TOTI Henri [Pierre, Henri, Marius, dit] [Dictionnaire des anarchistes]

Par Antoine Olivesi, Guillaume Davranche

Né le 4 février 1882 à Toulon (Var), mort le 12 février 1955 à Marseille (Bouches-du-Rhône) ; cheminot puis employé ; syndicaliste et anarchiste, puis communiste, puis socialiste-communiste.

Militant ouvrier de grande valeur, Toti adoptait volontiers une posture rassembleuse, quitte à faire le grand écart entre ses engagements et à brouiller son image. Figure de la minorité révolutionnaire des cheminots au sein de la CGT, Henri Toti fut aussi un des animateurs de l’anarchisme en région lyonnaise, cherchant à réconcilier communistes et individualistes. Résistant à la guerre et à l’union sacrée, il fut secrétaire provisoire de la CGTU à sa création, se classant dans la tendance syndicaliste « pure », tout en étant adhérent du PCF.

Figure de la minorité révolutionnaire des cheminots

Henri Toti (parfois orthographié par erreur Totti) était originaire d’une famille corse de la région de Corte. Son père était ébéniste à Toulon.

Étudiant au séminaire à Bastia, il fut dispensé de service militaire en 1902 en tant qu’« élève ecclésiastique ». Il fut finalement incorporé au 163e régiment d’infanterie le 14 novembre 1903. Il fut cependant réformé n°2 par la commission spéciale d’Ajaccio dès le 9 janvier 1904 pour « ectopie testiculaire ».

Devenu cheminot à Marseille pour la compagnie du Paris-Lyon-Méditerranée (PLM), il rejoignit la CGT, et se classa dans la minorité révolutionnaire du Syndicat national des chemins de fer.

Du 10 au 12 décembre 1909, il prit la parole au congrès extraordinaire du Syndicat national à Paris, qui se conclut par une forte poussée de la minorité révolutionnaire et la démission du vieux dirigeant réformiste Eugène Guérard. Dans la foulée, il fut très actif dans la préparation de la grève de 1910. Entre juillet et août, il multiplia les réunions, suscitant de nombreuses adhésions à Annemasse, Thonon et Évian (Haute-Savoie) et, le 26 juillet, fit voter le principe de la grève générale.

Quand la grève des cheminots éclata, en octobre 1910, il anima le mouvement dans la Loire. À Saint-Étienne, il présida un meeting de grévistes qui dégénéra en violentes échauffourées : emmenés par Toti et Jean-Baptiste Rascle, les cheminots tentèrent de prendre la gare d’assaut et 2.000 manifestants ébauchèrent des barricades. Le 17 octobre, Toti, en sa qualité de délégué du comité de grève du PLM, fut arrêté et traduit devant la cour d’assises de Montbrison. Il fut révoqué de son emploi par le PLM et ne fut pas réintégré avant la fin de la Grande Guerre. Cela ne l’empêcha pas de continuer à militer au sein du Syndicat national des chemins de fer.

En janvier 1911, il fut, au congrès régional PLM, l’un des principaux opposants à Bidegarray, le successeur de Guérard à la tête du Syndicat national. Il lui imputa l’échec de la grève d’octobre, mettant en cause son réformisme et lui reprocha d’avoir ouvert le Comité national de grève au député socialiste Albert Thomas.

Durant la grève des terrassiers de Lyon, qui dura d’avril à juillet 1911, Toti vint soutenir les grévistes aux côtés d’Alexandre Cudet, Léon Jouhaux, Georges Yvetot et Sébastien Faure.

Du 2 au 5 août 1911, les révolutionnaires eurent pour la première fois la majorité au congrès du Syndicat national des cheminots, qui vota une refonte des statuts. Le projet prévoyait que le Syndicat national des chemins de fer devait se transformer en Fédération nationale des transports par voie ferrée (FNTVF), au sein de laquelle chaque réseau ferré aurait davantage d’autonomie. D’autre part, l’organisation syndicale devait transporter son siège du 38, rue Notre-Dame-de-Nazareth à Paris 3e, pour s’installer dans l’immeuble confédéral de l’impasse de la Grange-aux-Belles, à Paris 10e, et entrer en négociation pour une fusion avec la Fédération des transports. Malgré cela, le conseil d’administration resta aux mains des réformistes, qui s’empressa de violer la résolution du congrès. Dès sa réunion du 17 septembre 1911, il refusa, par 23 voix contre 19, d’entériner les changements de statuts votés par le congrès.

