Par Jean Maitron, notice révisée par Clément Arnoult et Pascal Bedos
Né le 7 décembre 1861 à Nemours (Oran, Algérie), mort à Paris, le 6 janvier 1938 ; professeur puis répétiteur ; écrivain et philosophe anarchiste individualiste.
Fils d’un receveur des postes et d’une institutrice libre, Henri Ner, après des études secondaires et supérieures, fut professeur aux collèges de Draguignan, puis de Sisteron, Gray, Bourgoin et Nogent-le-Rotrou. Il fut ensuite répétiteur aux lycées Louis-le-Grand et Charlemagne de Paris.
Il fit un bref séjour dans la franc-maçonnerie, où il fut frère orateur à Gap de 1884 à 1888. En 1892, avec Émile Saint-Lanne, il proposait, dans La Paix pour la vie, la socialisation du pain, idée reprise par Victor Barrucand* (Le Pain gratuit) et Pierre Kropotkine*. En 1896, il fut l’un des fondateurs et responsables du syndicat des répétiteurs et professeurs adjoints.
C’est en 1898 qu’il adopta le pseudonyme de Han Ryner. Sa philosophie, individualiste, s’exprima d’abord dans un roman, Le Crime d’obéir, publié dans la revue La Plume, 1899-1900, roman qui mettait en scène un réfractaire à l’exploitation économico-sociale de l’homme, objecteur de conscience avant la lettre. Sans adhérer à une idéologie anarchiste, il s’opposait à toute organisation coercitive.
Lors de l’Affaire Dreyfus, Han Ryner entra dans l’arène avec ses amis de Demain dont il était rédacteur en chef. Il participa ensuite aux Universités populaires et, de 1903 à 1907, à l’Université populaire Saint-Antoine (la Coopération des idées) où il fit une série de cours sur l’individualisme et son histoire. Il collabora à l’Art social de Gabriel de La Salle, à l’Art pour Tous, au Château du Peuple d’E. Vitta, au Cri du Quartier, à l’Ennemi du Peuple d’Émile Janvion* et Francis Jourdain*, à L’Humanité nouvelle d’Augustin Hamon* (1900) et fit la critique littéraire et philosophique dans Les Partisans (1900-1901). En 1905, dans son roman Le Sphinx rouge, il posa le problème de la guerre internationale. Sa dénonciation vigoureuse de l’insincérité en littérature dans Le Massacre des Amazones (1899) et Prostitués (1904) semble lui avoir valu une « conspiration du silence » dans la presse qui ne sera rompue qu’en 1912, lors du référendum du journal L’Intransigeant pour un « Prince des conteurs » où il fut poussé par la jeune littérature.
Han Ryner intervint pour Eugène Dieudonné*, impliqué dans l’affaire des « Bandits tragiques » (1913) ; il fut admis par les équipes groupées autour d’E. Armand* : L’Anarchie, L’Ère nouvelle, Les Réfractaires, Hors du troupeau (1905-1914), collabora à L’Idée libre de Lorulot*. Il collabora aussi aux Hommes du Jour d’Henri Fabre et à ses Portraits d’hier. Un roman d’anticipation utopique refusé pendant dix ans par les éditeurs parut en 1914 : Les Pacifiques. Il y décrit une société anarchiste dans laquelle les humains vivent en harmonie entre eux et avec la nature, cette société ayant vu le jour suite à une véritable révolution non-violente basée sur une non-coopération qui sera plus tard incarnée par Gandhi.
Durant la guerre, il ne renia pas sa position universaliste, son antimilitarisme, son pacifisme non-violent. Ainsi, au Salon Lamartine en 1915, il célébra « Lamartine et la Paix ». Il maintint, autant que le permettait la censure, les droits d’une philosophie libre dans Par-delà la mêlée d’E. Armand et La Mêlée de Pierre Chardon*. Sébastien Faure* l’appela à Ce qu’il faut dire pour la critique littéraire (1916-1917). Il répondit dans La Veilleuse (1917) « Comment te bats-tu ? » à Barbusse qui avait demandé « Pourquoi te bats-tu ? ». Il glissa la parole de paix aux Cahiers idéalistes d’Édouard Dujardin, aux Humbles de Maurice Wullens* qui glorifiaient Romain Rolland.
