CASANOVA Jacques, Antoine [Dictionnaire des anarchistes]

Par Antoine Olivesi, notice complétée par Rolf Dupuy, Françoise Fontanelli, Thierry Bertrand

Né le 6 juin 1889 à Barretali di Luri (Corse), mort vers 1961 ; employé ; militant anarchiste et syndicaliste à Marseille.

Fils de Dominique et de Marie Liccioni, Jacques Casanova avait obtenu le certificat d’études primaires. Il travaillait avant 1914 comme employé aux Services civils de la Guerre, devenus en 1926 service de Santé de Marseille, au campement militaire de la Corderie, à Endoume. Il exerçait encore cette fonction à la veille de la Deuxième Guerre mondiale. Il s’était marié le 21 décembre 1920 à Marie-Angèle Navarini, née en 1896 dans le même village que son époux, infirmière à l’Hôpital de la Conception (ils divorceront en 1948). Tous deux étaient militants anarchistes. Ils eurent un enfant.

Jacques Casanova, qui le 20 juillet 1911 avait été condamné en correctionnelle à 6 jours de prison pour outrages à agents, faisait partie en 1913 du Groupe d’Études sociales de Marseille et la police perquisitionna à son domicile en mai 1913. Le 16 mai il avait été condamné à 16 francs d’amende par la police des chemins de fer. Il polémiquait, alors, semble-t-il, avec l’équipe dirigeante de L’Ouvrier syndiqué à Marseille. Il fut l’un des fondateurs avec H. Cachet dit Lux, L. Denis et Paul Roubinaud du journal La Gifle (Marseille, 2 numéros en novembre 1913) qui portait en épigraphe « La lutte existe, osons la vouloir ! ». Imprimé sur quatre pages, le journal avait été fondé pour mener campagne contre les fonctionnaires syndicaux qualifiés de « pontifes », « d’affreux sinécurisés » et de « guignols ».

Il collaborait également au Libertaire, donnant des informations sur le mouvement anarchiste à Marseille. Dans un numéro du Libertaire de mars 1913, il prenait à partie les individualistes du Groupe de propagande de l’allée des Capucines à Marseille, les blâmant de combattre le syndicalisme révolutionnaire en s’inspirant des théories de Lorulot, E. Armand et du journal l’anarchie. Il concluait : « …Que ceux-là qui pensent que l’anarchie est autres chose qu’une question individuelle, mais une philosophie ayant un but net, précis, déterminé, le Communisme, que ceux-là qui ont encore la foi, qui pensent que l’époque est venue où les anarchistes ont des rôles à remplir, que leur action influence de plus en plus les foules ouvrières, que ceux-là, dis-je, sonnent l’hallali révolutionnaire et que désormais, réunis, groupés comme nos camarades de Paris, ils se mettent à l’œuvre profitant du dégoût général du prolétariat à l’égard des politiciens de tous poils. Jetons nous dans la bataille ! Là est l’avenir ».

Il aurait toutefois collaboré aussi (sauf homonymie) à L’anarchie.

Mobilisé lors de la guerre, il fut dirigé le 26 novembre 1914 vers un service auxiliaire "pour faiblesse musculaire" et resta loin du front de décembre 1914 à mars 1917 où il fut envoyé en Orient avec le 56e régiment infanterie coloniale. Le 12 décembre 1917 il fut évacué d’une unité combattante pour une raison non précisée. Démobilisé le 25 juillet 1919, il était alors retourné en Corse.

Selon le témoignage de Martial Desmoulins, il fut en 1921-1922, lorsque les minoritaires fondèrent la CGTU, le secrétaire adjoint de l’Union départementale (UDU) des Bouches-du-Rhône et participa sans doute aux affrontements entre anarchistes, syndicalistes révolutionnaires et communistes.

Lors de la conférence régionale du 3 janvier 1926 à la Bourse du travail de Marseille, il fut nommé trésorier du Cartel de liaison des syndicats autonomes du sud-est aux côtés de V. Ortusi (secrétaire) et Desmoutier (secrétaire adjoint). Il fut ensuite membre de la CGTSR dont il fut le délégué de l’union locale de Marseille au 4è congrès de la CGTSR (11-13 novembre 1932). Il était également le secrétaire du groupe intercorporatif de Marseille.

En 1927 il participait avec Théodore Jean et Charles Hotz aux réunions organisées par Martial Desmoulins pour fonder un groupe des Amis de Voix Libertaire. Desmoulins dans ses souvenirs le décrivait comme « un homme d’une quarantaine d’années, mais faisant très jeune, cheveux longs, favoris » et comme « un fanatique disciple de Pierre Besnard ».

Jacques Casanova, qui était alors domicilié 5 impasse Neuve, fut nommé secrétaire de la Fédération anarchiste Provençale (FAP), elle-même en liaison avec la Fédération anarchiste de langue française (FAF), lors d’un congrès tenu à Marseille le 17 mars 1935 et qui réunit une quarantaine de délégués. Les autres membres du bureau étaient Martial (secrétaire adjoint) et Gleize (trésorier). Il utilisait comme boite aux lettres le Bar Provence, 2 Cours Lieutaud, un des lieux de réunions de la FAP, du groupe Germinal, de la CGTSR et des militants espagnols et italiens.

Casanova, à l’époque du Front populaire, fit preuve d’une grande activité et son groupe fut signalé dans un rapport de commissaire chef des services de la police spéciale, comme « le plus actif et le plus intelligent des groupements anarchistes de notre ville » (20 mai 1937).

