Par Jean-Paul Morel, notice complétée par Marianne Enckell
Né le 5 décembre 1896 à Paris, mort le 30 mars 1980 à Cachan (Val-de-Marne) ; autodidacte, romancier, anthologiste, journaliste, critique, chef du service de presse des éditions Grasset (1923-1956).
Fils d’un compagnon engagé d’abord dans les constructions navales à Nantes, puis devenu charpentier à Paris, et d’une canneuse de chaises de Ménilmontant, Henry Poulaille décrocha son certificat d’études primaires à douze ans. Peu de temps après, en 1910, il perdit à dix mois d’intervalle son père âgé de quarante-cinq ans, victime des suites d’une chute d’échafaudage, et sa mère, âgée de quarante-deux ans, atteinte de tuberculose. Il devait les prendre tous deux pour modèle, sous le nom de Magneux, dans ses romans Le Pain quotidien (1931), description de la vie d’un faubourg parisien, et Les Damnés de la terre (1935). L’adolescent se lança dans la vie active et obtint, grâce à l’appui de son ancien instituteur, un premier emploi de garçon de courses chez un pharmacien du XVe arr. où il avait passé toute son enfance.
De son père, il avait hérité de solides notions sur la « question sociale » que ses rencontres avec Jean Grave*, Paul Delesalle*, Victor Kibaltchiche (le futur Victor Serge*) approfondirent, et un goût effréné pour la lecture dont il ne se départit jamais. Ses premiers maîtres furent Élisée Reclus*, Pierre Kropotkine*, Émile Zola, Eugène Sue et Zévaco*, ainsi que Paul Verlaine, August Strindberg et Alexis Tolstoï. Il n’était pas question pour lui (et il ne le fut jamais), de sacrifier les « arts mineurs » au profit des arts dits majeurs. De ses oncle et grand-oncle maternels, tous deux passés par le bagne militaire de Biribi, il hérita d’un penchant irréversible pour l’antimilitarisme.
Mobilisé en mai 1916, il fut envoyé en août au front, dans l’Est. Blessé sérieusement en octobre 1917, il fut évacué et termina la guerre comme infirmier. Il fut démobilisé en avril 1919, décoré de la Croix de guerre.
Sans métier, il dut, dans un premier temps, se contenter d’expédients : vendeur de journaux à la criée, homme-sandwich, débardeur, etc., pour gagner sa vie. Mais, passionné par l’écriture, il eut la chance de rencontrer Frédéric Lefèvre qui lui ouvrit les pages de la Vache enragée, donnant ainsi le départ à sa longue aventure de journaliste et de conteur (poursuivie à l’Humanité, au Peuple, plus tard à Monde, etc.). Surtout, quatre ans plus tard, F. Lefèvre l’introduisit auprès des éditions Bernard Grasset. Il y entra le 3 mai 1923 comme auxiliaire au service de presse, en assura bientôt la responsabilité entière, et exerça même les fonctions d’un véritable directeur littéraire, sans jamais en recevoir le titre officiel, ceci pendant trente-trois ans (il fut mis à la retraite le 31 mars 1956).
De ses nombreuses et fructueuses rencontres de cette période, il faut retenir celle de Marcel Martinet*, en 1921, le premier à avoir lancé en France l’idée d’une « culture prolétarienne » (dès 1913, dans l’Effort libre de Jean Richard Bloch) dont Poulaille va devenir progressivement l’un de ses plus ardents hérauts. Marcel Martinet l’encouragea à écrire et lui ouvrit les colonnes de l’Humanité lorsqu’il en était directeur littéraire (1921-1923).
C’est au bas d’un manifeste d’avant-garde, lancé en Allemagne autour de Kandinsky et diffusé en France à l’initiative de Tristan Rémy, que l’on trouve pour la première fois la signature d’Henry Poulaille : il s’agit du manifeste de l’Union Internationale des artistes progressistes, publié notamment dans la revue hollandaise De Stijl en avril 1922. L’enquête « Pour une culture internationale » que lança Poulaille en 1925, publiée d’abord dans la revue Créer, poursuivie dans Les images de Paris en 1926 puis Les Chroniques du Jour en 1927, peut être considérée comme le prolongement de ce manifeste. Il faudra cependant attendre le début des années trente, et la montée des périls, pour voir l’idée commencer à conquérir réellement les esprits.