La guerre terminée, Henri Fabre lui offrit une tribune hebdomadaire dans le Journal du Peuple quotidien (1920-1922). Han Ryner y défendit certaines victimes de la guerre : réfractaires, insoumis, emprisonnés politiques, et contribua notamment à faire libérer E. Armand et surtout Gaston Rolland*. Au Comité de défense sociale, il intervint, dès 1921, pour Sacco et Vanzetti et, devant les tribunaux militaires, témoigna pour les objecteurs de conscience, contre les expulsions administratives, pour les marins de la mer Noire et pour Makhno*, contre la terreur blanche en Hongrie, pour Lazarévitch* en URSS et pour Francesco Ghezzi en Italie.
Il soutint les essais de colonies naturistes libertaires (telle celle de Bascon), prit part aux mouvements anticolonialistes, aux campagnes pour l’instruction hors des méthodes et programmes officiels. Il collabora aux revues libertaires espagnoles et à celles d’Amérique latine, aux publications anarchistes françaises : Le Libertaire, L’En Dehors, la Revue anarchiste, La Voix libertaire, et rédigea une vingtaine d’articles pour l’Encyclopédie anarchiste de Sébastien Faure.
Il refusait toute doctrine imposée et déniait la séparation, qu’il estimait artificielle, en nations et en classes. Il se montra toujours très sceptique quand à l’efficacité des révolutions violentes, leur préférant les méthodes de non-coopération. Mais il considérait qu’aucune société réellement humaine ne pourrait advenir sans une révolution intérieure opérée par chaque individu en lui-même. Il réinvestit ainsi en l’adaptant la figure du sage antique, attaché plus que tout à sa liberté intérieure et dédaigneux des lois de la cité. Son éthique s’inspire largement des philosophes antiques – Socrate, Epicure, les Cyniques et les Stoïciens, qu’il a mis en scène dans de nombreux récits tels Les Véritables entretiens de Socrate (1922) et Les Chrétiens et les philosophes (1906). Il a pu aussi montrer une certaine tendresse pour la figure de Jésus, qu’il présenta comme un doux révolté à l’impuissance tragique dans Le Cinquième évangile (1910). Ce qui ne l’empêcha pas de mener par le verbe et par la plume un combat anticlérical résolu, notamment aux côtés de Lorulot dans L’Eglise devant ses juges, dernier livre paru de son vivant (1937). Il n’écartait cependant pas de ses rêveries le mystère métaphysique, comme en témoignent les contes des Voyages de Psychodore (1903) et le roman La Vie éternelle (1927), teinté de réincarnationnisme.
Sa fille Georgette* et son gendre Louis Simon* ont perpétué sa mémoire durant une quarantaine d’années au sein de la société des Amis de Han Ryner, qui ont notamment publié plus de 180 numéros des Cahiers des Amis de Han Ryner.
Il est enterré au cimetière parisien de Thiais.
Par Jean Maitron, notice révisée par Clément Arnoult et Pascal Bedos
ŒUVRE : voir les titres cités. Plusieurs rééditions au début du XXIe siècle.
SOURCES : Han Ryner (souvenirs d’enfance et d’adolescence) : J’ai nom Éliacin (Sésame, 1955) et Aux orties (Sésame, 1956) — Louis Simon, « Chronologie bio-bibliographique » dans Europe, octobre 1961 — Louis Simon, A la découverte de Han Ryner. L’homme. La pensée. L’œuvre. Avec une chrono, une bibliographie, un bouquet d’opinions et d’hommages, Editions Le Pavillon, 1970 — Louis Simon : Un individualiste dans le social : Han Ryner, Editions Syndicalistes, 1973 — Hem Day : bibliographie dans Han Ryner, 1861-1938, Visage d’un centenaire (Pensée et Action, 1963) — Collection des Cahiers des Amis de Han Ryner (1939-1991) — Gérard Lecha : « Han Ryner ou la pensée sociale d’un individualiste au début du siècle » (thèse de doctorat spécialité Lettres, Université François Rabelais de Tours, 1993) — Actes du colloque Han Ryner de Marseille (CIRA Marseille / Amis de Han Ryner, 2003) — Site internet : http://hanryner.over-blog.fr