Par Jean Maitron, complété par Guillaume Davranche et Marianne Enckell
Né le 6 avril 1862 à Paris, mort le 19 août 1921 à Paris ; écrivain, pamphlétaire ; un temps de tendance individualiste anarchiste.
Oublié après sa mort, Georges Darien a été redécouvert depuis la réédition du Voleur en 1955 et de Bas les cœurs ! en 1957. S’il fut un individualiste revendiqué, Georges Darien ne fut jamais, à proprement parler, anarchiste. Il fraya néanmoins avec le mouvement libertaire, ne serait-ce que pour s’en moquer, et le contenu antimilitariste et illégaliste de ses œuvres y exerça une influence certaine.
Ayant perdu sa mère en bas âge, Darien fut élevé par une belle-mère catholique intransigeante. Le 16 mars 1881, devançant l’appel, il s’engagea à l’armée, dans le 2e escadron du Train. Le 23 mai 1883, le conseil de guerre le condamna pour insubordination à la section disciplinaire en Afrique, « à Biribi » dans l’argot de l’époque.
Il passa 33 mois dans la 5e compagnie de fusiliers de Gafsa (Tunisie), d’où il fut libéré en 1886. C’est de cette expérience qu’il tira son roman Biribi, discipline militaire, où il dénonçait les atrocités du bagne militaire. Le livre, achevé en 1888, ne parut que deux ans plus tard : son éditeur Savine, qui craignait un procès, ne le publia que suite au succès de Sous-Offs de Lucien Descaves*. Darien avait déjà publié le roman satirique Bas les cœurs (1889), où il peignait les conséquences des événements de 1870-71 sur un milieu provincial petit-bourgeois. Mais aucun de ses livres ne rencontra le succès, bien que Biribi ait provoqué des débats jusqu’à l’Assemblée nationale et connu plusieurs rééditions entre 1897 et 1922.
Dans son roman au ton pamphlétaire Les Pharisiens (1891), Darien attaquait violemment Édouard Drumont et les antisémites. Suite à cette publication, il collabora à divers périodiques anarchistes ou libertaires comme Le Roquet ou L’En-Dehors, où il connut sans doute Zo d’Axa* et publia notamment sous le pseudonyme de Georges Brandal. Bien d’autres périodiques anarchistes, dont La Révolte de Jean Grave*, publièrent des extraits de ses œuvres. Il fonda en 1893 L’Escarmouche (illustré de gravures en pleine page de Toulouse-Lautrec, Vallotton*, Willette*, Ibels, Bonnard et Hermann-Paul*), qui disparut apès quelques mois. Il écrivit aussi beaucoup pour le théâtre, notamment avec Lucien Descaves.
Sa vie est mal connue, ce qui laisse libre cours aux fantasmes identifiant l’écrivain au héros du Voleur, Randal. De 1891 à 1897, il voyagea en Belgique, en Allemagne et en Angleterre, à Londres en particulier, d’où il revint avec le manuscrit du Voleur, publié en 1897. Dans ce roman sur le parcours d’un cambrioleur, il critiquait férocement l’hypocrisie de la société bourgeoise. Dans un chapitre également, il évoquait le milieu de la proscription anarchiste à Londres, qu’il semble avoir fréquentée en 1893-1894, et brossait le portrait satirique de deux éminents militants : Balon (Augustin Hamon*) et Talmasco (Charles Malato*). Avec des arguments foncièrement individualistes et illégalistes, il brocardait aussi bien le socialisme que l’anarchisme, qu’il renvoyait dos à dos : « En haut, des papes, trônant devant le fantôme de Karl Marx ou le spectre de Bakounine, qui pontifient, jugent et radotent ; des conclaves de théoriciens, de doctrinaires, d’échafaudeurs de système, pisse-froid de la casuistique révolutionnaire, qui préconisent l’enrégimentation [...] ; en bas, les foules, imbues d’idées de l’autre monde, toujours disposées à prêter leurs épaules aux ambitieux les plus grotesques [...] ; les foules, bêtes, serviles, pudibondes, cyniques, envieuses, lâches, cruelles – et vertueuses, éternellement vertueuses ! »
Quelques années plus tard, il se rapprocha d’un anarchiste marginal, mais aux inclinations analogues : Émile Janvion*. En 1903-1904, il donna à son journal, L’Ennemi du peuple, de nombreux articles prodigues en remarques mordantes sur le mouvement anarchiste.
Il participa au congrès antimilitariste d’Amsterdam en juin 1904, comme délégué de l’Angleterre. Amateur de paradoxe selon Francis Jourdain* qui l’a décrit à l’époque comme un « gros homme apoplectique », il y aurait affirmé que « seule, la guerre pouvait tuer le militarisme exécré » et que le devoir des antimilitaristes était donc « de déclencher au plus tôt un conflit ».
En 1904, il publia à Londres un roman intitulé Gottlieb Krumm, made in England, dont on ne connaît pas de manuscrit en français.
En 1909, revenu en France, il était le secrétaire de l’Union syndicale du petit personnel des théâtres de Paris, affiliée à la CGT. En novembre, Émile Janvion annonça à L’Action française que son nouveau journal, Terre libre, compterait Darien parmi ses collaborateurs – il n’en fut rien.
Le 13 avril 1910, depuis une loge de l’Opéra-Comique, Darien et deux autres syndiqués interrompirent une représentation de Tosca, en jetant des boules puantes dans la salle et en prononçant un discours revendicatif. Cela lui valut une condamnation à 5 francs d’amende et à 25 francs de dommages et intérêts.
En 1911, inspiré par les idées de Henry George, il fonda La Revue de l’impôt unique qui n’eut qu’un an d’existence. Il se présenta sans succès aux élections générales puis aux élections pour le conseil municipal de Paris en 1912. En 1914 il collabora au quotidien radical Le Rappel.
En 1919, il déclarait encore à Georges Pioch* : « Je n’appartiens à aucun parti ; je n’ai pas de drapeau. Je hais tous les drapeaux, y compris le drapeau rouge. » Veuf, il se remaria en 1921, peu de temps avant de mourir.
Par Jean Maitron, complété par Guillaume Davranche et Marianne Enckell
ŒUVRE : Bas les cœurs. 1870-1871, Savine, 1889 — Biribi. Discipline militaire, Savine, 1890 — Les Chapons (pièce en un acte, avec Lucien Descaves), 1890 — Le Voleur, Stock, 1898 — L’Ami de l’ordre (drame en un acte), Stock, 1898 — Les Vrais Sous-offs. Réponse à M. Descaves (avec Édouard Dubus), Savine, 1900 — La Belle France, Stock, 1901 — L’Épaulette. Souvenirs d’un officier, Fasquelle, 1905. — Nombreuses rééditions. La bibliographie complète de l’œuvre de Darien se trouve dans Walter Redfern, George Darien, robbery and private enterprise, Amsterdam, 1985.
SOURCES : Trois lettres de Georges Darien à Jean Grave se trouvent à l’IFHS (fonds Grave) — L’Action française du 2 novembre 1909 — Le Matin des 14 avril, 24 juin et 10 juillet 1910 — P.-V. Stock, Memorandum d’un éditeur, Paris 1935 — Auriant, Georges Darien, Les Presses libres, 1955 — Le Mouvement social de janvier-mars 1965 — René Bianco, « Un siècle de presse… », op. cit. — Walter Redfern, op. cit. — David Bosc, Georges Darien, Sulliver, 1996 — Constance Bantman, « Anarchismes et anarchistes en France et en Grande-Bretagne, 1880-1914 », thèse soutenue à l’université Paris-XIII, 2007.