BARRUCAND Victor

Par Jean Maitron, André Caudron, notice revue par Guillaume Davranche et Marianne Enckell

Né le 7 octobre 1865 à Poitiers (Vienne, France), mort à El Biar (Algérie) le 13 mars 1934 ; littérateur puis journaliste ; anarchiste, puis socialiste.

Victor Barrucand (vers 1896)
Victor Barrucand (vers 1896)
DR

Auteur de plusieurs recueils de poésie dans les années 1880, ami intime de Félix Fénéon, Victor Barrucand fit partie du groupe de littérateurs d’avant-garde qui, à partir de 1891, évolua vers l’anarchisme.

Quand Zo d’Axa* se réfugia à Londres en janvier 1892, Fénéon, Lucien Descaves, Barrucand, Matha et Émile Henry assurèrent la publication de son journal L’En-dehors. Dans le numéro du 24 juillet 1892, Barrucand écrivit : « Ravachol apparaîtra peut-être un jour comme une sorte de Christ violent [...]. On le rapprochera peut-être de cet autre supplicié — Jésus le Galiléen — qui, à quelques égards, fut anarchiste, ainsi que le constate Ernest Renan. [...] Si la poursuite de ce parallèle n’offrait même qu’un intérêt paradoxal, il n’y manquerait, pas de coïncidences curieuses : cet âge de 33 ans où ils moururent et le traître qui les livra dans un baiser, Chaumartin tenant l’emploi de Judas de Kérioth ». Ce même mois de juillet, il s’était abonné à La Révolte de Jean Grave« croyez à mon entière sympathie pour les idées que vous revendiquez », lui écrivit-il (Archives Grave IFHS).

Par la suite, Barrucand fut mêlé au procès d’Émile Henry, qu’il avait rencontré à Forges-les-Eaux (Seine-Maritime) peu de temps avant qu’il pose sa bombe au Café Terminus.

De mars 1894 au printemps 1900, Barrucand fut un collaborateur prolifique de La Revue Blanche.

Après la vague de répression de l’anarchisme, il collabora pendant quelque temps aux Temps nouveaux, lancés par Jean Grave en mai 1895. Cette année-là, il triompha au théâtre avec l’adaptation du Chariot de terre cuite, un drame hindou antique.

Mais l’empreinte que laissa Barrucand dans le mouvement social fut surtout sa campagne pour « le pain gratuit », thème qu’il estimait mobilisateur pour le prolétariat. Il la lança en juin 1895 dans les Temps nouveaux et en juillet-août dans La Sociale d’Émile Pouget. Cette idée reçut le soutien de Kropotkine, de Joseph Tortelier et de Pouget, mais fut jugée irréaliste par Sébastien Faure et Élisée Reclus, qui écrivit à son propos : « Pour la rendre possible, il faudrait accomplir une révolution. »

La campagne aboutit à ce que le pain gratuit fasse l’objet d’une proposition de loi signée par 22 députés, puis l’idée tomba aux oubliettes. La question fut reprise en 1906 par Ch. Dhooghe, syndicaliste révolutionnaire, qui, au nom de l’Union des travailleurs de l’industrie lainière de Reims, la soumit au congrès corporatif d’Amiens ; dans l’esprit du rapporteur, le pain gratuit, en garantissant aux ouvriers une nourriture essentielle, devait favoriser le succès de la grève générale. La question cependant fut accueillie dans l’indifférence.

En 1897, Barrucand fut candidat à la députation sous l’étiquette « socialiste fédéraliste », et s’éloigna définitivement de l’anarchisme. Il représenta deux groupes de la fédération autonome des Bouches-du-Rhône (l’Espoir social de la Valentine et le groupe marseillais de Saint-Marcel) au congrès socialiste tenu à Paris, salle Japy, en 1899.

Puis, porté par son engagement dreyfusard, il s’installa en Algérie en 1900. Barrucand a redonné vie au journal L’Akhbar qui, sous une forme bilingue, a pris la tête du mouvement libéral, dans la tradition des "indigénophiles". Barrucand, son directeur, devenu l’ami du général Lyautey, apparaissait dès avant la guerre comme le chef de file des rares Européens luttant pour l’association entre les deux peuples, pour la défense du patrimoine artistique musulman et contre l’arabophobie. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, il fut de ceux, peu nombreux, qui auraient voulu que la nationalité française fût donnée à tous les soldats algériens. S’efforçant de réfuter la thèse du milieu colon qui présentait les réformes introduites par la loi du 4 février 1919 comme préjudiciables aux intérêts de la colonie, il a réclamé avec insistance l’extension des droits politiques pour les Musulmans, y compris leur représentation parlementaire, mais sans aller jusqu’à demander le suffrage universel qu’il estimait imprudent.

Candidat aux élections municipales de novembre 1919 au titre indigène, à Alger, avec l’avocat antillais Maurice L’Admiral, il échoua. Porté sur la liste "jeune-algérienne" de l’émir Khaled au scrutin partiel du 9 janvier 1921, il fut élu et ne se représenta plus en 1925. Au conseil municipal, il prit souvent la défense des "indigènes".

« Anarchiste repenti, devenu journaliste bourgeois à la solde de la Défense algérienne, organe de la ploutocratie nord-africaine » dit de lui dans La Revue anarchiste de novembre 1923 P. Vigné d’Octon, qui l’appela en outre « pilleur d’épaves » pour avoir publié les manuscrits laissés par Isabelle Eberhardt, la « Louise Michel saharienne », ainsi que Séverine l’avait qualifiée, qui mourut noyée dans le torrent débordé d’Aïn-Sefra. Quant à Barrucand, il avait affirmé dans le n° du 28 mai 1905 de la revue l’Akhbar que le manuscrit d’Isabelle Eberhardt, Dans l’ombre chaude de l’Islam, « ne contenait aucune page intacte ou achevée. »
Voir aussi sa notice dans le dictionnaire Algérie, Barrucand.

Après sa mort, les élus musulmans d’Alger ont proposé que son nom fût donné à une rue de la ville.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article153799, notice BARRUCAND Victor par Jean Maitron, André Caudron, notice revue par Guillaume Davranche et Marianne Enckell, version mise en ligne le 23 mars 2014, dernière modification le 27 octobre 2022.

Par Jean Maitron, André Caudron, notice revue par Guillaume Davranche et Marianne Enckell

Victor Barrucand (vers 1896)
Victor Barrucand (vers 1896)
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ŒUVRE de sa période anarchiste : Le Pain gratuit, Chamuel, 1896.

SOURCES : Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, Gallimard, 1975 — Larousse du XXe siècle — Ch.-R. Ageron, Les Algériens musulmans et la France, 1968. — G. Meynier, L’Algérie révélée, 1981. — M. Kaddache, La vie politique à Alger de 1919 à 1939, 1970. — Céline Keller, « Victor Barrucand, dilettante de la pensée », Histoires littéraires n°8, octobre-novembre-décembre 2001.

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