Par Nicole Racine, Rolf Dupuy
Né le 27 avril 1887 à Albas (Lot), mort le 14 juillet 1979 à Genève (Suisse) ; typographe, correcteur, poète ; militant anarchiste , insoumis pendant la Première Guerre mondiale, pacifiste, fondateur et directeur des Tablettes (1917-1919).
Fils d’un receveur des contributions indirectes établi à Paris en 1888, Jean Salives fut confié, à l’âge de six ans, à l’orphelinat Prévost à Cempuis (Oise), dirigé par Paul Robin, après le départ de sa mère du domicile conjugal. Il en sortit à seize ans, ayant appris le métier de typographe, marqué par les idées libertaires.
À partir de 1903, il travailla d’abord comme apprenti à Paris. Puis en 1907, il s’embaucha à l’Anarchie où il côtoya Libertad, Mauricius, Georges Paraf-Javal, André Lorulot, Sébastien Faure et enseigna à plusieurs compagnons - dont Bernard Godorevsky - le métier de typographe. Cette même année 1907 il rejoignit la petite communauté anarchiste internationale d’Aiglemont, dans les Ardennes, créée par Fortuné Henry. Il y composa des brochures anarchistes.
Incorporé le 6 octobre 1908, il déserta le 3 novembre 1908 de sa caserne de Vendée. Ce fut le début d’une longue insoumission et illégalité, d’une vie de vagabond durant laquelle il dut changer de noms et de métiers.
Passé en Belgique, il revint en France à Lens (Pas-de-Calais) où il trouva une place de typographe chez Benoît Broutchoux, de la fin de 1908 à la fin de 1909, et écrivit ses premiers articles dans le Journal du Peuple. Arrêté à Lille lors d’une manifestation en faveur d’un camarade incarcéré, il fut condamné à un mois de prison. Il mena alors une vie errante sous différents pseudonymes : Trivaux, Prevel, Béhier, Malaise. Ayant trouvé un emploi à l’hôtel de ville, il dut l’abandonner à la suite des arrestations consécutives à l’affaire Jules Bonnot.
En 1912, il rencontra "Marcelle" (Marie Jamet, 1886-1980), la cousette qui deviendra la compagne de sa vie (ils se marièrent à Lausanne le 19 mai 1923). Il passa ensuite en Suisse, travailla comme typographe à Lausanne, puis à Genève où il prit le pseudonyme de Claude le Maguet. À la déclaration de guerre, il resta fidèle à « l’internationalisme prolétarien » selon sa propre expression.
Claude Le Maguet fit bientôt partie des milieux pacifistes et rencontra Frans Masereel, Henri Guilbeaux, Pierre-Jean Jouve, René Arcos, Romain Rolland, Paul Birukoff, J. Humbert-Droz. En 1916, peu après la création de la revue « zimmerwaldienne » Demain (Genève, 1916-1919), et sur les conseils de son fondateur Henri Guilbeaux, il fonda, avec F. Masereel, Cécile Noverraz et Albert Ledrappier, la revue les Tablettes (Genève) dont le premier numéro parut en octobre avec un dessin de Masereel. Nées pour dénoncer la guerre, les Tablettes voulaient s’adresser à un public plus large que celui de Demain ; et, à la différence de cette revue, les Tablettes n’adhérèrent jamais aux idées zimmerwaldiennes ni au programme bolchevique. Le Maguet refusa le secrétariat de Demain. Sa revue, marquée d’abord par les idées anarchistes, se rattacha à la philosohie de la non-violence inspirée par Tolstoï qu’il avait lu avant la guerre, notamment « La Loi de violence ou d’amour ». En témoigne un beau numéro consacré à Tolstoï en juin 1917, orné d’un bois gravé de Masereel et le texte de Tolstoï « Le patriotisme et la paix » (n°23).
Des textes d’une rare qualité littéraire parurent dans les Tablettes : poèmes de Pierre-Jean Jouve tirés de la Danse des morts (1917), de Marcel Martinet tirés des Temps maudits, de Le Maguet lui-même. Romain Rolland y publia une « Adresse à Gorki » (août 1917) et le jeune Jean de Saint-Prix, dans le même numéro, sa « Lettre aux Suisses », signée Jean-Louis. Les Tablettes cessèrent de paraître en janvier 1919 (numéro 27). « Ce fut la plus libre, la plus noble, la mieux rédigée et la mieux présentée de ces revues protestataires » écrivit M. Martinet en septembre 1919.
Claude Le Maguet collabora également aux journaux suisses la Voix du Peuple depuis 1912, le Réveil, la Feuille (Genève, 28 août 1917 à 14 août 1920, quotidien puis hebdomadaire) de Jean Debrit (articles non signés jusqu’à la fin de la guerre) et illustré par Masereel, et en France aux Cahiers idéalistes et aux Humbles (Roubaix, 1913-1914, puis Paris, 1916-1940) de Maurice Wullens.
En 1920, Claude Le Maguet entra comme correcteur à la Société des Nations. En 1939, il fut mis à la retraite pour maladie. Convalescent, il retourna en France à la déclaration de guerre, ne voulant pas faire figure de réfractaire dans une guerre contre le fascisme. Il fut emprisonné à Lyon, puis à la caserne de Quimper. De retour à Genève, il fut, selon ses propres mots, « happé par la poésie ». Il collabora toutefois à Liberté (Paris, 1958-1971) de Louis Lecoin et aux Cahiers de l’Humanisme libertaire (Paris, 1963-1976) de Gaston Leval.
Le Maguet, qui était père d’une fille (Odette Suzanne Salives, 1913-2006), est mort à Genève le 14 juillet 1979.
Par Nicole Racine, Rolf Dupuy
ŒUVRE : Les Anarchistes et le cas de conscience, Paris, Librairie sociale, 1921. — Anthologie des écrivains réfractaires de langue française, Les Humbles, août-octobre 1927. — Un ouvrier de poésie : Claude Le Maguet (Anthologie Vers et proses), La Tour de Feu, n° spécial, cahier 105, mars 1970.
SOURCES : Arch. Nat. F7/13475, Suisse, décembre 1917-année 1918. — M. Martinet, « Une revue libre en Suisse pendant la guerre, les Tablettes », La Vie ouvrière, 17 septembre & 28 novembre 1919. — Manuel Devaldès, Anthologie des écrivains réfractaires de langue française, Les Humbles, 1927. — R. Rolland, Journal des années de guerre (1914-1919), Paris, Albin Michel, 1952. — Michel Boujut, Claude Le Maguet ou l’itinéraire exemplaire, La Tour de Feu, 1970. — Daniel Leuwers, « Il y a soixante ans, l’aventure de la revue les Tablettes », Journal de Genève, 10 juillet 1976. — Entretien avec Claude Le Maguet, 15 mai 1976. — Journal de Genève, 17 et 21-22 juillet 1979 (I. M. [Isabelle Martin] « Hommage à Claude Le Maguet ») — R. Bianco, "Un siècle de presse...", op. cit. — J.P. Sarton, "Albert Libertad, sa vie, son oeuvre ou l’anarchie du vivant de Libertad", maîtrise, Paris X Nanterre, UER d’histoire, octobre 1974 — Société genevoise de généalogie. — Notes de T. Bertrand et M. Enckell — Archives départementales du Lot. État civil. Archives de Paris — Registre matricule 474, classe 1907, 4e bureau.