Par Jean-Michel Brabant, Claude Pennetier, notice revue par Anne Steiner et Guillaume Davranche
Né le 10 mars 1887 à Rouen (Seine-Inférieure), mort le 10 juin 1938 à Paris XXe arr. ; colporteur, puis ouvrier en voiture ; anarchiste individualiste puis « soviétiste », puis syndicaliste communiste, puis trotskyste.
D’abord anarchiste individualiste, Alexandre Lebourg joua un rôle de premier plan dans la première tentative, d’essence libertaire, de créer une section de l’Internationale communiste en France.
Individualiste et antimilitariste résolu
En 1908, Alexandre Lebourg essaya, avec Léon Torton*, de créer en Normandie un groupement affilié à la Fédération anarchiste (voir Marceau Rimbault).
Cette année-là, il fut arrêté pour avoir distribué des brochures antimilitaristes alors qu’il passait en conseil de révision pour le service militaire. Incorporé au 94e bataillon d’infanterie, à Bar-le-Duc (Meuse), il déserta en septembre 1909 et se réfugia en Belgique. En décembre, le conseil de guerre le condamna par défaut à deux ans de prison. À Liège, Lebourg fréquenta le milieu des insoumis et libertaires français en exil, et écrivit à E. Armand qu’il souhaitait écrire dans l’anarchie.
A Liège il fut condamné à quinze jours de prison pour port de faux papiers, puis visé par un arrêté d’expulsion. Il passa bientôt en Allemagne, où il aurait également été déclaré indésirable.
Rentré clandestinement en France, il vécut quelque temps, sous le nom d’Alexandre Leroy, dans la communauté individualiste de Romainville, avec entre autres Raymond Callemin* et Édouard Carouy*, les futurs « bandits tragiques ». Il y fut typographe pour l’anarchie et organisa quelques causeries à Rouen et à Saint-Étienne-du-Rouvray (Seine-Inférieure).
Le 26 juin 1911, il fut arrêté suite à une rixe à la mairie de Paris 10e, puis condamné par défaut, en correctionnelle, à quatre mois de prison pour « rébellion ».
Durant l’affaire de la « bande à Bonnot », la police perquisitionna les locaux de l’anarchie et y découvrit le livret militaire de Lebourg. Le 30 mars 1912, il fut arrêté à Paris 13e et fut remis en liberté le 4 avril, après avoir fait opposition à sa condamnation de l’année précédente. Le 20 avril, la condamnation fut confirmée, mais Lebourg ne s’était pas présenté à l’audience. La police se remit à le pister.
Il fut de nouveau arrêté le 2 août, et cette fois expédié à la maison d’arrêt de Bar-le-Duc, puis devant le conseil de guerre, à Châlons-sur-Marne (Marne). Le 9 septembre, durant son transfert, il essaya sans succès de prendre la fuite. Le 17 octobre, le conseil de guerre le condamna à trois ans de travaux forcés pour désertion en temps de paix. Il purgea sa peine en Algérie, au bagne militaire.
Pendant ses années à « Biribi », Lebourg correspondit avec E. Armand. Dans une lettre de janvier 1914, il exprimait son désarroi : « Oui, tu as raison, le refuge dans un tel milieu, c’est bien une profonde et intense vie intérieure, c’est le seul moyen de garder l’équilibre. Et de ne pas se laisser contaminer par l’ambiance. Je réagis le plus possible et j’arrive ainsi à ne pas me laisser contaminer mais cela est parfois assez difficile. Il faut passer pour un imbécile en ne voulant pas adopter le point de vue d’honneur des détenus. Je n’aurais pu croire qu’il existe un milieu aussi dépravé. À part d’heureuses mais rares exceptions les détenus militaires ne valent pas grand chose. »
Durant la guerre, il fut incorporé au 2e régiment des zouaves et envoyé au front. Fait prisonnier et interné au camp d’Altengrabau, en Allemagne, il rédigea et dupliqua à 40 exemplaires un journal intitulé Pensées libres. En 1915, il écrivit à Armand qu’il n’avait pas changé et qu’il faisait de sa personnalité son seul dieu — ou plutôt son seul culte.
