au 18 rue Bellot, sur le port. Dans cette période, le parti, illégal depuis septembre 1939, se réorganisait, sous occupation étrangère, autour d’éléments jeunes, ouvriers et instituteurs mais aussi d’anciens des brigades et de marins de France-Navigation débarqués de la compagnie dissoute. L’activité principale consistait à imprimer et à diffuser au Havre journaux et tracts clandestins. Le 7 décembre 1940, suite à une probable dénonciation, une perquisition de la police française au domicile de Roger L’Hévéder constata sa « détention d’imprimés communistes récents », et aboutit à la « découverte de six rames de mille feuilles blanches destinées à l’imprimerie ». Arrêté sur le champ par la police française, L’Hévéder fut condamné par un tribunal français à un an de prison qu’il effectua à la maison d’arrêt du Havre. Sa peine le rendait libérable au mois de décembre 1941 mais la lettre du commissariat central citée plus haut indiquait au préfet en guise de conclusion :« pour toutes ces raisons, la libération de L’Hévéder n’est pas souhaitable actuellement ». Il fut transféré à la prison de Rouen puis livré aux autorités allemandes qui le transférèrent le 12 Janvier 1942 au Front-Stalag 122 de Compiègne-Royallieu (Oise). Dans ce camp de transit vers Auschwitz, il ne restera qu’un seul mois. Suite à des attentats dans la région normande, notamment celui d’Elbeuf le 21 janvier 1942 contre un soldat allemand, l’Etat-Major allemand exige de la part de la police de Rouen, détentrice des fichiers, une liste d’otages communistes détenus provenant de Seine Inférieure. Ceux-ci sont nombreux en ce début 1942 derrière les barbelés du camp de Compiègne. Des listes d’hommes sélectionnés par la police française sont communiquées aux occupants où figure Roger L’Hévéder. Quatre hommes sont choisis et jugés par un conseil de guerre expéditif tenu dans le camp qui les condamnent à mort en représailles de l’attentat d’Elbeuf.

Roger L’Hévéder a été fusillé, comme otage, à Compiègne, le 14 février 1942, avec trois autres détenus du Frontstalag 122 Lucien Levavasseur, Jacques Samson, Chaïm Porecki (dit Henri), tous du département de Seine-Inférieure.

Dans son dossier au ministère des Anciens Combattants, un pièce dactylographiée a reproduit la dernière lettre qu’il adressa à sa mère :

« Compiègne, le 14.2.42 6 heures à Madame L’Hévéder, 18 rue Bellot, LE HAVRE, S.I.
Ma chère Maman
On est venu me chercher hier soir et j’ai couché en prison cette nuit. Je viens de comparaître devant le tribunal Militaire allemand qui m’a condamné à mort.
Hélas, ma pauvre Maman, que de peine je vais te faire aujourd’hui. C’est sans doute à cause de l’attentat de Rouen, et pourtant je n’y suis pour rien. Je serai fort, Maman et souhaite que tu le sois aussi en lisant ces quelques mots.
Embrasse bien Jean et François une dernière fois pour moi, va chez Denise et Joseph et remercie-les des bontés qu’ils ont eues pour moi et reçois, ma vieille Maman avec ma dernière pensée les bons baisers de ton fils.
(Signé) : Roger.
Je pense que les marins te viendront en aide. »

Les quatre hommes du 14 février furent fusillés au champ de tir des Beaux-Monts dans la forêt de Compiègne. Au cours de l’année 1942, quinze hommes du camp de Compiègne furent ainsi fusillés comme otages dans des endroits parfois éloignés du centre de Compiègne. Le bruit des fusillades risquant d’affoler les populations et les internés du Front stalag 122. On inhuma les victimes dans plusieurs cimetières de villages dispersés. Ainsi Roger l’Hévéder fut inhumé anonymement avec Jacques Samson au village de Lacroix-Saint-Ouen. Tandis que Levavasseur et Porecki le furent à Vieux-Moulin, un autre village.

Une rue du Havre a porté le nom de Rue de l’Heveder puis actuellement « Rue L’Heveder », à proximité du port et du bassin Bellot. Son prénom n’est pas mentionné, cette formulation de nom de rue ignore manifestement ce que fut le destin peu commun du marin Roger L’Hévéder, fusillé à Compiègne le 14 février 1942.

Site d’exécution Compiègne-Royallieu, Moulin-sous-Touvent, forêt de Carlepont (Oise) : février-mai 1942

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article153380, notice L'HÉVÉDER Roger par Jean-Paul Nicolas, version mise en ligne le 13 février 2014, dernière modification le 17 février 2021.

Par Jean-Paul Nicolas

Musée de la résistance nationale. Fichier de l’Association des familles de fusillés.
Madame L’Hévéder, née Marie Rivoalen, la mère de Roger L’Hévéder à qui il adressa sa dernière lettre de condamné.
Liste d’otages où figure Roger l’Hévéder aux côtés d’autres détenus de Compiègne. Document traduit pour la police Française. (Archives familiale Pierre Corniou).

SOURCES : Arch. Dép. Seine-Maritime, cote 51W 428 (les fusillés), 51W419 (arrêtés). – DAVCC, Caen, B VIII dossier 3. – Marie-Paule Dhaille-Hervieu, Communistes au Havre, PURH, 2010. – Grisoni, Hertzog, Les brigades de la mer, Grasset, 1979. – Beate Husser, JP Besse, Françoise Leclère-Rosenzweig Frontstalag 122 Compiègne-Royallieu un camp d’internement dans l’Oise. Edition AD de l’Oise 2008.

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