Par Jean Maitron, notice complétée par Rolf Dupuy
Né le 5 février 1875 à Évreux (Eure) ; mort le 22 décembre 1956 à Paris ; employé des chemins de fer puis correcteur ; écrivain anarchiste individualiste.
D’une famille depuis longtemps établie en Normandie, naguère aisée, Ernest-Edmond Lohy, qui adopta plus tard le pseudonyme de Manuel Devaldès, vint très jeune à Paris où il poursuivit ses études.
Il fut bientôt attiré par la littérature et l’art. En 1895, il accepta un poste de secrétaire au Journal des Artistes et devint le responsable de la revue Livre d’art. L’année suivante, avec notamment Francis Morgelet, Jules Heyne et Gustave Langlet, il fonda La Revue rouge de littérature et d’art (Paris), qui n’eut que huit numéros (janvier 1896-avril 1898) mais à laquelle collaborèrent Félix Fénéon*, Henry Bauër, Zo d’Axa*, Paul Verlaine, Laurent Tailhade*, Gustave Kahn, et les dessinateurs Steinlen* et Léandre. Il y définit l’art social : « l’art décoratif, appliqué ou utilitaire, c’est-à-dire appliqué à la décoration de toutes choses utiles à la vie matérielle et morale de l’homme dans la société ; mais il y a subordination de l’art social à la construction d’une autre organisation sociale. L’art du XIXe siècle ne peut être un art social, l’art social naîtra après la Révolution ». Dans un article du Semeur (n°67, 14 avril 1926) Devaldés précisait : « Cette belle revue individualiste… a eu trois numéros de janvier à mars 1896 ; après une suspension de quelques mois, elle a reparu en septembre de la même année sur un format réduit. »
Devaldès, qui effectua son service militaire en 1896-1897, publia un premier recueil de poèmes : Hurles de haine et d’amour (1897) où se faisait sentir l’influence symboliste. La rencontre de certains anarchistes, comme Han Ryner* (il lui consacra en 1909 une étude critique) ou Paul Robin*, fut pour lui déterminante. Il s’intéressa alors aux problèmes de l’éducation, à la doctrine malthusienne ; orienté vers l’individualisme libertaire, il publia, en 1910, Réflexions sur l’individualisme : « l’individualisme est nettement opposé à l’association obligatoire qu’impose l’État d’aujourd’hui […], mais il accepte, que dis-je, sienne propre est l’association librement consentie entre individus. À l’association obligatoire, il oppose l’association libre […]. La sagesse individualiste ne portera pas l’homme à répudier le principe d’association sous le prétexte que jusqu’à ce jour on en a dénaturé le sens, mais, au contraire, elle l’incitera à organiser son association de telle manière qu’elle soit sa chose et qu’il ne puisse être sacrifié au nom de cette chose à l’intérêt d’autrui » (Cf. Pensée et Action, op. cit., pp. 38-39.)
En 1905 il était attaché au service de la voie ferrée à la gare Montparnasse pour la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest et demeurait 51 avenue du Maine. A la suite de la suppression de son poste, il fut nommé à Evreux où il travailla comme comptable à la gare.
Revenu à Pairs où, en 1909, il résidait 27 rue Jacob, il collabora alors au Libertaire notamment par des articles antimilitaristes qui lui valurent d’être inscrit en mars 1909 au Carnet B dans lequel il fut maintenu lors de la révision de 1922 et dont il sera rayé finalement le 20 janvier 1927.
En 1913, Devaldès participa, avec A. Colomer*, G. de Lacaze-Duthiers* et autres, à la fondation de l’Action d’art (Paris, 18 numéros,15 février – 25 décembre 1913), dont le gérant était Colomer et qui était sous-titré « Journal organe de l’individualisme héroïque ».
