DUTEUIL Jean-Pierre [Dictionnaire des anarchistes]

Par Sylvain Boulouque

Né le 3 août 1944 à Paris ; enseignant, éditeur ; militant anarchiste à la faculté de Nanterre ; à l’origine du Mouvement du 22 mars en 1968.

Le père de Jean-Pierre Duteuil, employé de bureau, prisonnier de guerre et évadé, puis libéré en1943, adhéra à la CGT et un temps au Parti communiste ; Jean-Pierre fut élève au lycée Jean-Baptiste-Say où il sympathisa avec le Front universitaire antifasciste qui menait des actions contre l’OAS et pour l’indépendance de l’Algérie.

Après avoir raté son baccalauréat en 1962, il partit quelques semaines en Italie où il rencontra des militants anarchistes italiens. Élève au lycée de Nanterre en 1963-1964, lecteur du Monde libertaire, il participa à diverses actions antimilitaristes et contre l’armement atomique, notamment à l’envahissement de la pelouse lors d’un match de rugby à Colombes entre la France et l’Angleterre devant les caméras de télévision.

À la rentrée 1964, il devint étudiant à la toute nouvelle université de Nanterre et fut l’un des fondateurs du groupe anarchiste. La même année, le groupe, suite à une annonce parue dans Le Monde libertaire, rejoignit la Liaison des étudiants anarchistes, créée l’année précédente notamment par Tomás Ibañez* et Richard Ladmiral. L’année suivante, le groupe de Nanterre, qui n’était pas seulement composé d’étudiants, adhéra à la FA.

Ces étudiants libertaires se réclamaient de l’anarcho-communisme, refusant le synthésisme et l’individualisme anarchiste qui était très présent à la FA. Le groupe intervenait particulièrement à l’université par des moyens renouvelés d’agitation : happening, prises de parole sauvages, interruptions de cours, refus systématique de tout pouvoir, fût-il symbolique, et surtout critique virulente du contenu de l’enseignement.

Le groupe anarchiste de Nanterre participa à la réflexion des étudiants libertaires sur la question du syndicalisme en milieu estudiantin, estimant que des contradictions de classe le traversaient. En 1966, les militants de la LEA quittèrent la tendance minoritaire de l’UNEF dirigée par les lambertistes pour fonder la Tendance syndicaliste révolutionnaire fédéraliste qui prit, faute de combattants, le contrôle de l’UNEF (philo-socio-psycho) à Nanterre. La LEA et le groupe de Nanterre étaient proches de la revue Noir et Rouge animée notamment par Christian Lagant*, Frank Mintz, Richard Ladmiral, Jean-Pierre Poli, Pascale Claris et Pierre Tallet.

Parallèlement, entre 1965 et 1967, Duteuil participa à différents campings et réunions internationales de jeunes militants anarchistes, souvent à l’initiative de la Fédération ibérique des jeunesses libertaires (FIJL ; voir Vicente Marti).
Il participa, avec la LEA, à la création du Comité de liaison des jeunes anarchistes (CLJA) qui fédéra des militants de diverses organisations (FA, UGAC, Noir et Rouge, inorganisés) désireux de « revivifier » le milieu anarchiste.
En 1966, Jean-Pierre Duteuil entra au comité de rédaction du Monde libertaire. Le groupe de la FA de la ville édita alors l’Anarcho de Nanterre, ronéoté, dont les militants communistes tentèrent physiquement d’interdire les ventes et distribution sur la ville.

En 1967, Jean-Pierre Duteuil quitta la FA lors du congrès de Bordeaux avec une quinzaine d’autres groupes qui se fédérèrent pour un temps sous le nom de « l’Hydre de Lerne », en désaccord avec la conception de l’organisation qui prévalait à la FA sous le nom de « synthèse ». Le groupe de Nanterre et les jeunes militants qui venaient de quitter la FA se rapprochèrent du groupe Noir et Rouge, créant un « groupe non groupe ». Il participait dans le même temps à toutes les luttes menées sur le campus de l’université de Nanterre dont la plus connue demeura, le 22 mars 1968, l’occupation de la tour administrative, qui faisait suite à la manifestation contre l’American Express exigeant notamment la libération de Xavier Langlade qui venait d’être arrêté.

