DAVEZIES Robert, MARTIN dans la clandestinité [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né le 30 avril 1923 à Saint-Gaudens (Hautes-Pyrénées, France), mort à Paris le 23 décembre 2007 ; prêtre de la Mission de France, militant du Mouvement de la paix, un des premiers et des plus actifs particpants au soutien de la cause de la lutte algérienne de libération dans les réseaux d’aide.

Après la guerre de 1914-1918, le père, dessinateur industriel, entré à la Compagnie des chemins de fer du midi, commence sa carrière à Tarbes ; c’est dans cette ville que Robert Davezies passe son enfance et fait sa scolarité jusqu’au baccalauréat. Il entreprend ensuite une licence de mathématiques et sera licencié de sciences de l’Université de Toulouse. De famille catholique, il s’initie à l’action sociale à la JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne). Il entre en 1945, à 22 ans, au Grand séminaire de Tarbes.

Pour lui, le Christ s’identifie aux exploités, au prolétariat selon le vocabulaire marxiste repris par la génération de la Résistance aux côtés des communistes, et qui sacralise la Révolution soviétique. L’Eglise s’est coupée du peuple, a « perdu la classe ouvrière » ; il faut porter l’Evangile en ce « pays de mission » selon l’ouvrage de l’Abbé Henri Godin et d’Yvan Daniel, qui est la grande lecture des jeunes de l’Action catholique. Le futur prêtre va suivre un stage de six mois au séminaire de la Mission de France à Lisieux en Normandie, qui assure la formation des prêtres-ouvriers. Revenu au pays, ordonné prêtre à 28 ans le 29 juin 1951, R. Davezies devient vicaire à Lannemezan, petite ville entre Tarbes et Toulouse ; il est en manque d’immersion ouvrière bien qu’animant l’action catholique ouvrière sur place. Il obtient en 1953, son détachement à la Mission de France.

Hantée par la force de l’influence dite marxiste qui conduit au communisme athée, la hiérarchie catholique et la papauté veulent contrôler les engagements de la Mission de France en arrêtant d’abord, en 1953, l’établissement de prêtres ouvriers, avant de décider le retrait des usines en mars 1954. Il reste la possibilité d’être prêtres servant dans la marine ou travaillant à la campagne ou employés dans les secteurs scientifiques. Complétant sa licence, Robert Davezies est destiné à entrer dans l’équipe de la Mission de France qui travaille dans les institutions scientifiques à l’exemple du père Bernard Boudouresques* au Centre d’études nucléaires de Saclay, avec qui il loge. A partir de septembre 1955, R.Davezies est employé comme ingénieur de recherche au Laboratoire de physique de l’Ecole normale supérieure au quartier latin.

Ces prêtres de la Mission de France se retrouvent fréquemment au groupe Coopération qui se réunit au café Musette dans le quartier Italie (13e arrondissement de Paris), restaurant et local populaire que fréquentent particulièrement les militants algériens formés conjointement à la CGT et au MTLD, et liés à la Commission nord-africaine Île de France de la CGT et qui passe au FLN après 1954 (voir à Omar (Saïd) Belouachrani*). Aux débats et aux soirées qui se tiennent le mercredi, viennent Saïd Slyémi*, responsable syndical et Ahmed Mostefaoui, des cadres nationalistes comme Layachi Yaker, Mohammed Harbi*, ou passent Kateb* Yacine, Mohamed Dib*, Sensibles aux luttes de libération, c’est un milieu de chrétiens progressistes, catholiques ou protestants : Jacques Berthelet*, Roger et Madeleine Colas et leur fille Geneviève, Jean de Miribel alors prêtre cordonnier dans le quartier, Elya Perroy prête pour toutes les missions, Jean Urvoas* qui est vicaire à Puteaux,…. Robert Davezies découvre la question coloniale et identifie l’immigration algérienne au prolétariat.

