Par Sylvain Boulouque, Guillaume Davranche
Né le 22 octobre 1921 à Sète (Hérault), mort le 29 octobre 1981 à Saint-Gely (Hérault) ; chansonnier, poète ; libertaire.
Si Georges Brassens fut adhérent à la Fédération anarchiste (FA) entre 1946 et 1948, c’est surtout par les textes de ses chansons qu’il contribua par la suite à la diffusion d’une certaine philosophie libertaire.
Fils de Louis Brassens, maçon, décédé en 1965, et d’Elvira Dagrosa, veuve de guerre, décédée en 1962 et qui avait eu une fille d’un premier lit, Simone, le jeune Georges eut initialement une scolarité calme, jusqu’à son renvoi de l’enseignement secondaire en 1938, l’année de son baccalauréat que du même coup il n’obtint pas, pour avoir commis en bande quelques vols.
Il s’installa à Paris en 1940, où il exerça différents métiers. En 1942, il fut requis par le Service du travail obligatoire et envoyé en Allemagne, à Basdorf. Permissionnaire au début de l’année 1944, il ne retourna pas en Allemagne et fut accueilli par Marcel Planche et Jeanne Le Bonniec, impasse Florimont, dans le 14e arrondissement.
Dès le début de l’année suivante, il s’essaya à la guitare et renouvela le petit répertoire qu’il avait conçu pendant la guerre. Georges Brassens et ses amis Roger Toussenot*, Émile Miramont et André Larue formaient alors un groupe de jeunes gens férus de littérature, de cinéma, de poésie et de philosophie, désirant ardemment être publiés. Dès juin 1945, ils projetèrent de lancer une revue, Le Cri des gueux, mais ne parvinrent jamais à trouver un financeur.
En 1946, il envoya un article anonyme au Libertaire. Agréablement surpris de le voir publié, il vint frapper à la porte de la Fédération anarchiste (FA), au 145, quai de Valmy, à Paris 10e. C’est en mai 1946 — et non en 1947, comme l’écrivirent Henri Bouyé et Georges Fontenis — qu’il adhéra à la FA. Il s’y lia notamment avec Marcel Lepoil* et Henri Bouyé qui, repérant son talent littéraire, lui proposa rapidement le secrétariat de rédaction du Libertaire. Trop rapidement peut-être, car les motivations de Brassens ne correspondaient sans doute pas aux attentes de l’organisation.
Le 10 août 1946, il écrivait ainsi à son ami Toussenot* : « Le moment est venu... Notre heure est proche... En mai j’adhère à la Fédération anarchiste, en juin je passe des articles, en juillet on m’offre d’apporter au Libertaire une collaboration suivie, en août je deviens correcteur du journal, je deviens l’ami du rédacteur en chef [Henri Bouyé], je lui fais accepter tes articles et je lui soumets les formules qu’il accepte. En août toujours, il me propose de m’occuper du journal, de choisir les articles, de corriger les textes qu’on lui envoie, et me parle de me payer en octobre (car cela s’arrangera au congrès anarchiste de septembre). En outre il va disposer d’emplois rétribués au siège de la Fédération anarchiste et au journal. Il faut que Corne d’Auroch [Émile Miramont] soit là pour sauter sur ces emplois [...]. »
En fait, le comité de rédaction du Libertaire ne fut pas aussi enthousiaste que Brassens pour les textes de Toussenot, qui furent plus d’une fois différés ou refusés. Brassens, dépité, s’en excusait auprès de son ami : « La semaine prochaine, nous essayerons de publier ton étude sur le style, et cela me coûtera une formidable engueulade de la part du comité national (car il existe un comité national !) qui est assez réfractaire aux choses du cinéma, ainsi qu’à celles de l’esprit d’ailleurs... » (lettre du 24 octobre 1946).
Chaque semaine, outre son travail de secrétaire de rédaction, Brassens rédigeait des articles, anonymes ou signés Géo Cédille, Gilles Colin, Charles Brenns, Georges ou encore Charles Malpayé. On y retrouve des thèmes qui, par la suite, reviendront dans ses chansons : rejet de la religion (« Au pèlerinage de Lourdes [chez les marchands de foi] », le 13 septembre 1946), de la police (« Vilains propos sur la maréchaussée », le 20 septembre 1946), du patriotisme (« Idée de patrie : bouée du capitalisme », le 11 octobre 1946), du militarisme (« Au sujet de la bombe atomique », le 4 octobre 1946), du stalinisme (« Aragon a-t-il cambriolé l’Église de Bon-Secours ? », le 18 octobre 1946) ou encore de la magistrature (« Le scandale de la justice », le 1er novembre 1946).
