Par Jean Maitron, Rolf Dupuy, Guillaume Davranche
Né le 24 mars 1878 à Rouen (Seine-Inférieure), mort à Paris le 19 mars 1950 ; comptable, puis courtier en librairie ; anarchiste.
Charles Benoît commença sa vie militante dans le mouvement ouvrier, à Rouen, sa ville natale. Il fut éduqué par un libre penseur, Bazire, adhérent au Parti socialiste révolutionnaire qui avait succédé au Comité révolutionnaire central (blanquiste). Tout jeune, il milita dans le mouvement syndical et à l’Union communiste révolutionnaire de Rouen, et il n’avait guère plus de 16 ans quand il participait aux grèves.
Il fut un des secrétaires de l’Union départementale créée en 1896. L’année précédente, il avait adhéré à la jeune Fédération socialiste de Seine-Inférieure et, au congrès de Paris, salle Wagram (1900), il représenta deux groupes du PSR, l’Union communiste révolutionnaire de Rouen et « l’Avenir social » de Saint-Étienne-du-Rouvray.
En 1902, il organisa à Rouen une conférence antimilitariste destinée aux conscrits. Il fut poursuivi. Sa mère, veuve, qui tenait un café, le vit interdire à la troupe ; contrainte de liquider son commerce, elle vint à Paris avec son fils.
Charles Benoît passa alors à l’anarchisme. Il se mit à la lavallière et au feutre noir à larges bords et, bientôt, on dit en parlant de lui : « Charles Benoît, des Temps nouveaux ». Dans l’équipe du journal de Jean Grave, il s’occupait, bénévolement, de tâches administratives.
En 1908, il participa à la création du Groupe des Temps nouveaux, dont Jacques Guérin* fut le secrétaire. Il s’y occupa principalement de la diffusion des brochures. En une année, le groupe en édita 14, tirées chacune à 10 000 exemplaires ; 90 000 furent vendues.
En 1910-1912, Benoît participa à la campagne pour la libération d’Émile Rousset.
De mars à mai 1912, il fut membre du Comité antiparlementaire révolutionnaire – impulsé par la FRC – qui mena une campagne abstentionniste à l’occasion des élections municipales de mai (voir Henry Combes).
En juin 1913, il figura au comité de parrainage de la caisse de solidarité L’Entraide (voir Édouard Lacourte).
En 1914-1918, Charles Benoît refusa l’union sacrée. Réformé, il fut maintenu dans cette position le 12 février 1915. Avec André Girard, il fut un des principaux militants du Groupe d’entraide des Temps nouveaux qui, du 20 novembre 1914 à fin décembre 1916, collecta 6 842 francs pour aider les amis mobilisés. Le groupe avait conservé le local de la rue Broca, à Paris 5e, et, Charles Benoît en était le trésorier. Il habitait alors 3 rue de Bérite, Paris 6e.
La conférence de Zimmerwald l’enthousiasma et, dès janvier 1916, le Groupe des Temps nouveaux donna son adhésion au Comité pour la reprise des relations internationales (CRRI). Il s’en expliqua dans une « Première lettre » adressée aux anciens abonnés.
Cette lettre fâcha Jean Grave, qui accusa André Girard et Charles Benoît d’usurper le titre des Temps nouveaux et d’occuper indûment le local. Après un vain échange de lettres, Grave fit changer les serrures, et le Groupe des Temps nouveaux se trouva mis à la porte.
Cette affaire motiva la publication, en mars 1916, d’un appel anarchiste de soutien à l’union sacrée, le « Manifeste des Seize » (voir Jean Grave).
Charles Benoît et André Girard répondirent au Manifeste des Seize dans un texte intitulé « La paix par les peuples » qui fut cosigné par Alfred Mignon*, Siegfried, Mme Douheret, Fél. David, Frédéric David, Marcel Hasfeld*, Émile Méreaux*, tous du Groupe des Temps nouveaux, mais aussi par Mme Delebecque, Beauvais (du comité confédéral de la CGT), Armand Bidault*, Sébastien Faure*, Auguste Garnery*, Génovesi, D. Lagru*, Raymond Péricat, Aimé Rey*, Frédéric Stackelberg*, Guy Tourette, Paul Signac*, Julien Béranger* au nom des « amis de Roubaix » ainsi que par le Groupe des Temps nouveaux de Saint-Étienne (voir Noël Demeure).