En juin 1918, il fut transféré dans un camp médical en Suisse, où les prisonniers étaient soumis au travail obligatoire. En novembre 1918, à l’occasion de l’armistice, il participa à un refus collectif de travail. Incarcéré à Genève, il fut ensuite rapatrié en France, mais toujours pas démobilisé.
En janvier 1919, il écrivit à Mauricius, l’assura de son soutien face aux « calomnies », et l’interrogea : « Ne penses tu pas qu’il serait temps de faire reparaître l’anarchie ? Je pense au canard du début, à l’anarchie de Libertad et je songe à l’immense travail qu’il pourrait faire dans les circonstances actuelles. »
Pionnier du « soviétisme »
Dès mars 1919, Lebourg avait pourtant répudié l’individualisme, puisque qu’il était secrétaire du groupe rouennais des pionniers de L’Internationale, le journal de Raymond Péricat. Le 11 avril, il fut de nouveau emprisonné dans les locaux disciplinaires du 3e régiment d’Infanterie à Rouen, pour désertion à l’intérieur. L’autorité militaire le présentait alors comme : « Instruit, intelligent, très calme, très maître de lui. »
Le 30 mai 1919, le Comité de défense syndicaliste (CDS, voir Paul Veber), dirigé par Péricat, annonça son adhésion à la IIIe Internationale et sa transformation en Parti communiste. L’Internationale en devint l’organe officieux, et ses pionniers en formèrent les premières sections (nommées « soviets »). Le PC, qui eut bientôt environ 3 500 adhérents, associait des socialistes, des anarchistes et des syndicalistes sur la base du soutien à la Révolution russe, et tenta de produire une doctrine nouvelle : le soviétisme. En réalité, les éléments socialistes et libertaires cohabitèrent mal au sein PC, et les divergences éclatèrent lors de son Ier congrès, tenu à Paris du 25 au 28 décembre 1919. Contre un projet de statuts jugé trop centraliste déposé par Ernest Girault*, un contre-projet rédigé par Lebourg, Émile Chauvelon, Émile Giraud* et Louise Roblot fut adopté à une majorité des deux tiers. L’organisation fut rebaptisée Fédération communiste des soviets (FCS), Marius Hanot en fut élu secrétaire, et Lebourg secrétaire adjoint. La FCS et son organe, Le Soviet, devaient vivoter jusqu’en mai 1921.
Une minorité restait cependant mécontente de la nouvelle orientation. Le 6 février 1920, une scission emmenée par Sigrand, Lacoste, Fabre, Girault et Henri Bott* recréait le PC et son organe Le Communiste, qui devaient subsister jusqu’en mars 1921. Alexandre Lucas* en fut le secrétaire et Lagru* le trésorier.
Lebourg habitait alors au 25, rue de la Villette, au Pré-Saint-Gervais. Perquisitionné le 1er avril en même temps qu’Émile Giraud*, le gérant du Soviet, il fut arrêté le 17 mai et inculpé dans le cadre du « complot contre la sûreté de l’État » (voir Marius Hanot). Placés en détention préventive, les 12 inculpés du complot comparurent devant les assises le 28 février 1921 et furent acquitté le 17 mars.
Syndicaliste communiste
Alexandre Lebourg s’engagea alors dans l’action syndicale au sein des Comités syndicalistes révolutionnaires, et devint secrétaire du syndicat des ouvriers en voiture de la Seine. Le 8 mai 1921, il prit la parole au nom de l’UD-CGT de la Seine lors du grand rassemblement contre la guerre au Pré-saint-Gervais. Il était, parallèlement, secrétaire du comité du Pré-Saint-Gervais-Les Lilas des Amis de la Russie, et semble avoir été adhérent au PCF dès cette époque.
Lors du congrès extraordinaire des syndicats minoritaires, tenu du 22 au 24 décembre 1921 à Paris, Paul Veber fut élu secrétaire et Alexandre Lebourg secrétaire administratif appointé du comité central des CSR, en remplacement de Pierre Besnard. L’apprenant, un syndicaliste de Longwy, Auguste Mougeot* écrivit aussitôt à Pierre Monatte pour le mettre en garde : Lebourg avait selon lui « toujours vécu aux crochets des copains. Ici nous l’appelions le “bourreur”, c’est un des dégoûtants, tant au point de vue moral qu’au physique, un soit disant anarchiste que j’ai connu tout comme Boudoux il n’a qu’un but, ne pas travailler. » (lettre du 22 janvier 1922). Les CSR cependant furent dissous vers février 1922, une fois établi que la scission confédérale était définitive. Lebourg se retrouva à la CGTU, dans la tendance Monmousseau.
Durant le premier semestre 1922, Alexandre Lebourg fut un des organisateurs de la fédération CGTU de la Voiture-Aviation, dont Léon Scheiber fut désigné secrétaire appointé, et Lebourg secrétaire adjoint. À l’occasion, il fut délégué par le bureau confédéral de la CGTU dans diverses manifestations. En mai, il fut un des principaux animateurs de la grève de l’usine Citroën, quai de Javel.
Du 25 juin au 1er juillet 1922, Lebourg fut délégué au Ier congrès confédéral de la CGTU à Saint-Étienne par les ouvriers en voiture de la Seine, de Marseille, de Lille et de Moulins. Au cours d’une séance, il eut une violente altercation avec Henri Sirolle, allant jusqu’à échanger des coups de poing.
Après Saint-Étienne, il arriva à Lebourg de siéger au comité confédéral national de la CGTU, au titre de la fédération de la Voiture-Aviation. Les 25 et 29 mars, il fut délégué au congrès des usines métallurgiques organisé par la CGTU.
Cependant, la fédération de la Voiture-Aviation vivait des heures difficiles, ne parvenant pas à trouver ses marques vis-à-vis de la fédération des Métaux. Ses effectifs régressaient, et l’appointement de son secrétaire dut être supprimé. Scheiber retourna donc à l’atelier, ce qui accéléra la décrépitude de la fédération. C’est le constat qui fut fait lors du congrès des 13 et 14 août 1923 au Mans (Sarthe), où seuls 14 syndicats sur 28 étaient représentés. Malgré tout, les congressistes repoussèrent la perspective d’une fusion avec les Métaux. Un nouveau bureau fédéral fut ensuite élu en remplacement de Scheiber et Lebourg.
Alexandre Lebourg semble alors avoir recentré son activité sur la section PCF de Bagnolet, où il habitait désormais.
En 1931, devenu trotskyste, il était secrétaire du groupe de Bagnolet de la Ligue communiste (LC). En avril, il intervint dans un meeting à Paris en avril avec Albert Cornette, Georges Paget et Alfred Bernard. De mai à octobre, il fut membre de la commission exécutive de la LC. En février 1934, il militait toujours dans le groupe de Bagnolet. Alexandre Lebourg se maria le 25 février 1938 à Bagnolet, où il habitait depuis au moins 1925.
Par Jean-Michel Brabant, Claude Pennetier, notice revue par Anne Steiner et Guillaume Davranche
SOURCES : Arch. Nat. F7/13022, 13091, 13831, fonds Armand (IFHS) 14AS485. — Arch. PPo, dossier Mauricius. — Le Matin du 31 mars, du 10 septembre et du 18 octobre 1912. — L’Humanité de 1921 à 1923 — La Vérité des 3 avril, 12 juin 1931 et 23 février 1934. — Robert Hirsch, « Le mouvement trotskyste de 1929 à 1933 », mémoire de maîtrise, Paris-I, 1974. — Annie Kriegel, Aux origines du communisme français, 1914-1920, Mouton & Co, 1964. — Syndicalisme révolutionnaire et communisme, les Archives de Pierre Monatte, Maspéro, 1968. — Pierre Berthet, « Les libertaires français face à la révolution bolchévique en 1919 : autour de Raymond Péricat et du Parti communiste », mémoire de maîtrise, Paris-IV, 1991. — Etat civil.