Cette péripétie entraîna une crise dans le Syndicat national des chemins de fer. Plusieurs syndicats firent scission et, en application des décisions du congrès, se constituèrent en FNTVF. En novembre 1911, Henri Toti effectua une tournée dans l’Ain, le Jura, l’Isère et la Haute-Savoie pour prôner la scission. Mais il ne semble pas qu’il soit parvenu à constituer la FNTVF sur le réseau PLM.

Animateur de l’anarchisme à Lyon

En 1912-1913, Toti était un des principaux animateurs du mouvement anarchiste et syndicaliste sur Lyon, et anima un journal intitulé L’Émancipation anarchiste, domicilié 17, rue Marignan. Responsable du Comité de la jeunesse syndicaliste intercorporative, il était également membre de la section locale du Comité de défense sociale (CDS, voir Jean-Louis Thuillier). Il s’impliqua fortement dans la campagne pour la libération d’Émile Rousset et, le 8 septembre 1912, présida un meeting en sa faveur au côté de Benoît Broutchoux. Il fit aussi campagne contre la guerre et les trois ans, prenant part à un meeting CGT le 17 novembre 1912 avec Georges Dumoulin et à un autre, le 1er juin 1913, avec Alphonse Merrheim. Après la dispersion du rassemblement qui se tint dans un terrain vague du quartier de Grange-Rouge, 600 manifestants marchèrent vers le centre de la ville mais furent dispersés par la police.

Toti fut un des organisateurs du congrès régional tenu à Lyon les 1er et 2 novembre 1913, qui constitua la fédération anarchiste du Sud-Est. Celle-ci n’adhéra pas formellement à la Fédération communiste anarchiste révolutionnaire (FCAR), mais plusieurs de ses groupes le firent. Henri Toti fut désigné secrétaire provisoire de cette fédération régionale qui eut son siège au 17, rue de Marignan. Rassembleuse, l’union régionale du Sud-Est se déclara à la fois communiste et individualiste — « intégraliste » expliqua Toti dans Le Libertaire du 22 novembre 1913, inventant une formule préfigurant le synthésisme.

Résistant à la guerre et à l’union sacrée

Non mobilisé en août 1914, il fut reconnu bon pour le service armé par le conseil de révision du Rhône central le 2 décembre 1914, et affecté au 17e régiment d’infanterie. Il rejoignit son corps le 27 février 1915 mais, dès le 11 mars, il fut classé dans le service auxiliaire par la commission spéciale du Rhône, toujours en raison de son problème testiculaire.

Le 10 octobre 1916, il fut détaché à l’usine de la Société d’éclairage électrique à Lyon. Il habita alors au 114, rue Molière. En octobre 1916, il cofonda la section lyonnaise du Comité pour la reprise des relations internationales (CRRI) et en fut le trésorier, Nicolas Berthet en étant le secrétaire et Henri Bécirard le secrétaire adjoint.

La police, qui surveillait ses activités, le fit éloigner de Lyon. Le 6 janvier 1917, il fut affecté spécial comme facteur à la compagnie des chemins de fer PLM, à Ambert (Puy-de-Dôme). Le socialiste Granjean le remplaça alors comme trésorier du CRRI lyonnais. Puis, le 24 juillet 1917, Henri Toti fut affecté à la 2e section des chemins de fer de campagne, et y resta jusqu’à la fin de la guerre.

Syndicaliste « pur » et secrétaire provisoire de la CGTU

À la fin de la guerre, Toti réintégra le PLM. Secrétaire adjoint du syndicat des cheminots des Bouches-du-Rhône, il joua un rôle important lors des grèves de 1919-1920. En septembre 1919, il se prononça pour la grève révolutionnaire. Il était alors membre du Parti communiste de Raymond Péricat et du Comité de la IIIe Internationale

Du 15 au 21 septembre 1919, il fut délégué au congrès confédéral de Lyon, et vota contre le rapport moral, mais approuva la motion d’orientation. L’année suivante, au congrès confédéral d’Orléans, il devait expliquer qu’il la considérait comme « profondément lutte de classe » : « me détachant du noyau minoritaire, j’ai voté cette résolution, j’ai fait confiance au bureau confédéral ».

En décembre, au congrès de l’UD-CGT à Aix-en-Provence, il exalta la Russie révolutionnaire.

