CLER Henri, dit BIFFIN [Dictionnaire des anarchistes]

Par Anne Steiner

Né à Paris (XIe arr.) le 21 septembre 1862 ; mort à l’hôpital Saint-Antoine (Paris), tué par les forces de l’ordre lors d’une grève le 21 juin 1910 ; ouvrier ébéniste ; anarchiste ; gérant du journal Le Pot à colle.

Photo anthropométrique Alphonse Bertillon. Collection Gilman. Métropolitan museum of art. New-York

Henri Cler, ouvrier ébéniste d’origine belge, est né dans le faubourg Saint-Antoine où il a ensuite toujours habité en dépit de déménagements extrêmement fréquents, toujours à la cloche de bois, pour cause de dettes de loyer. Il était marié à Rose Françoise Buchfinck, une giletière dont il eut deux fils, nés en 1887 et 1890.

Dès 1887, il lisait la presse anarchiste et assistait à des réunions. Il se présenta en septembre 1889 aux élections législatives dans le XIe arr. de Paris comme candidat anarchiste abstentionniste, et n’obtint aucun suffrage. En avril 1891, il loua, rue Titon, à son nom, un atelier dans lequel une dizaine de compagnons travaillaient en commun. Ce local servit un temps de bureau de rédaction au Père Peinard. L’expérience ne dura que quelques mois, faute de ressources suffisantes pour payer le terme. S’ensuivit un déménagement mouvementé à la cloche de bois opéré par une trentaine de camarades. La concierge, quelque peu malmenée, déposa plainte contre Henri Cler.

En 1893, un rapport de police le soupçonnait de se livrer à des activités illégalistes (vol et estampage) et signalait qu’il participait à de nombreuses réunions anarchistes. Il était soupçonné d’avoir hébergé le propagandiste par le fait Théodule Meunier*, alors activement recherché. Il fut arrêté en avril 1894 pour affiliation à une association de malfaiteurs en application des lois « scélérates » votées en décembre 1893. Relâché le 8 mai 1894, il fut de nouveau arrêté le 2 juillet ; il obtint un non-lieu le 14 juin 1895.

En juillet 1897, il fut condamné à quinze jours de prison et 300 francs d’amende pour avoir bousculé sa concierge lors d’un déménagement à la cloche de bois, peine qu’il accomplit à la prison de Sainte Pélagie. En juin 1898, il devint gérant du Pot à colle, organe des ouvriers de l’ameublement et du meuble sculpté, bimensuel, qui avait déjà paru en 1891-1892 (19 numéros) ; la deuxième série compta 9 numéros (30 juillet-19 novembre 1898).

Le 25 octobre 1899, il était condamné par la neuvième chambre correctionnelle de la Seine à trois mois de prison par défaut pour injures et diffamation envers un patron ébéniste, jugement confirmé le 7 mars 1900. Nouvelle condamnation le 2 février 1900, à trois mois de prison ferme pour injures et diffamation, en tant que « publiciste », gérant du Pot à colle.

En 1907, Henri Cler fut radié de la liste des anarchistes à surveiller, mais il continuait cependant, à faire de la propagande syndicale parmi les compagnons ébénistes. Au début du mois de mai 1910, une grève éclata chez Sanyas et Popot, fabricant de meubles du faubourg pour exiger le départ d’un contremaître haï. Henri Cler, qui se rendait chaque soir, après son travail, au QG des grévistes, reçut lors d’échauffourées avec la police, le 13 juin, des coups très violents à la tête. Transporté à l’hôpital Saint Antoine, il décéda le 21 juin suivant.

A l’annonce de sa mort, le faubourg s’enflamma, partout furent apposées des affiches dénonçant « un assassinat patronal et policier ». Toutes les sections syndicales présentes à Paris appelèrent leurs adhérents à participer aux obsèques, contre l’avis des partis ouvriers qui craignaient des débordements. Le dimanche 26 juin, au début de l’après-midi, un cortège de plusieurs dizaines de milliers de personnes partit du domicile de l’ancien employeur de Cler, 127 rue du Faubourg Saint-Antoine, derrière les bannières des fédérations et les drapeaux rouges et noirs, pour se diriger vers le cimetière de Pantin. Tout le long du chemin, des policiers furent pris à partie par la foule, plusieurs furent blessés, et l’un d’eux même poignardé. Les vitres des postes de police furent brisées. Les entreprises ou les chantiers qui n’avaient pas cessé le travail furent caillassées et les travailleurs non grévistes violemment molestés. Quiconque ne se découvrait pas au passage du cortège était jeté à terre et décoiffé de force. Mais les affrontements les plus sérieux eurent lieu à la sortie du cimetière, avenue du pont de Flandre, face aux abattoirs. Quarante policiers furent sérieusement blessés et une centaine de manifestants reçurent des coups de sabre ou furent piétinés par des chevaux lors d’une charge de cavalerie. La chaussée était rouge de sang. Treize manifestants furent arrêtés, dont Ricordeau* du syndicat des terrassiers. Un responsable policier déclara : « Je ne me souviens pas d’avoir assisté à des bagarres présentant un caractère d’émeutes aussi marqué. » (Le Petit Parisien, 28 juin 1910) tandis qu’un commerçant de la rue de Flandre estimait que « jamais Pantin ne fut aussi bouleversé, même au temps de la Commune. » (Le Petit Journal, 27 juin 1910.)

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article153862, notice CLER Henri, dit BIFFIN [Dictionnaire des anarchistes] par Anne Steiner, version mise en ligne le 7 mars 2014, dernière modification le 30 juin 2021.

Par Anne Steiner

Photo anthropométrique Alphonse Bertillon. Collection Gilman. Métropolitan museum of art. New-York
Fiche photo anthropométrique Alphonse Bertillon. Collection Gilman. Métropolitan museum of art. New-York
Communiqué par Jean-Pierre Ravery.

SOURCES : Arch. PPo. B a 1014.— J. Maitron, Histoire du Mouvement anarchiste, op. cit.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable