Par Jean Maitron, notice complétée par Rolf Dupuy
Né le 16 août 1902 à Bordeaux (Gironde), mort le 26 août 1989 à Bordeaux ; professeur agrégé de mathématiques ; militant syndicaliste ; militant communiste puis anarchiste.
La famille de Jean (seul prénom sur son acte d’état civil) Barrué était de souche paysanne et occitane (Béarn, Gers, Aveyron) ; son père, Henry Barrué, était employé de commerce, et sa mère, née Jeanne Durand, n’avait pas de profession.
Jean Barrué effectua ses études secondaires au lycée Michel-Montaigne de Bordeaux, où il obtint le baccalauréat en 1919, et y resta comme élève en classes préparatoires scientifiques jusqu’en 1922. Puis, de 1922 à 1926, il poursuivit des études supérieures de mathématiques à Paris, obtint la licence en 1924, le diplôme d’études supérieures en 1925 et fut reçu à l’agrégation de mathématiques en 1926.
Le 14 juillet 1919, se trouvant à Paris, il prit part à une manifestation de l’Association républicaine des anciens combattants et des groupes révolutionnaires, pour protester contre le défilé militaire dit « de la Victoire ». En octobre, il adhéra, à Bordeaux, au groupe des Étudiants socialistes et au Parti socialiste SFIO ; il inclinait alors vers les thèses de la IIIe Internationale. Après le congrès de Tours, fin décembre 1920, qui vit la naissance du Parti communiste, section française de l’Internationale communiste, il milita aux Jeunesses communistes puis au nouveau parti, à Bordeaux, tout en étant membre du groupe « Clarté ».
De novembre 1922 au printemps 1926, il fut membre à Paris, de la 5e section du PC aux côtés de Georges Cogniot, Jean Bruhat, François Chasseigne et Paul Marion et, pendant plusieurs mois, en fut le secrétaire. Refusant le caporalisme d’Albert Treint-Suzanne Girault et la « bolchévisation », il défendit le Bulletin communiste de Souvarine. En janvier 1926, il figurait au comité de rédaction du Bulletin communiste. En octobre 1925, il fut un des communistes oppositionnels signataires de la lettre au CE de l’IC, dite "Lettre des 250" — cf. Fernand Loriot et Introduction Dictionnaire t. 16 — puis il rompit avec le Parti et se tourna vers l’anarchisme et le syndicalisme révolutionnaire. Dès le premier numéro (1er janvier 1925), il s’abonna à La Révolution Prolétarienne, fondée par Pierre Monatte et à laquelle il demeura attaché.
Après avoir effectué son service militaire en 1926-1927, qu’il termina comme sous-lieutenant à l’École militaire d’artillerie de Poitiers, où il donnait des cours, Jean Barrué enseigna dans plusieurs lycées, (Mont-de-Marsan (Landes) de 1927 à 1929, Angoulême (Charente) de 1929 à 1931, avant d’être nommé professeur en classe de mathématiques supérieures au lycée de Bordeaux.
À partir de novembre 1927, il se consacra à l’action syndicale dans la Fédération unitaire de l’enseignement affiliée à la CGTU, dans les syndicats des Basses-Pyrénées-Landes puis de la Charente, enfin de la Gironde. Il prit part à tous les congrès de la Fédération, défendant avec Josette Cornec et Jean Cornec, Georges Thomas et Marie Guillot entre autres, les thèses de la tendance syndicaliste révolutionnaire dont l’organe était L’Action syndicaliste (n° 1, février 1925). Il collabora aussi au Cri du Peuple, hebdomadaire syndicaliste révolutionnaire, organe des « 22 » (voir Chambelland), et intervint à la Conférence qu’ils organisèrent à la Bourse du Travail de Paris le 11 janvier 1931. Il militait également au groupe « Ciné-Arts » en 1931-1932, qui organisait la projection de films soviétiques, et était animateur du groupe « Culture et Action ».
Jean Barrué combattit les « illusions » semées par le Front populaire et la participation aux élections de 1936, mais militait à la Ligue des combattants de la paix et au Comité de vigilance des intellectuels antifascistes. Par ailleurs, il participa, le 15 novembre 1934, à la réunion de la commission de fusion entre la section départementale du Syndicat national des instituteurs (CGT) et le syndicat départemental de la FU, qui décida d’entamer en Gironde la marche vers l’unité syndicale. En 1937, adhérent au Syndicat du personnel de l’enseignement secondaire, il devint secrétaire de la section girondine de la Fédération générale de l’enseignement et appartint au comité exécutif de l’Union départementale CGT. Lors d’une assemblée générale de la FGE, le 27 octobre 1938, il se prononça contre la participation des membres de l’enseignement aux cérémonies de l’armistice.
Pendant la guerre d’Espagne, il collabora à L’Espagne Antifasciste (Bordeaux, 9 numéros du 1er septembre au 31 décembre 1937) publié par Aristide Lapeyre. À la même époque, proche des militants de la CGT-SR, il était chargé en 1937-1938 des cours d’économie politique à l’école fondée par les Jeunesses anarchistes de Bordeaux où Charles Boussinot enseignait le français.