En février-mars 1920, il participa activement à la grève des cheminots du PLM. Le 3 mai, il fut arrêté après une bagarre à l’issue d’un meeting tenu au jeu de boules Tour-Eiffel, à Marseille. Écroué à la prison Chave, il fut placé dès le 5 mai au régime politique. Son arrestation provoqua de vives réactions à Marseille où les élus du conseil municipal et la moitié des conseillers généraux votèrent un blâme au gouvernement.

Révoqué le 7 mai du PLM, il fut transféré le lendemain à la Santé, à Paris, où il fut impliqué dans l’affaire du « complot contre la sûreté de l’État » (voir Marius Hanot). De là, avec Henri Sirolle, Marcel Delagrange, Jacques Sigrand, Jean-Baptiste Chaverot, Maurice Gauthier et Gustave Courage, il cosigna une lettre accusant la direction confédérale de la CGT de trahir la grève des cheminots.

Toti devait bénéficier d’un non-lieu le 27 novembre 1920, mais il fut mis en liberté provisoire dès le 2 juillet. Dès sa libération, il reprit son activité militante. Le 27 août 1920, il participa à un congrès marseillais des minoritaires de la CGT, regroupant 27 syndicats. Avec François Mayoux et Roubaud, il se prononça pour l’adhésion à l’Internationale syndicale rouge (ISR) et contribua à rédiger une motion dans ce sens, au nom de la charte d’Amiens.

Délégué au congrès confédéral CGT d’Orléans, du 27 septembre au 2 octobre 1920, Toti défendit les thèses révolutionnaires tout en prenant soin de préserver l’unité ouvrière. Il ne manquait pas de tendre la main aux majoritaires, en les invitant à revenir à la lutte de classe.

En février 1921, Toti fut l’un des signataires du Pacte des « syndicalistes purs » et anarchisants (voir Pierre Besnard) et, en mars, il fut élu secrétaire de l’UD des Bouches-du-Rhône. Durant l’année, il adhéra également au Parti communiste-SFIC, tout en conservant ses opinions anarchistes.

Du 25 au 30 juillet 1921, il participa au congrès confédéral de Lille de la CGT dans la délégation cheminote minoritaire conduite par Pierre Semard.

Quand la scission syndicale fut finalement consommée, lors de l’assemblée extraordinaire de la minorité tenue du 22 au 24 décembre 1921 à Paris, Toti fut élu au bureau provisoire de ce qui allait devenir la CGT unitaire (CGTU), avec deux autres syndicalistes dits « purs » : Paul Cadeau et Labrousse. Sur les 19 membres de la commission administrative provisoire,

De son poste, Toti prépara activement le congrès confédéral fondateur, et collabora à la rédaction d’un projet de statuts largement influencé par l’anarchisme (voir Pierre Besnard).

Du 10 au 12 mars 1922, il fut délégué par la CGTU au congrès de l’Union syndicale italienne (USI) à Rome, où se discuta l’adhésion de l’USI à l’ISR. On l’accusa par la suite d’y avoir poussé l’USI à tourner le dos à l’ISR, ce qu’il nia fermement. À Moscou, on exigea son exclusion du PCF.

Avec Pierre Besnard et Louis Lecoin, Henri Toti fut délégué comme observateur par la CGTU à la Conférence syndicale révolutionnaire internationale qui se tint à Berlin du 16 au 19 juin 1922. Tous trois participèrent aux débats et Toti présida même une séance. De nouveau, la tendance Monmousseau leur reprocha de vouloir saboter l’ISR.

Le 25 juin 1922, Henri Toti prononça le discours inaugural au congrès fondateur de la CGTU à Saint-Étienne, dont il fut un des principaux protagonistes. Tout en défendant un syndicalisme « anti-étatique par essence », dans un style très imagé et truffé de références historiques, il ne cessa d’exhorter les délégués au rassemblement, par-delà leurs divisions. « La polémique divise, la critique unit », affirma-t-il. Maurice Chambelland, qui assistait au congrès, le qualifia de « girouette » dans une lettre à Pierre Monatte. Après que le congrès ait donné la majorité aux syndicalistes pro-Moscou, Toti céda son poste de secrétaire de la CGTU en déclarant : « Je vous demande de vous servir constamment des idées et non pas des hommes. Vous avez un programme d’action opposé au nôtre ; ne commettez pas l’erreur d’exiger de nous que nous le défendions. »

Dans la foulée du congrès de Saint-Étienne, Henri Toti rejoignit le Comité de défense syndicaliste (voir Pierre Besnard), qui désormais structurait la minorité « anarcho-syndicaliste ».