Parallèlement il suit en effet les cours de l’Université nouvelle, les cours de philosophie et d’économie politique donnés au quartier latin par des professeurs du PCF, lit Lénine et Hegel, adopte « les thèses sur Feuerbach » de Marx (transformer le monde et pas seulement le penser), faisant de la lutte de classes par la référence à l’exploitation et au capitalisme impérialiste, sa ligne de conduite. La crise du communisme soviétique en 1956 ne semble guère le toucher ; il retient de Khrouchtchev, les citations sur les erreurs commises dans la propagande pour l’athéisme qu’il s’évertue à faire préciser lors de sa visite en URSS en juillet-août 1957, seul prêtre dans la délégation française au Festival de la jeunesse et des étudiants, ce qui lui permet le contact avec des dignitaires de l’Eglise orthodoxe.

Son action militante politique à Paris le fait participer aux côtés des communistes aux campagnes du Mouvement de la paix. C’est aux journées du mouvement sur l’Algérie, du samedi et dimanche 1er et 2 juin 1957, à la Maison des métallurgistes de la rue Jean-Pierre Timbaud que Jean Urvoas* qui pratique déjà l’aide au FLN, le fait entrer dans son groupe de soutien formé des « copains » qui gravitent autour de la Mission de France et de la paroisse du quartier Italie. À son tour, Robert Davezies va beaucoup recruté ; il se charge des passages en Espagne par les Pyrénées, des liaisons et dépôts, plus tard des caches de l’argent de la Fédération de France du FLN. En effet à partir d’octobre 1957, le groupe se lie à ce qui devient le réseau Jeanson* et plus tard s’associe aux activités du groupe Curiel*. L’anticolonialisme devient premier, ce qui implique l’indépendance de l’Algérie.

Optimiste, R.Davezies pense non seulement rallier la direction de la Mission de France à l’idée d’indépendance, mais la « faire basculer du côté du FLN » (Sybille Chapeu, op.cit.) ; ainsi au printemps 1958, succède-t-il à Jean Urvoas* à la sous-commission nord-africaine au sein de la Commission urbaine de la Mission de France, mais la hiérarchie d’Eglise veille. Sous les auspices du Comité d’action et d’information contre la guerre en Algérie, il met au point la brochure La question algérienne réunissant des textes de Jean Dresch*, Ch-A. Julien*, H-I. Marrou et même d’Alfred Sauvy sur le sous-développement, préludant à la notion de Tiers-monde. A partir du 16 Mai, -son pseudonyme est Martin-, il devient permanent des réseaux de soutien, le seul permanent, s’employant à superviser les transferts de fonds et répondant des passages de frontières. A la suite des arrestations suivant la tentative d’attentat FLN contre Jacques Soustelle, il est recherché pour avoir convoyé les militants venus d’Espagne ; son frère et sa sœur sont arrêtés ; les maisons de la Mission de France, fouillées ; un mandat d’arrêt est lancé contre lui le 16 octobre 1958.

En octobre, il sort de France pour rejoindre Cologne où se trouve abrité le Comité directeur de la Fédération de France du FLN ; il travaille à son service. Comme de son côté, le père Mamet* est retourné s’abriter en Tunisie, il le rejoint de janvier à mars 1959 pour recueillir les témoignages des réfugiés algériens au Kef et auprès de l’ALN des frontières, retenant en particulier la parole des enfants ; photographe,Yann Le Masson* s’intéresse aux dessins pour le film de René Vautier*.

Pour sa part, Robert Davezies illustre son plaidoyer pour l’indépendance en soutenant que tout le peuple algérien est derrière le FLN dans Le Front publié par les Editions de Minuit début octobre 1959. Inculpé dans le procès de l’OS (organisation spéciale du FLN, France) en avril 1959, il avait fait sensation par la lettre adressée au président du Tribunal militaire de Paris ; l’Algérie sera indépendante pour mettre fin à l’exploitation coloniale ; l’évangile et le Christ sont du côté des exploités et des pauvres. Le 16 avril 1960, Robert Davezies est condamné par défaut à 10 ans de réclusion et 20 ans d’interdiction de séjour. Le cardinal Liénart désavoue la lettre et affirme que le père Davezies ne représente en rien la Mission de France.

