BERNIZET Lucien, Charles [Dictionnaire des anarchistes]

Par Roger Pierre, notice complétée par Rolf Dupuy

Né à Romans (Drôme) le 16 juin 1903, mort à Romans le 12 novembre 1992 ; ouvrier en chaussures ; anarchiste, pacifiste et syndicaliste.

Fils d’un tanneur et d’une tailleuse, secrétaire du groupe libertaire de Romans, trésorier en 1924 de la bourse du travail, Lucien Bernizet, qui avait été exempté de service militaire, fut l’un des dirigeants de la dure et longue grève qui opposa du 2 avril au 11 mai 1924 les 5 000 ouvriers et ouvrières des cuirs et peaux aux patrons des 49 usines de Romans. Membre du comité de grève, il fut inculpé à la suite d’incidents survenus le 9 avril devant la maison Fenestrier ; le 10 mai, le tribunal correctionnel de Valence (Drôme) le condamna par défaut à soixante jours de prison ferme, 100 francs d’amende et aux dépens. Considéré comme l’un des meneurs de la grève, avec Tévenat et le communiste Désiré Revol, il fut en outre condamné le 15 mai, par le même tribunal, à quatre mois de prison et 150 francs d’amende.

Secrétaire du groupe espérantiste ouvrier constitué en novembre 1926, Lucien Bernizet militait également à la fédération de la Drôme de la Libre-Pensée et en fut secrétaire en 1927 et 1928.

En 1933, il fut l’un des animateurs de la Ligue des combattants de la paix (LICP), qui groupa les anarchistes, des socialistes et des pupistes (membres du Parti d’unité prolétarienne). Il dirigea aussi le plus large comité d’amnistie constitué pour la défense de l’objecteur de conscience libertaire Odibert.

En janvier 1930, il avait remplacé Émile Poulain comme gérant du journal libertaire Le Semeur de Normandie. A la suite de la parution le 6 juin 1933 d’un article intitulé « L’objection de conscience et l’armée », il fut condamné à dix-huit mois de prison avec Eugène Lagot. Non sans difficultés s’ébaucha une action commune à laquelle participèrent dans le département, anarchistes, communistes, socialistes et pupistes, mais, malgré une campagne de protestations et de meetings, la cour d’appel de Paris confirma ce jugement ; Bernizet fut arrêté le 24 juillet 1935 et incarcéré à la prison de Valence.

Le comité d’amnistie, épaulé par le Secours rouge, organisa la solidarité pour sa famille et l’action pour sa libération qui fut obtenue, après six mois de détention, le 18 janvier 1936. « Je suis sorti de prison courant janvier 1936 et j’ai repris ma place au sein du groupe libertaire de Romans, devait-il raconter plus tard. Durant cette période, nous avons distribué des tracts, organisé des meetings, car à cette époque nous avions fort à faire avec les éléments communistes, et il en fut de même pendant la Révolution espagnole. En tous les cas le groupe n’a pas ralenti ses activités : nous vendions 200 exemplaires du Libertaire par semaine, sans compter les autres publications... » Il avait également collaboré à la même époque au bulletin par L. Barbedette, La Vie universelle.

Pendant la guerre civile et la Révolution espagnole, le groupe de Romans de l’Union anarchiste, dont il était l’animateur et dont faisaient entre autres partie René Paul, Georges Guichart et René Odibert, organisa des conférences avec le concours d’anarchistes catalans. Il paraît s’être désagrégé en 1939, après avoir adopté des positions pacifistes intégrales. A la déclaration de guerre « après avoir détruit ce qui devait être détruit, en particulier mes carnets d’adresses [...], je n’avais conservé que des documents qui me concernaient, comme ceux du procès devant la 13e chambre à Paris en 1935 ».

En mai 1940 il se retrouva dans un bataillon d’Afrique dans le Sud tunisien : « Notre bataillon était composé des exclus de l’armée et de la marine ; nous étions sans équipement et sans armes, encadrés par des officiers et sous-officiers de la Légion étrangère. »

Rapatrié en France en août 1940, après l’armistice il fut perquisitionné et arrêté en septembre et interné avec un autre membre du groupe, René Paul, au camp de Loriol (Drôme) où « il y avait des républicains espagnols dans un bâtiment, dans l’autre des Polonais juifs dont certains portaient encore l’uniforme de l’armée française, ils s’étaient engagés à la guerre pour défendre la France » (lettre de L. Bernizet, 14 juillet 1984). Relâché en novembre, il s’installa à quelques kilomètres de Romans et fut à nouveau arrêté en septembre 1941 par la gendarmerie et gardé en otage avec dix autres habitants de la région dans le temple de la loge maçonnique L’Humanité de la Drôme, à laquelle il appartenait et qui avait été réquisitionné par les Groupes mobiles de réserve (GMR) du gouvernement de Vichy. « Nous sommes restés ainsi 30 heures sans boire et sans manger, puis nous avons été relâchés. Pendant cette détention, des amis qui craignaient pour ma vie, allèrent chez moi et détruisirent tous les documents que je pouvais encore posséder... »

Lucien Bernizet avait été initié comme apprenti le 5 juillet 1936, puis compagnon le 4 juillet 1937 à cette loge du Grand Orient de France. En raison de l’occupation et des lois antimaçonniques du gouvernement de Vichy, il ne devait être reçu Maître que le 10 février 1946. Il fut plus tard, le 25 février 1954, le fondateur du Chapitre des Ateliers de Perfectionnement de Valence.

Après guerre, Lucien Bernizet ne retrouva plus de travail dans sa profession et vécut de la vente au marché des produits de son jardinage. Il habitait à Peyrins (Drôme). Il s’était marié à Romans-sur-Isère (Drôme) le 28 novembre 1931 avec Zélie Chometon, et était père de plusieurs enfants.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article153814, notice BERNIZET Lucien, Charles [Dictionnaire des anarchistes] par Roger Pierre, notice complétée par Rolf Dupuy, version mise en ligne le 7 mars 2014, dernière modification le 10 août 2020.

Par Roger Pierre, notice complétée par Rolf Dupuy

SOURCES : Arch. Nat. F 22/42 — Arch. Dép. Drôme 10 M 18,35 M 274 — La Vie ouvrière du 9 mai 1924 — Le SemeurAlmanach du Bonhomme Jacquemart (Romans) — La Volonté socialisteLe Travailleur alpinLe Sud-Est (1936) — Bulletin du CIRA, Marseille, n°23/25, 1984 (Témoignage de Bernizet) et n°26/27, 1986 — R. Bianco « Un siècle de presse... », op. cit.

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