Mais fondamentalement, Brassens ne fut pas heureux dans une rédaction où il ne pouvait agir à sa guise. Il se plaignit à Toussenot d’être « exténué par la stupidité bourbeuse de nuées de cuistres opiniâtres » et espérait toujours obtenir l’argent pour Le Cri des gueux et quitter Le Libertaire (lettre du 24 octobre 1946).
Une des tâches qui navraient le plus Brassens était de répondre au courrier des lecteurs — « prose débilitante et inepte » (lettre à Toussenot du 2 octobre 1946). C’est finalement sa réticence à faire ce travail qui entraîna, d’un commun accord, la fin de son emploi au Libertaire. Il quitta le secrétariat de rédaction le 6 janvier 1947 (lettre à Toussenot du 12 janvier 1947), officiellement pour « raisons de santé » (bulletin intérieur Le Lien n°2, d’avril 1947) et fut remplacé par André Prudhommeaux. Dès lors, à une ou deux exceptions près, il n’écrivit plus dans Le Libertaire.
Il ne garda pourtant pas rancune de cette expérience à la FA, et continua à y militer puisqu’en avril 1948, il était secrétaire du groupe de Paris 15e. Il devait d’ailleurs conserver par la suite de nombreuses amitiés dans l’organisation, notamment celles d’Henri Bouyé, de Maurice Joyeux et de Georges Fontenis.
En 1948, Bouyé lui présenta le chansonnier Jacques Grello, qui l’introduisit auprès de divers patrons de cabaret. C’est finalement grâce à Patachou que sa carrière décolla, en 1951.
Devenu une célébrité, Brassens apporta son aide au mouvement anarchiste pendant quelques années, y compris après la scission de 1953. Ainsi, en lien avec Suzy Chevet, il chanta à plusieurs reprises pour le groupe Louise Michel de la FA, puis pour le gala du Monde libertaire. Il soutint également la Fédération communiste libertaire qui put, grâce à son secours financier, s’installer en mars 1954 dans un grand local au 79, rue Saint-Denis, à Paris 1er. Puis les liens se distendirent, son impresario Pierre Onténiente s’efforçant de tenir à distance les militants anarchistes toujours en quête d’une obole.
Il participa néanmoins à un grand récital contre la peine de mort le 30 octobre 1972 avec Léo Ferré.
Les paroles des chansons de Brassens sont empreintes de philosophie libertaire et ont été un vecteur fort de la diffusion de l’anarchisme dans les années 1960 et 1970. La Non-demande en mariage est une apologie de l’union libre. Hécatombe ou Le Gorille illustrent la méfiance vis-à-vis des représentants de l’ordre et La Messe au pendu est un réquisitoire contre la peine de mort. Ses chansons empruntent aussi au pacifisme libertaire d’une manière générale (Les Patriotes, La Guerre de 14-18, Les Deux oncles). Sa philosophie anticonformiste imprègne La Mauvaise Réputation et La Mauvaise Herbe, mais il professait une défiance individualiste vis-à-vis des grands engagements (Mourir pour des idées).
Brassens précisa la nature de son anarchisme dans un entretien à la revue individualiste de Pierre Jouventin, Ego, en avril 1970 : « C’est pour moi, une philosophie et une morale dont je me rapproche le plus possible dans la vie de tous les jours, j’essaie de tendre vers l’idéal. L’individualisme, ce n’est pas seulement de la révolte, c’est plutôt un amour des hommes. La révolte n’est pas suffisante, ça peut mener à n’importe quoi, au fascisme même. »
Le 29 octobre 1981, la « camarde » emporta cet homme qui se disait « anarchiste au point de toujours traverser dans les clous afin de n’avoir pas à discuter avec la maréchaussée ». Il fut enterré à Sète, au cimetière Le Py. Conformément à sa Supplique pour être enterré à la plage de Sète, sa tombe bénéficia bientôt de l’ombre d’un pin parasol.
Par Sylvain Boulouque, Guillaume Davranche
ŒUVRE : Georges Brassens, Œuvres complètes, sous la direction de Jean-Pierre Liégeois, Cherche Midi, 2007, 1600 p.
SOURCES : Henri Bouyé, « Brassens et les anarchistes », Le Libertaire n°6, janvier 1971 — Maurice Joyeux, Sous les plis du drapeau noir, Le Monde libertaire, 1988 — Georges Brassens. Lettres à Toussenot, Textuel, 2001 — Nicolas Six, « Brassens et la politique », mémoire de DEA de sciences politiques, Lille-II, 2003 — Fabrice Magnone, « Georges Brassens, masculin singulier », sur Raforum.org — Georges Fontenis, Changer le monde, Alternative libertaire, 2008.