Dissident du PCF

Le 10 janvier 1923, il fut parmi les fondateurs du Comité d’unité communiste, qui rejetait les conclusions du IVe congrès de l’Internationale hostiles à la franc-maçonnerie et à la Ligue des droits de l’homme. Il fut exclu du PCF le 16 janvier, avec l’ensemble des cosignataires d’un manifeste allant en ce sens. Entre-temps, il avait proposé à la commission exécutive de la CGTU d’assurer l’intérim du secrétariat général de la CGTU durant l’incarcération de Gaston Monmousseau (à cause de la campagne contre l’occupation de la Ruhr). La CE avait repoussé cette offre.

Le 2 novembre 1923, Henri Toti fut un des fondateurs du Parti communiste unitaire avec Ludovic-Oscar Frossard. Quelques jours plus tard, il assistait au congrès CGTU de Bourges. Après cette date, il ne joua plus de rôle dans le syndicalisme ni dans l’anarchisme.

Dans les années 1930, militant du Parti socialiste-communiste, il fut conseiller municipal de Marseille et fut l’auteur d’une œuvre littéraire en partie liée à la Corse. Sous l’Occupation, il participa à la Résistance. Pour le détail de l’itinéraire d’Henri Toti après 1923, consulter le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article154014, notice TOTI Henri [Pierre, Henri, Marius, dit] [Dictionnaire des anarchistes] par Antoine Olivesi, Guillaume Davranche, version mise en ligne le 18 mars 2014, dernière modification le 11 mai 2023.

Par Antoine Olivesi, Guillaume Davranche

ŒUVRE : Discours prononcé au congrès confédéral Saint-Étienne, éd. de la CGTU, 1922 ― Bianca Maria, Éditions des poètes latins― Angelo, Éditions des poètes latins, 1935 ― Notre Corse, Éditions des poètes latins, 1937 ― Hautes flambées, Éditions des poètes latins, 1937 ― Une fable humanisée : La Cigale et la Fourmi, Éditions des poètes latins, 1937 ― Sous le dôme des Invalides, pièce en trois tableaux et en vers (inédit) ; La Victoire sur la mort, 1947 (inédit) ― Le marxisme et les partis qui s’en réclament, 1955 (inédit) ― Grammaire corse, éd. Scola corsa, 1987.

SOURCES : Registres matricules de la Corse. ― Arch. Nat. F7/13015, 13586 et 14693. ― Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, V M2/276 et 282 ; M6/8322, 8430, 10801, 10806, 10814, XIV M 25/51. ― Arch. Dép. Haute-Savoie, 11 M. ― Arch. Dép. Loire, 92 M 164. ― Archives communales de Marseille. ― L’Humanité des 11, 12 et 13 décembre 1909. ― Le Petit Provençal, 14 décembre 1919, 4 mai et 30 novembre 1920. ― Le Libertaire du 22 novembre 1913. — G. Ribeill, Les Cheminots en guerre,1914-1920, CERTES, 1988. ― Maurice Labi, La Grande Division des travailleurs, Les Éditions ouvrières, 1964. ― Annie Kriegel, Aux origines du communisme français, Mouton & co, 1964. ― Georges Lefranc, Histoire du mouvement syndical français, Librairie syndicale, 1937. ― Danielle Moulinard, « Le Parti communiste à Marseille, naissance et débuts, 1919-1925 », mémoire de maîtrise d’histoire, université d’Aix-en-Provence, 1972 ― Patrick Barrau, « Le Mouvement ouvrier à Marseille, 1900-1914 », thèse de droit et sciences politiques, université d’Aix-Marseille, 1971. ― Antoine Olivesi, « Pour le centenaire d’un militant ouvrier corse oublié : Henri Toti (1882-1955) », in Études corses n° 18-19, Corte/Bastia, décembre 1982. ― Jean-Baptiste Nicolaï, Simon Sabiani, un « chef » à Marseille, 1919-1944, Olivier Orban, 1991. ― Rens. F. Chamand, F. Roux-Zola et J. Vaucoret. — François Ferrette, « Le Comité de la IIIe Internationale et les débuts du PC français », mémoire de maîtrise, université Paris-I, 2004.

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