Les premiers engagements politiques d’Henry Poulaille, qui se défendit toute sa vie d’en avoir jamais eus, apparurent en 1925, année marquée par la guerre du Maroc. Il donna quelques articles à la Revue anarchiste de Colomer* en 1924-1925. Au coude à coude avec Henri Barbusse, le groupe Clarté et les surréalistes, il signa l’appel de Barbusse aux « Travailleurs intellectuels » (« Oui ou non, condamnez-vous la guerre ? », l’Humanité, 2 juillet 1925) et apporta sa contribution au dossier spécial organisé par Clarté sur la guerre (n° du 5 juillet 1925). Il signa ensuite le « Manifeste des intellectuels » contre les arrestations arbitraires et la torture en Pologne (l’Humanité, 8 août 1925), et, pour les mêmes raisons, la « Lettre ouverte aux autorités roumaines » (l’Humanité, 28 août 1925), le télégramme au président du Conseil de Hongrie (l’Humanité, 17 octobre 1925). Il adhéra au Comité de secours aux victimes de la famine en Chine, à celui de la défense des victimes du fascisme et de la terreur blanche (tous deux encore à l’initiative de Barbusse, maintenant sans l’appui des surréalistes) qui, en janvier 1928, apporta son soutien à André Marty et lança, en mai 1928, un appel contre la terreur fasciste en Italie. Il appartint également au Comité de soutien constitué en mars 1929 pour le retour en France d’Henri Guilbeaux (les Humbles, février 1930, octobre 1932). Il intervint également dans la campagne menée au printemps 1927 contre la condamnation à mort de Sacco et Vanzetti.
À partir de 1929, et pour de longues années, Henry Poulaille, qui s’était lancé dans le roman en 1925 avec Ils étaient quatre, se consacra essentiellement au mouvement pour la reconnaissance de la littérature prolétarienne. Cette campagne, qu’il voulait à ses débuts apolitique, allait prendre une dimension idéologique qui provoqua des divisions jusque parmi les initiateurs de ce mouvement.
Le premier à avoir lancé ce qui allait devenir un brûlot fut Augustin Habaru, qui prit en août 1928 l’initiative d’une enquête spécifique sur la littérature prolétarienne pour l’hebdomadaire d’Henri Barbusse, Monde. Poulaille y répondit sans ambages : " Je crois à l’existence d’une littérature et d’un art exprimant les aspirations de la classe prolétarienne..." (Monde, 13 octobre 1928). Cela lui valut d’être chargé par le hongrois Béla Illès, au nom du Bureau international de la littérature révolutionnaire de Moscou, d’organiser une section française de ce bureau (car « Barbusse, Vaillant-Couturier et Georges Altmann n’ont rien fait de palpable... », lettre de B. Illès à H. Poulaille, 3 janvier 1929). C’est ainsi que Poulaille fut même invité au Congrès de Kharkov (lettres de B. Illès à H. Poulaille, 28 août et 9 septembre 1930).
D’un autre bord, Léon Lemonnier lança à l’été 1929 un « Manifeste du populisme » (L’œuvre, 27 août 1929). Poulaille ne voulut pas laisser passer l’amalgame, qu’il considérait comme une récupération « bourgeoise », et, après quelques articles d’essai, réalisa en quelques mois Nouvel âge littéraire, une véritable anthologie-manifeste de la littérature prolétarienne, publiée en juillet 1930 à la librairie Georges Valois*. La querelle ne faisait que commencer.
Henry Poulaille créa dans la foulée, grâce aux finances du même éditeur et avec l’aide d’un comité de rédaction constitué de Lucien Gachon, Lucien Jacques, Édouard Peisson, Eugène Dabit et Tristan Rémy, une revue mensuelle, Nouvel âge (12 nos de janvier 1931 à décembre 1931), qui voulait « coordonner les différentes manifestations culturelles nouvelles » et « être une manière de laboratoire de recherches et d’expérimentation ». « A Nouvel âge, précise l’argumentaire de lancement, on ne fera pas de politique, on restera sur le plan artistique... Nouvel âge sera cependant une revue de combat... »
La première réplique vint de Moscou où la revue Littérature de la Révolution mondiale critiqua dès son lancement l’initiative de Poulaille. Paul Nizan lança ensuite, en août 1931, le projet d’une contre-revue, Crise, dont l’ambition était « la formation d’une culture prolétarienne authentique ». Le « groupe Poulaille » y répliqua unanimement un mois après. Mais le débat sur la littérature prolétarienne, organisé par les Amis de Monde, salle du Grand-Orient le 7 décembre 1931, et présidé par Jean Guéhenno, Léon Lemonnier et Henry Poulaille, mit le feu aux poudres, et poussa le Parti communiste à organiser son propre groupe qui, en mars 1932, prendra le nom d’Association des écrivains et artistes révolutionnaires.