Se rendant facilement en Suisse, le père Davezies soutient l’organisation du groupe de déserteurs qui constitue un noyau du mouvement Jeune Résistance fondé en mai 1959, autour de Jean-Louis Hurst* (Maurienne, l’auteur du Déserteur), du communiste opposant Louis Orhant*, du militant catholique progressiste Gérard Méier. Il se sent très proche d’Henri Curiel* qui entend créer un Mouvement anticolonialiste français (MAF) sans se couper du PCF ; le groupe Jeanson* lui semblait trop « bourgeois » ; « les chrétiens du réseau trouvèrent Henri Curiel à leur goût et il les trouva au sien » (lettre à Henri Alleg de mai 1998).

À la fin de 1960, le groupe Jeune Résistance de Suisse décide des retours en France pour mener une action clandestine ; Robert Davezies gagne la région lyonnaise. Lors d’un rendez-vous à Annemasse avec l’éditeur Nils Andersson, il est arrêté le 29 janvier 1961. Bien que resté pour partie à l’état d’ébauche, Nils Andersson publiera en mars à Lausanne Le Temps de la Justice qui commente les raisons de l’engagement politique mariant Lénine et l’Evangile. Condamné pour faux et usage de faux, par le tribunal de Lyon le 15 mars 1961, à 4 mois de prison, Robert Davezies est transféré à la prison de Fresnes avant de comparaître devant le Tribunal militaire de Paris. Le cardinal Liénart désavoue à nouveau les positions du père Davezies, mais lui rend visite plus tard en novembre 1961 à Fresnes où le père Davezies se sent réconforté par l’entourage du millier de prisonniers du FLN et des prisonniers politiques français des réseaux.

Les négociations avec le FLN vont leur cours alors que se déroule le procès de l’abbé Davezies du 9 au 12 janvier 1962 ; c’est le procès de la colonisation et de la guerre » d’Algérie. Robert Davezies est assisté d’un collectif d’avocats et reçoit le soutien d’une trentaine de personnalités, de René Capitant à Louis Aragon. Il est condamné à trois ans de prison et trois mille francs d’amendes. Trois jours après, le 15 janvier, le même tribunal acquitte trois militaires français auteurs de tortures ayant entraîné la mort dont celle d’une jeune algérienne Saadia Mebarek. Libéré le 4 juillet 1962, Robert Davezies lance une campagne pour la libération des condamnés français pour soutien au FLN (brochure L’amnistie des républicains).

En 1963, il publie un roman se situant dans le cours de la guerre d’Algérie (Les Abeilles), puis des recueils de poèmes évoquant les luttes de libération. Il soutient l’action contre la colonisation portugaise en Angola (Les Angolais, 1965). En désaccord avec Henri Curiel*, il quitte le groupe Solidarité de soutien aux luttes de libération. Les mouvements de Mai 1968 le conduisent à fonder le Comité d’action pour la Révolution dans l’Eglise (CARE), animant l’association des prêtres contestataires (3 novembre 1968) dite : « Mouvement du 3 novembre », puis « Echanges et dialogue ». Il fait retour sur la guerre d’Algérie dans Un temps pour la guerre.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article153639, notice DAVEZIES Robert, MARTIN dans la clandestinité [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 19 février 2014, dernière modification le 28 octobre 2022.

Par René Gallissot

ŒUVRES : Sur l’Algérie : Le Front, Minuit, Paris, 1959. –Le temps de la Justice, La Cité, Lausanne, 1961. –Un temps pour la guerre, L’âge d’homme, Lausanne, 2002.

SOURCES : Sybille Chapeu, Trois prêtres et un pasteur dans la guerre d’Algérie. Université de Toulouse 2, publication du GPRI, 1996, et Des chrétiens dans la guerre d’Algérie. L’action de la Mission de France. L’Atelier, Témoignage chrétien, Paris 2004. –R.Davezies, témoignage dans J.Charby, Les porteurs d’espoir. Les réseaux de soutien au FLN pendant la guerre d’Algérie : les acteurs parlent. La Découverte, Paris, 2004. –Rencontres et échange de correspondance. –Notice plus développée par Sybille Chapeu dans DBMOMS, t. 4, 2008.

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