A l’été 1936 il était le secrétaire du Comité d’entraide pour la défense de la révolution espagnole. Par de nombreuses réunions publiques, appelant souvent la contradiction, des affiches, des tracts, il essaya de venir en aide aux anarchistes espagnols et de « noyauter » la CGT pour y recruter des adhérents ouvriers, surtout parmi les travailleurs immigrés italiens ou espagnols. Il espérait arriver à rassembler 2000 membres. En fait, il n’eut jamais plus de 120 partisans, que ce soit à la Fédération, ou dans les syndicats (Bâtiment surtout). D’après la police, il était encore entre 1936 et 1939 le secrétaire de l’UL CGTSR de Marseille et celui de la 28e Union régionale. Il essaya d’exploiter l’échec de la grève du 30 novembre 1938 et animait encore la CGT-SR marseillaise en mars 1939, assisté de Jean Petrus Gayte et Joseph de Moine, ce dernier né le 2 avril 1902 à Villeurbanne (Rhône). Il fut, bien entendu, souvent en conflit avec les communistes marseillais qu’il attaquait dans ses discours. Il se réclamait de Proudhon, [Bakounine153590], Malatesta, Pelloutier, Griffuelhes et Yvetot (février 1937). Il avait créé le groupe Erich Mühsam de la FAF dont il était le secrétaire et dont le siège se trouvait 18 rue d’Italie. C’est là qu’il organisa des réunions entre 1936 et 1939. Influent dans le milieu anarcho-syndicaliste, il avait accompagné Paul Lapeyre dans une tournée de conférences dans la région avec projection de films. Il était inscrit au carnet B.

Á la veille de la guerre, il demeurait 48 boulevard Banon. Auparavant, il avait résidé rue du Portail. Un arrêté d’internement administratif fut pris à son encontre le 29 février 1940. Une lettre du préfet des Bouches-du-Rhône, datée du 7 mars 1940, fait mention de l’arrestation d’un Casanova Jacques, Antoine, le 1er mars, parmi d’autres militants communistes connus, et il est assimilé à ces derniers. Il fut interné au camp de Chabanet (Ardèche), puis à Chibron, commune de Signes (Var) et enfin, à la dissolution de ce camp, dans celui de Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn). Selon Martial Desmoulins, il fut interné au camp de Saint-Sulpice-la-pointe où il faisait « la plonge ». Interrogé le 19 décembre 1941 par le commissaire du camp, il se disait manutentionnaire, ayant été le secrétaire du syndicat des manutentionnaires entre 1934 et 1938. Il précisait qu’il avait fait grève en 1936 mais pas en 1938 (évidemment). Il ajoutait qu’il n’avait jamais été membre d’un parti politique. Les autorités du camp donnèrent un avis favorable à sa libération puisqu’il s’était publiquement désolidarisé des « meneurs » de la protestation du 2 avril 1941 contre la déportation d’un groupe d’internés en Algérie. Cette manifestation avait organisé par la cellule communiste du camp puisque des militants chevronnés étaient particulièrement ciblés par ce transfert. Par ailleurs, Jacques Casanova avait signé l’engagement de loyalisme à l’égard du maréchal Pétain et de son gouvernement comme il était demandé pour une libération. Les Renseignements généraux donnèrent un avis favorable à une libération conditionnelle le 2 janvier 1942. Il fut libéré le 5 mai suivant pour trois mois renouvelables. Noël Carrega, secrétaire de l’UD-CGT des Bouches-du-Rhône et de la Bourse du Travail, était intervenu en sa faveur.
Son épouse avait été suspendue de son emploi à l’hôpital de la Conception le 20 juillet 1940 en tant que fille d’étranger.

En 1947, un J. Casanova (lui ou son fils ?) était le secrétaire du groupe de Saint Savournin de la Fédération anarchiste (FA) dont il fut le délégué lors d’une assemblée régionale tenue le 4 octobre 1947.

Le journal Défense de l’homme annonça la mort d’un Casanova à Marseille en 1961. Il s’agit sans doute de Jacques, Antoine.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article153848, notice CASANOVA Jacques, Antoine [Dictionnaire des anarchistes] par Antoine Olivesi, notice complétée par Rolf Dupuy, Françoise Fontanelli, Thierry Bertrand, version mise en ligne le 4 avril 2014, dernière modification le 18 décembre 2021.

Par Antoine Olivesi, notice complétée par Rolf Dupuy, Françoise Fontanelli, Thierry Bertrand

SOURCES : Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, M 6/10810 (rapports des 6 mars et 26 mai 1913), M 6/10812 rapports des 20 et 22 août et 5 et 30 novembre, 2 et 5 décembre 1936, des 22 et 25 février, 25 mars, 20 mai, 24 et 31 juillet, 3 septembre 1937, du 31 mars 1939 ; M 6/11 246 (lettre du préfet du 7 mars 1940) ; 1R1323, 5 W 371 et 5 W 172 (dossier d’internement). — Arch. Comm. de la ville de Marseille, listes électorales de 1911, 1919, 1937, 1939. — L’Ouvrier syndiqué (15 mars, 1er et 15 juin 1913). — R. Bianco, "Le mouvement anarchiste ...", op. cit. t. II, p. 14. — Marc Bresson, "Jean Marestan et l’anarchisme marseillais de 1903 à 1951", Mémoire de Maîtrise d’Histoire, Aix, 1972, p. 119 — Terre Libre, année 1936, 1937 — Libertaire, année 1935 — Compte rendu de la réunion régionale du 4 octobre 1947 — Défense de l’Homme, année 1961 — Souvenirs de Martial Desmoulins in Bulletin du CIRA, Marseille, mai 1983 — R. Bianco, "Un siècle de presse anarchiste...", op. cit. — Notes de Françoise Fontanelli — Arch. Nat. F713059, rapport du 6 mars 1913 – Notes de Thierry Bertrand et de Jean-Marie Guillon.

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