Pour des raisons financières, Nouvel âge disparut à la fin de l’année 1931 et céda la place au Bulletin des écrivains prolétariens qui ne connaîtra que quatre numéros (mars-juin 1932), créé à l’initiative de Tristan Rémy, et dont la rédaction était assurée par Marc Bernard et Augustin Habaru. Le « groupe », puisqu’il se déclarait désormais ainsi, fut ensuite accueilli à Monde, dans un supplément de quatre pages, « Pages et documents de la vie populaire » (9 nos de juin à octobre 1932), qui suscita une polémique avec Paul Vaillant-Couturier.
Poulaille dut subir des attaques de Jean Guéhenno dans Europe, de Jean Fréville dans l’Humanité (au moment, pourtant, où il défendait Aragon dans l’affaire de Front rouge), et des mises en cause venues de l’intérieur du groupe lui-même : certains commencèrent à lui reprocher son « flou idéologique » et, tels Eugène Dabit ou Tristan Rémy, le quitteront pour l’AEAR, à laquelle Poulaille refusa catégoriquement d’adhérer.
En 1931 parut la première édition du Pain quotidien, dont Nouvel âge avait déjà donné des extraits. Premier volet d’une longue chronique, ce roman, dont l’action couvre les années 1903 à 1906, montre, d’une manière directe et singulièrement vivante, ce qu’était la vie quotidienne de l’ouvrier parisien, des siens, de son entourage, au début du siècle. Ce livre qui n’était pas autobiographique, mais fait de souvenirs d’enfance choisis avec attention et transposés, connut un grand succès.
Poulaille organisa en juillet 1932 dans les locaux de Georges Valois, la « Première exposition (internationale) de littérature prolétarienne et littérature non-conformiste », et, en juillet 1933, publia une nouvelle revue, Prolétariat, alors qu’en même temps l’AEAR faisait paraître Commune. Au comité de rédaction de Prolétariat : Henry Poulaille, Lucien Gachon, Léon Gerbe, Ludovic Massé, Édouard Peisson et Tristan Rémy. La revue, qui connaîtra elle aussi douze numéros jusqu’en juillet 1934, se voulait « revue d’expérimentation », « en dehors de toute politique de parti ». « Cela ne sous-entend pas, précisait la déclaration d’intention, que nous nous fermions à toutes responsabilités politiques... »
Ces débats de « boutiques littéraires », comme Poulaille les nommait, furent loin de l’absorber totalement. Et s’il n’entendait courir sous aucune bannière, on le vit néanmoins apporter son soutien dans l’affaire des syndicalistes américains Mooney-Billings (1931), militer en juin 1932 au Comité de défense des Nègres de Scottsborough (dirigé, pourtant, par Francis Jourdain*), publier et soutenir dans Prolétariat (n° 2, août-septembre 1933) l’Appel à la solidarité lancé par le SAP (Parti socialiste ouvrier d’Allemagne) contre la terreur fasciste en Allemagne, signer l’Appel à la lutte lancé par le groupe surréaliste au lendemain des événements du 6 février 1934. Si le nom d’Henri Poulaille n’apparaît pas dans les listes publiées par Vigilance à la suite du manifeste fondateur du CVIA, il en reçut régulièrement les circulaires et prit part à sa manière, à la diffusion de « l’appel à l’unité », en lui consacrant un numéro spécial de Prolétariat, supplément daté par erreur de mai 1933, en fait de mai 1934, qui contenait, entre autres documents, la plate-forme du CVIA.
