COCHON Georges, Alexandre [Dictionnaire des anarchistes]

Par Jean Maitron, Claude Pennetier, notice revue par Rolf Dupuy et Guillaume Davranche

Né le 26 mars 1879 à Chartres (Eure-et-Loir), mort le 25 avril 1959 à Pierres (Eure-et-Loir) ; ouvrier tapissier ; anarchiste et animateur des luttes de locataires.

Georges Cochon (1912)
Georges Cochon (1912)
Agence Rol

Très populaire, Cochon fut avant la Première Guerre mondiale secrétaire de l’Union syndicale des locataires puis de la Fédération des locataires, au temps où le « proprio » était « Monsieur Vautour » et où certains locataires pratiquaient les déménagements à la cloche de bois.

Fils d’un couple de blanchisseurs de Chartres, Georges Cochon fut appelé sous les drapeaux le 15 novembre 1900, et enrôlé dans le 115e régiment d’infanterie. Il devint caporal le 1er juin 1901, mais demanda à être rétrogradé. Le 19 janvier 1902, la hiérarchie militaire le transféra donc, en tant que simple soldat de 1re classe, au 24e régiment d’infanterie coloniale à Toulon. Du 24 mai au 7 novembre 1902, il fut affecté aux troupes françaises qui occupaient la Crète depuis l’intervention internationale de 1898. Puis il revint au 24e RIC à Cette (Sète). Le 11 mai 1903, il passa au 3e RIC, puis fut libéré le 26 septembre 1903.

Le 8 mars 1904, il épousa Berthe Journaux à Paris 14e. Il habitait alors au 215, rue de Vanves, à Paris 15e.

En décembre 1909, Georges Cochon était le trésorier de l’Union syndicale des locataires ouvriers et employés (USL), fondée en 1910 par Constant. L’organisation, dont le programme reposait sur l’insaisissabilité du mobilier, le paiement à terme échu et la taxation des loyers, comptait alors un demi-millier d’adhérents parisiens.

Début 1911, Cochon fut élu secrétaire de l’USL, et innova : désormais les déménagements de locataires impécunieux ne se feraient plus « à la cloche de bois » (c’est-à-dire clandestinement), mais en fanfare, au grand jour, accompagnés de manifestants pour protéger leur mobilier. L’USL connut alors un développement prodigieux : 3 500 membres revendiqués en juin 1911, 5 000 en octobre, 12 000 à la fin de l’année. Et Cochon fut appointé 250 francs par mois comme secrétaire.

À partir de janvier 1912, Cochon fut très fortement médiatisé à l’occasion du bras de fer qui l’opposa à Mme Chazelles, la propriétaire de son logement. Elle voulait récupérer les clefs avant le terme, il refusait. La police se déploya pour empêcher un déménagement à la cloche de bois. Il pendit alors, à sa fenêtre du 4e étage, un drapeau rouge et une banderole : « Respectueux de la loi violée par la police au service du propriétaire, je ne sortirai que contraint par la force ». Pendant ce temps, l’USL ameutait des manifestants, la presse, l’opinion publique. Un jugement en référé donna raison au locataire le 5 janvier et la police leva le camp.

Le 7 janvier 1912, il enchaîna avec une action de relogement d’une famille et de leurs huit enfants dans le jardin des Tuileries, où des compagnons du syndicat des charpentiers avaient assemblé en quelques minutes une baraque de fortune. Cette action entraîna le vote, par le conseil municipal de Paris, d’un emprunt de 200 millions pour la construction de logements économiques.

Peu après, Cochon relança le bras de fer avec Mme Chazelles en exigeant 20 000 francs de dommages et intérêts car à cause de la mauvaise publicité qu’elle lui avait faite, disait-il, il ne pouvait plus quitter son logis : aucun propriétaire ne voulait lui louer de logement. Cette fois la justice lui ordonna de vider les lieux. Il se barricada donc au 62, rue de Dantzig, et du 25 au 31 janvier 1912, fut assiégé par la police, acclamé par les manifestants et ravitaillé par ses voisins. Il fallut que les huissiers fassent défoncer la porte à la hache pour mettre fin à « fort Cochon ».

Cochon était alors au faîte de sa gloire, et il devint le visage de la lutte des locataires, comme en témoignent les titres produits par les chansonniers de l’époque : La Cochonette, Donnez des logements, Papa Cochon, C’est Cochon, V’là Cochon qui déménage de Montehus, Le Chant des locataires de Robert Lanoff et La Marche des locataires de Charles d’Avray. La fanfare qui accompagnait les déménagements de l’USL fut, elle, renommée « le Raffût de saint Polycarpe », du prénom du mari de Mme Chazelles.

Cochon et l’USL continuèrent ensuite d’investir logements libres et lieux publics : le 10 février 1912 la cour de la préfecture de police ; en mars la cour de la Chambre des députés.

En 1912 Cochon collaborait au journal anarchiste bruxellois Le Combat Social (n°1 à 3, avril 1912) où avec Georges Schmickrath et Léon de Wreker il alimentait la rubrique « Sus aux vautours », contre les propriétaires.

Cette année-là, cependant, la personnification à outrance provoqua une crise dans l’USL. Georges Cochon, fort de sa notoriété, se présenta aux élections législatives dans le quartier du Père-Lachaise, contre le député sociale Émile Landrin. L’USL avait certes voulu présenter des candidatures fictives, mais Cochon transforma la sienne en candidature réelle, provoquant la colère des militants de l’organisation, socialistes comme anarchistes. Poussé vers la sortie, Cochon démissionna de l’USL courant mai 1912 et fonda une nouvelle structure à sa main : la Fédération nationale et internationale des locataires.