Mobilisé à partir de septembre 1939, Jean Barrué fut fait prisonnier le 20 juin 1940 et envoyé en captivité en Allemagne (Oflag XD). Il reprit son enseignement à Bordeaux à la Libération. Mais en 1947, le conseil académique et le Conseil supérieur d’enquête du ministère de l’Éducation nationale examina son activité dans le cadre de la « mission Bruneton ». Le 3 mai, un blâme lui fut infligé, avec rétrogradation d’une classe et interdiction à vie d’exercer une fonction administrative car il avait « bénéficié d’une permission pour la France » puis était retourné en Allemagne. Six ans plus tard, un arrêté ministériel annula cette décision. Il put alors devenir conseiller pédagogique en 1953, puis retrouver un poste d’enseignement en classe préparatoire aux ENSI à partir de la rentrée 1957 jusqu’à sa prise de retraite en 1966.
Après la Seconde Guerre mondiale, déçu dans les espoirs qu’il avait fondés lors de la scission syndicale de 1948 sur un essor de la Confédération nationale du travail (CNTF) — il fut secrétaire de sa 8e Union régionale — il se consacra définitivement au mouvement anarchiste et milita activement à la Fédération anarchiste (FA) reconstituée en 1954. Membre du groupe Sébastien Faure de Bordeaux, il s’occupa, à partir de 1970, au sein de la FA des relations internationales avec les groupes de langue allemande et aussi avec la Fédération hollandaise et des groupes suisse et belge. Il collabora régulièrement au Monde libertaire, l’organe de la FA dont le n° 1 parut en octobre 1954, à La Rue, revue trimestrielle éditée à partir de mai 1968 par le groupe libertaire Louise Michel de Paris, ainsi qu’à la revue anarchiste allemande Befreiung de Cologne. Il traduisit également de l’allemand plusieurs ouvrages de Bakounine, d’Arthur Lehning et de Max Stirner (voir œuvre).
En 1980, à l’initiative de Jean Barrué et de Gilles Durou, une majorité du groupe Sébastien Faure quitta la Fédération anarchiste pour créer le Groupe anarchiste de Bordeaux (GAB) qui eut pour organe Le Dégel auquel il participa jusqu’à la dissolution du groupe vers 1985 ; le journal, (6 numéros de février 1983 à août 1984), diffusé principalement dans la région bordelaise, était tiré à 1 000 exemplaires et comptait 60 abonnés en décembre 1983.
Jean Barrué collabora régulièrement à d’autres titres de la presse libertaire dont Les Cahiers de l’humanisme libertaire (Paris, 1963-1976) de Gaston Leval, Le Libertaire (Le Havre, numéro 1 en mai 1978) de Maurice Laisant, Interrogations (Paris-Turin, 1974-1979) de Louis Mercier, La Libre Pensée des Bouches-du-Rhône publiée par André Arru et Iztok (Paris, numéro 0 en septembre 1979), revue libertaire sur les pays de l’Est.
Jean Barrué fut enterré au cimetière de Talence au côté de sa femme, Anita, (née Arocela le 14 avril 1905 à Vieux Boucau et décédée le 27 juillet 1989). Maurice Laisant écrivit de lui : « comme presque tous les êtres de valeur, il alliait à ses connaissances une modestie et une affabilité qui touchaient ceux qui l’approchaient. »
Un groupe de la Fédération anarchiste nommé Cercle Jean Barrué existait en 2016 à Bordeaux.
Par Jean Maitron, notice complétée par Rolf Dupuy
ŒUVRE : L’Anarchisme aujourd’hui (Spartacus, 1970, traduit en italien et en néerlandais) — Bakounine et Netchaiev (Spartacus, 1981) — Morale sans obligation ni sanction ou morale anarchiste (Les Cahiers du vent du ch’min, n°8, 1986).
Traductions : Michel Bakounine, La Réaction en Allemagne — Fritz Brupbacher, Michel Bakounine ou le démon de la révolte — Arthur Lehning, Anarchisme et marxisme dans la Révolution russe — Max Stirner, Le faux principe de notre éducation, et autres textes.
SOURCES : Arch. Nat., F17/28609, CAC Fontainebleau 20010216-170. — Le Cri du Peuple, 1930-1931 et journaux cités. — Le Libertaire, n° 99, septembre 1989. — René Bianco, Un siècle de presse anarchiste d’expression française, 1880-1983 : avant-propos et sources, 28 microfiches, 1987. — L’Avant-garde ouvrière et communiste, 11 novembre 1920 (article de J. Barrué intitulé « Les ouvriers n’ont pas de patrie »). — Témoignage de l’intéressé.— Notes d’Alain Dalançon, de G. Escoubet, de Jacques Girault et de Julien Chuzeville.