Le texte appelait à poursuivre l’œuvre de Zimmerwald en constituant « un congrès mondial du prolétariat, dont l’œuvre sera tout d’abord d’exiger la cessation des hostilités et le désarmement immédiat et définitif des nations ».
Le Journal du peuple d’Henri Fabre accepta de le publier, mais il fut intégralement censuré. André Girard et Charles Benoît publièrent alors une seconde brochure clandestine. Intitulée « Deuxième lettre. Un désaccord », elle reproduisait l’échange de correspondances au sein de l’ancienne équipe des Temps nouveaux, et le texte « La paix par les peuples ».
En juillet 1916, dans le cadre du CRRI, Charles Benoît effectua une tournée de conférences contre la guerre (Tours, Thenay…). Il fit aussi partie de l’Union fédérative de transformation sociale, groupement pacifiste qui fut dissous.
André Girard et Charles Benoît publièrent ensuite une « Troisième lettre » aux anciens abonnés des Temps nouveaux, dans laquelle ils annonçaient leur volonté de fonder un nouvel organe. Celui-ci devait voir le jour en janvier 1918, et s’intituler L’Avenir international.
Publié jusqu’en août 1920, L’Avenir international, prudemment sous-titré « revue mensuelle d’action sociale, littéraire, artistique, scientifique » fut domicilié au 96, quai de Jemmapes, dans les locaux de l’ancienne Vie ouvrière et eut comme gérants Julien Béranger puis André Girard, et comme administrateur Marcel Hasfeld. Ce fut avant tout une tribune de discussion de coloration pacifiste et pro-Révolution russe. On y trouva la signature de nombreux anciens des Temps nouveaux, comme Émile Masson*, Alfred Mignon, Jacques Mesnil* et Frédéric Stackelberg, mais aussi de La Vie ouvrière comme Marie Guillot, Georges Dumoulin et Pierre Monatte, ainsi que Léon Clément*, Fernand Desprès*, Alzir Hella*, Marcel Martinet*, Eugène Delong*, Amédée Dunois*, Henri Guilbeaux*, François Mayoux*, Raymond Péricat, Gaston Monmousseau, Romain Rolland, Han Ryner*, Boris Souvarine, etc.
En avril-mai 1918, Charles Benoît écrivit dans La Plèbe, qui regroupait les militants libertaires, syndicalistes et socialistes opposés à la guerre.
Le 9 avril 1919, il fut nommé vice-président de la section Monnaie-Odéon de la Ligue des droits de l’homme. Vers 1925, il adhéra au PS-SFIO, 6e section, et lui resta attaché jusqu’à sa mort.
Le 1er février 1927 il fut rayé du carnet B.
En 1931, il ne militait plus guère, mais collaborait à la revue Plus Loin de Marc Pierrot.
Jusqu’à sa mort, il vécut en faisant quelques comptabilités et comme courtier en librairie, spécialisé dans les éditions rares. Mort en 1950, il fut incinéré au Père-Lachaise.
Par Jean Maitron, Rolf Dupuy, Guillaume Davranche
SOURCES : Arch. PPo. BA/1694, rapport du 13 mai 1922 (avec copie de nombreuses lettres). — Hubert-Rouger, La France socialiste, tome 3 : les fédérations, Quillet, 1921 — Alfred Rosmer, Le Mouvement ouvrier pendant la guerre, tome II, Mouton & co, 1959 — nécrologie par Maurice Chambelland dans La Révolution prolétarienne, avril 1950 — Jean Grave, Quarante ans de propagande anarchiste, Flammarion, 1974 — Nicolas Faucier, Pacifisme et antimilitarisme dans l’Entre-deux-guerres, Spartacus, 1983 — René Bianco, « Un siècle de presse… », op. cit. — Jean Thioulouse « Jean Grave, journaliste et écrivain anarchiste…. », thèse de doctorat, Paris-VII, 1994.