Par son dynamisme, l’organisation de Cochon supplanta rapidement l’USL. Le 12 avril 1913, plusieurs milliers de sans-logis manifestèrent avec lui devant l’hôtel de ville ; puis le 24 il prenait d’assaut l’église de la Madeleine. Ces actions furent suivies par l’occupation de la caserne du Château-d’eau pour y loger 50 familles et leurs enfants et, en juillet 1913, par l’occupation, boulevard Lannes, de l’hôtel particulier de La Vérone avec la complicité de leur occupant, le comte de La Rochefoucauld, où furent relogées huit familles et trente-six enfants.

En 1913 il fit plusieurs conférences en province, notamment à Marseille en août où, après une imposante manifestation dans les rues de la ville, il réunit plus de 4 000 auditeurs au Palais de Cristal (voir l’article).

Le 21 février 1914, la cour d’appel de Paris le condamna à 11 francs d’amende et quatre mois de prison avec sursis pour bris de clôture et dommages à la propriété d’autrui.

Le 3 août 1914, Cochon fut mobilisé au 29e régiment d’infanterie territoriale et participa à la bataille de la Marne. Il passa au 21e RIC le 7 novembre 1914 puis, le 27 décembre 1914, fut détaché comme ouvrier aux usines Renault de Billancourt (Seine).

Le 24 décembre 1916, le préfet de police signala que Cochon se livrait, à l’usine, à de la propagande pacifiste et révolutionnaire. Le 7 février 1917, il fut relevé de son emploi et rappelé dans l’armée active. Le 13 février il rejoignit le dépôt du 21e RIC. Cependant, dès le 18 février, il manquait à l’appel, et il fut noté comme déserteur le 22 février 1917.

Cochon se cacha alors en région parisienne, puis il participa à l’édition du Raffût (9 numéros en juin et juillet 1917), hebdomadaire du syndicat des locataires, dont l’adresse postale était fixée à son domicile personnel, 16, rue des Martyrs à Paris 9e.

Georges Cochon fut arrêté à Paris le 13 août 1917. Le 17 novembre, il fut condamné par le conseil de guerre à trois ans de travaux publics pour « désertion à l’intérieur en temps de guerre ». Il fut affecté à l’atelier de travaux publics de Bougie (Algérie) le 1er janvier 1918, jusqu’à l’expiration de sa peine, le 13 août 1920.

De retour en France, il s’installa au 29, rue de Navarrin, à Paris 9e, et reprit son activité militante et ressuscita Le Raffût, qui allait paraître à Paris du 13 novembre 1920 au 30 décembre 1922 (92 numéros).

Le 18 décembre 1923, il épousa Berthe Lejeune à Paris 19e.

Georges Cochon participait encore au mouvement des locataires en 1925-1926. Ses activités le firent comparaître devant le tribunal de simple police de Paris le 21 avril 1926.

Dans les années 1950, Georges Cochon vivait retiré, avec sa compagne Tounette, à Pierres, près de Maintenon (Eure-et-Loir). Le 19 décembre 1957, âgé de 78 ans, il vint à Paris pour raconter ses souvenirs à la radio, dans l’émission Les Rêves perdus d’Étienne Biery. À cette occasion Louis Lecoin et May Picqueray réunirent autour de lui quelques vieux militants libertaires.

Georges Cochon mourut le 25 avril 1959 dans sa maison de la rue des Grandes-Cours à Pierres. Son fils avait repris le flambeau et, dans les années 1970, était encore actif dans un syndicat de locataires.

R. Bianco a recensé d’autre part plus de 30 cartes postales émises par la fédération des locataires et représentant Cochon et ses diverses actions.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article153865, notice COCHON Georges, Alexandre [Dictionnaire des anarchistes] par Jean Maitron, Claude Pennetier, notice revue par Rolf Dupuy et Guillaume Davranche, version mise en ligne le 7 mars 2014, dernière modification le 26 octobre 2022.

Par Jean Maitron, Claude Pennetier, notice revue par Rolf Dupuy et Guillaume Davranche

Georges Cochon (1912)
Georges Cochon (1912)
Agence Rol

ŒUVRE : Ses Mémoires ou le raffût de Saint-Polycarpe, par Casimir Lecomte (le journaliste André Wurmser), ont paru dans L’Humanité à partir du 17 novembre 1935. Georges Cochon fut également l’auteur du petit traité Trente-neuf manières de faire râler son concierge.

SOURCES : État civil de Chartres. — Registres matricules de l’Eure-et-Loire. — Arch. Nat. F7/13053, 13372 et 13061, rapport du 29 mai 1916, F7/13756. — Arch. PPo., BA/882. — Le Petit Provencal, Marseille, 10-11 août 1913 — Le Quotidien, 6 mai 1926. — Le Monde libertaire, juin 1959 — Annie Kriegel, Aux origines du communisme français, t. 2, p. 900. — May Picqueray, May la réfractaire, Paris, 1979 — R. Bianco, Un siècle de presse…, op. cit.Libération, 5 août 1983 et 28 janvier 1995 — Patrick Kamoun, V’là l’Cochon qui déménage : prélude au droit au logement, Yvan Davy éd., 2000 — René Bianco « Inventaire des cartes postales anciennes ayant un rapport avec Georges Cochon », 3 feuilles tapuscrites, janvier-mars 2000 — Guillaume Davranche, Trop jeunes pour mourir. Ouvriers et révolutionnaires face à la guerre (1909-1914), L’Insomniaque/Libertalia, 2014. — Certaines occupations de logements ont été filmées vers 1910 et retrouvées.

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