Mais la grande affaire où il s’engagea alors, fut l’affaire Victor Serge*. Poulaille adhéra dès mars 1933, à l’annonce de la seconde arrestation de ce dernier, au Comité pour le rapatriement de Victor Serge constitué à l’initiative de Magdeleine Paz. Il ne se contenta pas de « suivre l’actualité » pour sa revue, mais adressa lui-même, en juin 1933, une Lettre ouverte à l’adresse de l’ambassadeur d’URSS à Paris, pour laquelle il recueillit une quarantaine de signatures, dont celles de Marcel Martinet, Eugène Dabit, Tristan Rémy, Augustin Habaru, André Malraux, Blaise Cendrars, Brice Parain, etc. On le trouve naturellement parmi les signataires de la lettre ouverte du Comité Victor Serge à Henri Barbusse de juillet 1933, le sommant de prendre position, et il rédigea pour le Peuple, l’organe de la CGT, un article intitulé : « Sous le régime stalinien. L’affaire Victor Serge » (10 octobre 1933). En mars 1935, Henry Poulaille réitéra son appel dans le Peuple : « SOS Victor Serge, écrivain prolétarien déporté en Sibérie, doit être libéré ! » (19 mars 1935). Il mit à profit la présentation d’une des nouvelles de Serge dans les Feuillets bleus (n° 295, 18 mai 1935), pour renouveler son SOS.
1935. Les accords Laval-Staline du mois de mai annonçaient pour Poulaille une nouvelle « union sacrée », et donc une nouvelle guerre, contre laquelle il ne cessa de se battre. Le Congrès pour la défense de la Culture tenu en juin finit, de son côté, de marquer les camps. Invité à ce congrès (lettres des 17 octobre 1934, 13 et 18 juin 1935, ces deux dernières signées de Louis Guilloux), Poulaille refusa néanmoins de s’y rendre : sa place — il ne cessait depuis trois ans de le dire — est aux côtés des prolétaires, et non des intellectuels, qu’il juge piégés dans cette affaire. Il n’était pas davantage prêt à céder aux nouvelles sirènes de Léon Lemonnier, qui, à la veille du congrès, se proposa soudain d’être le fédérateur d’un « Front littéraire commun » (L’Œuvre,14 mai 1935). Poulaille, pas plus que Tristan Rémy ou Aragon, ne se laissa prendre à cette tentative de diversion et lui répondit vertement. S’il se rendit toutefois à la Mutualité, le lundi 24 juin, en compagnie d’Édouard Peisson, Marcel Hasfeld, Marcel Ollivier et Charles Wolff, ce fut pour obtenir, comme il le rapporta dans « Un soir au Congrès pour la défense de la culture... » (les Humbles, n° 7, juillet 1935), que la question Serge y soit posée. Il en fut expulsé, avec ses amis, manu militari. Magdeleine Paz eut plus de succès le lendemain, non sans quelque brouhaha du côté des délégués soviétiques.
Désormais Poulaille se sentit « à contre-courant », titre qu’il choisit pour sa nouvelle revue parue dès le mois de juillet 1935, avec en sous-titre « revue mensuelle de littérature et de doctrine prolétarienne » et un comité de rédaction composé de Léon Gerbe, Lucien Gachon, Ludovic Massé, Édouard Peisson et J. Romagne (12 nos de juillet 1935 à octobre 1936). Comme hier à Monde, et du moment qu’il s’agissait de militer en faveur de la littérature prolétarienne, il accepta également de collaborer à Esprit, à l’invitation d’Emmanuel Mounier. Cinq cahiers-suppléments, dits « Cahiers de littérature prolétarienne », parurent de mars 1936 à septembre 1937. Il donna également sa participation à des pages spéciales de la Flèche (30 janvier 1937) ou au Libertaire (8 mars, 29 avril et 20 juin 1937).
Mais l’entreprise la plus originale dont on lui doit l’initiative fut sans conteste l’ouverture, en mars 1935, d’un « Musée du soir » (un mois, soulignons-le, avant le lancement par l’AEAR des Maisons de la culture), projet né au début du siècle, dans le sillage des Universités populaires, et dont Poulaille avait repris l’idée dès mai 1934 (l’Homme réel, n° 5). Il trouva alors la complicité active de René Bonnet, Édouard Peisson, Gaston Guiraud, J. Romagne, Ferdinand Teulé et Paul A. Löffler, qui l’animèrent de leur cœur et leurs convictions jusqu’à la guerre. Situé d’abord au 69 rue Fessart dans le XIXe arr., le Musée du soir s’installa ensuite 15 rue de Médéah dans le XIVe arr.