Ne voulant pas être sacrifié aux intérêts de « l’association obligatoire », Devaldès fut naturellement antimilitariste et, lorsque survint la Première Guerre mondiale, fidèle à ses idées, il resta un réfractaire et s’en expliquera plus tard dans Les Raisons de mon insoumission : « La guerre de 1914-1918 n’était pas mon affaire. En effet, je ne possède rien. Qu’aurais-je été défendre ? La propriété de ceux qui possèdent ? Merci de la mission ! Je ne suis pas de la chair dont on fait les dupes. Réglez vos affaires autrement qu’avec ma peau, messieurs les capitalistes des divers syndicats que vous appelez patries. (...) La violence est justifiée à mes yeux dans le cas d’une défense réelle, lorsqu’il y a quelque chose à défendre, quelque chose qui en vaille la peine, et s’il n’est pas d’autre moyen de dénouer la situation. »
Devaldès se réfugia en Angleterre avec un passeport espagnol prêté par un ami. Il apprit l’anglais, exerça divers métiers et vécut en ignorant tout de la guerre. En décembre 1918, il fut dénoncé et arrêté. Condamné à six mois de prison, il était menacé d’extradition à la fin de sa peine et aurait été condamné alors en France à cinq ans de prison. Il fit jouer le fait qu’il était, depuis 1895, objecteur de conscience. Finalement, après sa libération, il fut admis à résider en Angleterre.
Fait curieux : dans le dossier des Archives nationales, F7/13053, où se trouvent les listes, établies en mars 1916, des militants qui se sont signalés depuis la mobilisation par leur attitude révolutionnaire ou antimilitariste, Devaldès est noté comme appartenant au 27e régiment territorial d’infanterie.
Au lendemain de la guerre, en 1922-1923, il se prononça sans ambiguïté en faveur de la Révolution russe. Dans l’organe individualiste Le Réveil de l’esclave (Paris, au moins 42 numéros, 1er mai 1920- avril 1925), dont depuis novembre 1921 il était le directeur, il écrivait par exemple : « Il n’y a d’opprimés en Russie que des illuminés qui ont perdu tout contact, si jamais ils l’ont eu, avec la réalité » et dénonça finalement le « rôle effectivement contre-révolutionnaire que jouent [...] des organisations telles que l’Union anarchiste française et similaires de l’extérieur » (Le Réveil de l’esclave, n° 27, 1er novembre 1922 et n° 35, 1er octobre 1923).
Par la suite, ce fut à la doctrine malthusienne que Devaldès consacra la plus grande part de ses travaux et il écrivit sur ce sujet de nombreux ouvrages.
Il revint en France lorsque la possibilité de poursuites contre lui fut éteinte par la prescription légale. Il fut admis au syndicat des correcteurs le 18 novembre 1939.
Manuel Devaldès, dont la compagne Léonie Renaud était décédée en 1945, mourut d’une angine de poitrine à l’hôpital Necker de Paris le 22 décembre 1956.
Par Jean Maitron, notice complétée par Rolf Dupuy
ŒUVRE : L’Éducation et la liberté, Paris, 1900, 53 p. — La Chair à canon, 1908. — Réflexions sur l’Individualisme, éditions du Libertaire, 1910, 57 p. ; édition de l’Anarchie, 1912, 33 p. ; La Brochure mensuelle, n° 157, janvier 1936. — La Brute prolifique, 1914. — Les Raisons de mon insoumission, 8 p., Conflans-Sainte-Honorine, 1926. — Anthologie des écrivains réfractaires de langue française, 1928. — Croître et multiplier, c’est la guerre, Paris, 1933, 318 pp. — Manuel Devaldès a collaboré à de très nombreux périodiques néo-malthusiens et anarchistes dont outre les titres cités ci-dessus L’anarchie, L’Unique, L’En-dehors, le Semeur, L’idée libre, etc. Une bibliographie, pratiquement exhaustive, est donnée par Hem Day dans Pensée et Action, op. cit. pp. 176-219.
SOURCES : Arch. Nat. F7/13053. — État civil de la mairie d’Évreux. — Pensée et Action, Cahiers n°s 7-8, juin-novembre 1957. — L’Unique, supplément aux n°s 113-114, « In memoriam Manuel Devaldès » et supplément aux n°s 115-116-117. — Françoise Scoffham-Peufly, "Les Problèmes de « l’art social », 1890-1896", Mémoire de Maîtrise, Vincennes, octobre 1970. — Y. Blondeau, Le Syndicat des correcteurs, op. cit. — R. Bianco, « Un siècle de presse anarchiste…. », op. cit. — CAC Fontainebleau 1994 0440 art. 216, Dossier Manuel Devaldes.