Cette occupation donna naissance au mouvement éponyme. Duteuil fut convoqué, avec notamment Daniel Cohn-Bendit*, René Riesel et cinq autres étudiants du 22 mars, devant le conseil de discipline de la Sorbonne. En mai, Duteuil fut interviewé pour le livre La révolte étudiante : les animateurs parlent (Seuil, 1968) puis participa à un collectif d’ex-22 mars qui publia trois numéros du journal Passer Outre entre 1968 et 1969. Il adhéra alors formellement au groupe Noir et rouge et participa activement à Information correspondance ouvrière (avec notamment Henri Simon, Daniel et Rina Saint James, Jean-Jacques Lebel, Christine Fauré, quelques anciens du 22 mars, ceux de la future Lanterne noire et de nombreux autres) jusqu’à la dissolution du groupe. Il fonda ensuite, avec notamment Heloisa Castellanos, Eduardo Colombo*, Monique Rouillé, Pierre Blachier et Claude Orsoni, La Lanterne noire en 1974.

En 1970, il devint chargé de cours en psychologie sociale à l’université Dauphine. Il quitta Paris en 1974 pour vivre avec d’autres camarades dans le Berry, puis dans la Vienne en 1977, dans un hameau où il éleva des chèvres avec un réfugié argentin.

En 1978, il adhéra à l’OCL qui venait d’abandonner sa position plateformiste. Cette organisation s’était rapprochée des militants de la Lanterne noire en publiant un numéro commun : « Les raisons de la colère ».

En 1979, Duteuil partit s’installer au Pays basque et abandonna l’enseignement l’année suivante. Avec Christine Maynard et de jeunes Basques, ils fondèrent le journal libertaire Erran et participèrent, dans la vallée de la Soule, à un journal de contre-information, Abil. Il devint imprimeur lorsqu’il fonda avec deux autres jeunes militants basques une imprimerie associative.

Outre le mouvement abertzale, il fut principalement actif dans la lutte antinucléaire (Golfech puis Civaux après 1995 et son retour dans le Poitou). Il poursuivit également la tradition des campings libertaires et prit part à ceux organisés par l’OCL, dont il fut l’un des principaux animateurs de 1978 à 2008. Cette organisation prônant les principes de la responsabilité collective et tournante, il s’occupa un temps des relations avec l’Italie, du journal Courant alternatif, où il rédigeait encore de nombreux articles en 2013, et de la commission enseignement.
En 1982, il fonda les éditions Acratie, qui avaient publié en 2008 plus de 50 titres : des textes libertaires sur l’actualité ou l’histoire, des anthologies de textes militants (Noir et rouge, Socialisme ou Barbarie). Jean-Pierre Duteuil y a également publié, en 1988, Nanterre, vers le mouvement du 22 mars, préfacé par son ancien complice nanterrois, Daniel Cohn-Bendit, à qui il donna la même année un long entretien pour l’ouvrage Nous l’avons tant aimée, la révolution, Barrault 1986.

En 2008, il écrivit un nouvel ouvrage sur 1968, Mai 1968, un mouvement politique. Ce livre constituait l’une de ces mémoires vives de 1968, refusant de voir cette période réduite à quelques icônes et figures de dirigeant, alors que, par exemple, aucun des militants de la LEA n’avait occupé de réelle fonction de pouvoir.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article153734, notice DUTEUIL Jean-Pierre [Dictionnaire des anarchistes] par Sylvain Boulouque, version mise en ligne le 1er mai 2014, dernière modification le 10 août 2020.

Par Sylvain Boulouque

ŒUVRE : Nanterre 65, 66 67, 68, vers le mouvement du 22 Mars, Acratie, Mauléon, 1988 — Mai 68, un mouvement politique, Acratie, La Bussière, 2008.
Nombreux articles dans les périodiques et journaux cités dans le corps de la notice.

SOURCES : Revues et ouvrage cités — Témoignage écrit de l’intéressé.

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