Pour autant Henry Poulaille n’avait pas abandonné le champ politique. Il adhéra en juillet 1935 aux « Amis du peuple chinois », créés trois mois auparavant par Étienne Constant, signa, au moment de la guerre d’Éthiopie, en réponse au manifeste « Pour la défense de l’Occident » (le Temps, 4 octobre 1935), le manifeste des intellectuels de gauche (L’œuvre, 5 octobre 1935). Il protesta, aux côtés d’autres « intellectuels français », contre l’assassinat d’Andrès Nin (la Flèche, n°83, 11 septembre 1937), puis, après s’être élevé contre le décret-loi du 2 mai 1938 « Pour le respect du droit d’asile ! » (la Flèche, 24 juin 1938), il fit partie de la Commission internationale pour l’aide aux réfugiés espagnols, patronnée en France par Paul Rivet. Il intervint en faveur de la libération de la veuve de l’anarchiste allemand Erich Mühsam, pour l’attribution du prix Nobel de la paix au journaliste allemand Carl von Ossietzky, pour la défense de la liberté de la presse aux USA (en l’occurrence de la revue anarchiste Man !).
Cependant Poulaille se préoccupa plus particulièrement de deux questions, celle de la Russie soviétique et celle de la lutte contre la guerre. Dès mai 1935 (Le Semeur de Normandie, 18 mai 1935) il rejoignit le Comité International contre la répression anti-prolétarienne en Russie constitué à Bruxelles au mois de mars, et entra, à l’automne 1936, au Comité pour l’enquête sur le [bientôt « les »...] procès de Moscou et pour la défense de la liberté d’opinion dans la Révolution, formé à Paris. Il présida notamment le 10 décembre 1936, avec André Breton et Roger Hagnauer, une réunion à la Mutualité qui reçut comme invité d’honneur Léon Sedov (fils de Léon Trotsky), et Poulaille signa le même mois « l’Appel aux hommes » des Humbles.
Poulaille, auteur de Pain de soldat (1937) et des Rescapés (1938), signa dès mai 1935, dans la Révolution prolétarienne, la protestation contre les accords Laval-Staline, puis l’appel pour une Conférence nationale de tous les adversaires de la guerre et de l’Union sacrée (la Révolution prolétarienne, n° 200, 10 juin 1935). Il répondit, aux côtés de Breton, Alain, Marcel Martinet, Jean Giono, et d’autres, par le célèbre « Refus de penser en chœur » (La Flèche, 25 mars 1938) au manifeste des écrivains partisans de « l’union nationale » publié dans Ce soir, le 20 mars 1938, et qui avait recueillis l’approbation de Louis Aragon, Georges Bernanos, Colette, Jean Guéhenno, André Malraux, François Mauriac, Henry de Montherlant, etc. Il soutint encore l’appel de Giono, en septembre 1938, « Pour le désarmement universel », et signa le tract « Contre la guerre ! » que publièrent simultanément, en avril 1939, la Révolution prolétarienne et la Patrie humaine.
En juin 1939, il fit partie du Comité des amis de Piller (Gaston Leval*), condamné pour son insoumission en 1915, avec plusieurs militants anarchistes.
Avec son adhésion à la Fédération internationale de l’art révolutionnaire indépendant, constituée à l’issue du manifeste « Pour un art révolutionnaire indépendant » signé le 25 juillet 1938 par André Breton et Diego Rivera (en fait rédigé par Léon Trotsky) et publié notamment dans les Humbles, en octobre 1938, on a l’impression que pour Poulaille, une partie de son histoire (militante) se termine, et elle se serait peut-être terminée si la guerre ne s’en était mêlée.
