Par Jean Maitron, notice complétée par Marianne Enckell
Né le 27 janvier 1842 à Collonges (Haute-Savoie), mort début septembre 1931 ; représentant de commerce, lampiste ; militant de l’Internationale, anarchiste.
Dumartheray fut garçon de café, puis représentant de commerce — par la suite plombier à Genève (il se déclara aussi « lampiste » — cf. J. Guillaume, L’Internationale, t. III, p. 111) et classé par la police comme lithographe (Arch. fédérales, Berne, carton 53).
Après la disparition de la plupart des sections lyonnaises, en 1868, une Commission d’initiative fut chargée, fin 1869-début 1870, de la réorganisation de l’Internationale.
Le 13 mars, Dumartheray fut nommé membre de la commission fédérale de quinze militants qui succéda à la commission d’initiative (voir Léo Busque). Il était prévu que cette commission serait renouvelée annuellement en assemblée générale ; deux délégués par corporation adhérente devaient être adjoints aux quinze membres élus.
Dumartheray fut arrêté en mai 1870 et bénéficia de l’amnistie lors de la proclamation de la République. Il se réfugia à Genève (où il s’était rendu au congrès de la Ligue de la Paix et de la Liberté en 1867) après les évènements de 1871. Il devint membre de la section L’Avenir, et la représenta avec Édouard Andignoux, Ostyn et Antoine Perrare au congrès anti-autoritaire de l’AIT en 1873. C’est là qu’il défendit avec Perrare l’idée que « ne feront partie de l’Internationale que les travailleurs manuels » ; ils furent les seuls à voter en faveur de cet amendement.
En février 1876, il publia la brochure Aux travailleurs manuels partisans de l’action politique ; il y mentionnait à plusieurs reprises le communisme anarchiste annonçait la parution prochaine d’une brochure qui en donnerait « une définition exacte ». Ce serait la première apparition de ce terme. En octobre, il fut délégué du Cercle d’études sociales de Genève au congrès de Berne de l’AIT. L’année suivante, il participa avec Alerini, Brousse, Montels et Pindy à la constitution d’une fédération française de l’Internationale anti-autoritaire, qui tint son congrès à La Chaux-de-Fonds les 19 et 20 août 1877.
Lorsque l’Avant-Garde, son organe, et Brousse furent poursuivis, à la fin de 1878, Dumartheray et Herzig s’associèrent au projet de Kropotkine de lancer un nouveau journal, Le Révolté, qui parut depuis février 1879 à Genève.
Dumartheray fut un temps le dépositaire de papiers de Bakounine, après l’arrestation en 1878 d’Andrea Costa qui les détenait. Il les remit à un ancien membre du Comité fédéral jurassien, Augusto Getti, qui disparut bientôt du milieu anarchiste.
Après l’amnistie de 1880, Dumartheray resta en région genevoise, retournant parfois dans son village d’origine. Avec sa compagne Marie Magne, il avait eu deux enfants qui méritent de figurer parmi les prénoms peu catholiques : Uranie Louise Michelle, née le 30 avril 1873, et Eugène Varlin, né le 8 mai 1878. Ils habitaient d’abord rue du Cendrier 8, puis rue du Nord 15, à Genève. Il fut abonné au Réveil anarchiste depuis le début, envoyant son soutien financier sous le nom du « Vieux Savoyard ».
Selon Kropotkine (Autour d’une vie), « Dumartheray était issu de l’une des plus pauvres familles de paysans de la Savoie. Son instruction n’était pas allée au delà des premiers rudiments de l’école primaire. Il était cependant un des hommes les plus intelligents que j’aie jamais rencontrés. Ses jugements sur les évènements courants et sur les hommes étaient si justes et marqués au coin d’un si rare bon sens qu’ils étaient souvent prophétiques. Il était aussi un des plus fins critiques de la nouvelle littérature socialiste et il ne se laissait jamais prendre au simple étalage de belles paroles ou de prétendue science. »
Dumartheray témoigna à son tour à la mort de Kropotkine : "Ce qui le caractérisait, c’est qu’il aimait le travail manuel autant que le travail intellectuel... Lorsqu’il s’agissait d’emporter les formes du journal à l’imprimerie de Plainpalais, où on le faisait tirer, il était le premier à empoigner les brancards de la carriole." Quant à lui-même, ajoute-t-il, "avec mes 80 ans sonnés, je suis encore forcé de bricoler pour gagner ma vie".
Éloigné des activités militantes, il restait toutefois en contact avec les compagnons de Genève, où il rencontra aussi Lucien Descaves et Max Nettlau en 1927. Le Réveil du 19 septembre 1931 publia le discours de Bertoni lors de son incinération, le 8 septembre : "l’excellent camarade... au langage clair, simple, droit, convaincant, trouvant toujours des raisons d’espérer, se refusant à admettre un arrêt dans le progrès humain…"
Par Jean Maitron, notice complétée par Marianne Enckell
ŒUVRE : Dumartheray figure au nombre des 54 signataires d’une adresse de quatre pages imprimées Au citoyen Garibaldi par les proscrits de la Commune, Genève, 27 janvier 1875 (sans autre indication). Un exemplaire de cette adresse se trouve à l’IFHS (archives Claris). — Aux travailleurs manuels partisans de l’action politique, Genève, avril 1876.
SOURCES : Ci-dessus et Arch. PPo., B a/440. — Etat civil, Archives d’État Genève (pour ses descendants) — Rapport Testut, 16 avril 1778. — Kropotkine, publications du Groupe de propagande par l’écrit n°8, 1921. — Guillaume, L’Internationale, passim — Le Réveil anarchiste, Genève, 19 septembre 1931. — Jaap Kloosterman, Les papiers de Michel Bakounine à Amsterdam, IISG Amsterdam, 2004. — Collège du Travail, Genève, fonds Lucien Tronchet. — Note de Maxime Jourdan.