Dès la déclaration de la guerre, Louis Lecoin* lança le fameux tract « Paix immédiate ! » que Poulaille, fidèle à sa détermination pacifiste, s’empressa de signer. Sa mobilisation semble l’avoir fait échapper à l’inculpation ; en tout cas, à la différence d’un certain nombre d’autres co-signataires, il ne se désista pas. Démobilisé en décembre 1939, il fut arrêté par les Allemands le 28 avril 1942 à son domicile à Vanves, sous l’inculpation d’appartenance au mouvement communiste, et fut interné au camp de Royallieu, près de Compiègne. Il échappa à la déportation en Allemagne grâce à des interventions rapides et diverses, dont celle, sans doute capitale, de son propre éditeur Bernard Grasset. Libéré le 1er mai 1942, il fut sommé de comparaître le 9 juin suivant devant le tribunal militaire de Périgueux pour « infraction aux décrets de la Censure » pour ce même tract « Paix immédiate ! ». Le tribunal préféra, le 11 juin, prononcer sa relaxation plutôt que de démêler l’imbroglio juridique.
De 1945 à 1948, il publia la revue littéraire Maintenant à laquelle Germain Delatousche* et Jean Lebedeff* donnèrent des illustrations.
Poulaille choisit alors une position de repli et se consacra à sa nouvelle passion, le folklore. Repli relatif, comme en témoigne sa correspondance en faveur d’amis menacés des mêmes tracasseries que lui. À la Libération, il prit la défense de ceux qui l’avaient sauvé : son éditeur Bernard Grasset, arrêté le 5 septembre 1944 et finalement gracié le 29 octobre 1953, et le directeur de l’Institut allemand sous l’Occupation, Karl Epting, traduit devant le tribunal militaire de Paris le 28 février 1949 et acquitté.
Toujours rétif à tout ce qui pourrait ressembler à un embrigadement, Poulaille ne fut pas pour autant absent des grandes causes de l’après guerre. En avril 1951, il s’associa à la campagne menée par Combat pour sauver Willie Mac Gee de la chaise électrique. Puis il s’insurgea contre la guerre menée par la France en Indochine, apportant parmi les premiers, et aux côtés de Louis Guilloux, son soutien aux « Forces libres de la paix ». À cause de sa défiance vis-à-vis des intellectuels, il ne fut pas contacté pour signer le « Manifeste des 121 », ce qui, tous ses proches le confirment, fut l’un de ses grands regrets. Mais en février 1963, il signa la « Lettre au président de la République » de Louis Lecoin pour la reconnaissance du statut d’objecteur de conscience (Liberté, 1er mars 1963). Enfin il fut parmi les signataires (dont de prestigieux intellectuels) du Comité international pour la libération de Léonid Pliouchtch (Nouvel Observateur, 20 octobre 1975).
Dans les dernières années de sa vie, Henry Poulaille s’employa à rassembler ses « Souvenirs » et tenta, comme pour un bouquet final, de réunir l’ensemble de ses articles, conférences et préfaces pour la défense de la littérature prolétarienne. Ils devaient constituer un Nouvel âge littéraire, tome II. Il mourut, le 30 mars 1980, sans que ces projets, pourtant très avancés, n’aient pu voir le jour.
Par Jean-Paul Morel, notice complétée par Marianne Enckell
ŒUVRE CHOISIE : Collaborations aux revues citées. — Ils étaient quatre, Grasset, 1925 (réédition Amiens, Le goût de l’être, 1986). — L’Enfantement de la Paix, Grasset, 1926. — Le Pain quotidien [1903-1906], Valois, 1931 (réédition Grasset, 1986]. — Les Damnés de la terre [1906-1910], Grasset, 1935. — Pain de soldat [1914-1917], Grasset, 1937 (rééd. 1995). — Les Rescapés [1917-1919], Grasset, 1938. — Ahasvérus dans l’anonymat glorieux, Éd. du Midi/L’Amitié par le livre, 1974. — Seul dans la vie à quatorze ans. Le feu sacré [1911-1914], Stock, 1980, suivi de Vivre sa vie et Fin d’époque, restés inédits. — Pain de cendres [1921-1928], inachevé. — Souvenirs d’un demi-siècle (inédit). — Nouvel âge littéraire I, Valois, 1930 (réédition, Bassac, Plein chant, 1986] — La Littérature et le peuple, Nouvel âge littéraire II [1910], Les Humbles, Paris, 1937. — Mon ami Calandri, Spartacus, 1970. — La Littérature et le peuple, Nouvel âge littéraire III, Bassac, Plein Chant, 2013.
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