ANTOINE Michel [dit Lux, Levieux, N’importe qui...] [Dictionnaire des anarchistes]

Par René Bianco, notice complétée par Rolf Dupuy

Né le 6 avril 1858 à Paris, mort le 8 décembre 1929 à Nice (Alpes-Maritimes) ; horticulteur puis commerçant ; anarchiste individualiste et illégaliste.

Fils du brocanteur Jean-Baptiste Antoine et de Marie Meillorat, sans profession, Michel Antoine déserta en 1879 du 65e Régiment de ligne après quatre mois de service militaire et se cacha sous le nom de Vignon avant de se réfugier en Angleterre, puis en Belgique. À propos du service militaire, il devait écrire par la suite : « L’anarchiste peut-il, doit-il consentir à devenir un outil de meurtre ? Pour moi je réponds : non, et rajoute que tout individu tant soit peu civilisé, instruit et initié au progrès des idées modernes, qui consent à jouer le rôle infâme et anachronique de soldat, n’est pas un homme dans le sens élevé qu’on doit donner à ce mot. Ce n’est qu’un vil esclave, une sale brute, et tous les sophismes n’y pourront rien changer. »

De retour en France, il accompagna régulièrement Louise Michel lors de ses conférences dans le quartier de Charonne où, selon la police, « il diffusait à profusion des brochures et écrits anarchistes ». Il fut arrêté le 19 juin 1889, condamné à deux ans de prison par le conseil de guerre, mais bénéficia trois mois plus tard d’une amnistie qui lui permit d’être libéré de la prison de Nîmes et de reprendre sa propagande.

Il s’installa alors à Paris XXe où il ouvrit un commerce de fleurs au 38, rue de Fontarabie. Celui-ci servit de lieu de réunion et fut, semble-t-il, fréquenté entre autres par Ravachol et Émile Henry. Il était également en relations suivies avec Fortuné Henry qu’il allait souvent visiter à Brévannes.

À l’époque, il fréquenta également le Cercle anarchiste international qui, fondé en 1888, était le plus important lieu de rencontre et d’échanges entre militants à l’époque (voir Alexandre Tennevin). Farouche partisan de l’anonymat, il y était connu sous le nom de « N’importe qui » ou parfois de « Quelconque ». Lux fut un autre de ses pseudonymes.

Il fréquenta plus tard le Groupe des travailleurs communistes-anarchistes de Paris 20e, également appelé Les Égaux, et donna quelques articles à La Révolte de Jean Grave.

Il fut en particulier l’auteur de l’article anonyme « Viande à mitraille » où, à propos du massacre de Fourmies le 1er mai 1891, il écrivait : « À Fourmies, les fusils Lebel ont fait merveille [...]. Nous savons que la boucherie a été parfaite[...]. Les blessures faites par le Lebel sont épouvantables, une balle après avoir tué deux jeunes filles , est allée blesser un homme à la cuisse. Quant aux victimes, on les plaint pour la forme et l’on garde ses sympathies pour les gendarmes et soldats assassins [...] dignes en tout point de la Légion d’honneur [...]. À notre époque on trouve des gens assez niais pour se laisser coller un fusil entre les bras, [...] assez lâches pour s’en servir au gré et aux caprices de la crapulerie galonnée qui les commande [...]. C’est une gloire que d’être déserteur. C’est un acte de courage dont sont incapables les lâches qui sur l’ordre d’un galonné alcoolique ont consenti à tirer sur femmes et enfants. Le déserteur, c’est l’homme qui refuse l’esclavage de la discipline. Peuple ! Viande à mitraille ! » (La Révolte du 16 mai 1891).

Cet article devait valoir six mois de prison et 100 francs d’amende à Jean Grave qui avait refusé de révéler le nom de l’auteur. Plus tard, dans son roman à clef Malfaiteurs, Michel Antoine devait apparaître sous le nom de Quelconque, et Jean Grave le décrivit ainsi : « de grande taille, de 28 à 30 ans, le visage coupé d’une fine moustache noire, correctement habillé mais ayant dans les manières quelque chose du chat, du prêtre et de la jeune fille ! L’homme le plus paradoxal ».

Durant la vague de répression de 1894, il fut plusieurs fois perquisitionné. Le 1er janvier, la police saisit chez lui, au 10, rue de Paris, à Vincennes, divers numéros de La Revue anarchiste, de L’Autonomie individuelle, de L’Attaque, de L’En-dehors, de La Révolte, de La Revue Libertaire, du Père Peinard, de nombreux livres et un recueil de chants et poésies

À l’époque, avec deux compagnons, il se livra à la fabrication de fausse monnaie, mais la police mit fin à cette activité en 1895. Il n’échappa que de peu à l’arrestation. Un compagnon témoignera plus tard : « un matin qu’il se rendait à l’atelier de fabrication, le compagnon N’importe qui n’aperçoit pas le signal de sécurité, immédiatement il regagne son logement près du fort de Vincennes ; il en voit sortir deux hommes qui sautent dans un tramway et la concierge l’avertit qu’un monsieur vient de le mander. Un des membres de l’association, Étienne Requet, avait été arrêté ; deux personnes seulement savaient son adresse et il supposa que Requet, pour faire cesser les tortures que dut lui infliger la police, avait donné des renseignements. Néanmoins il assista pécuniairement son jeune camarade et d’autre part assura l’existence du troisième associé qu’il emmena se cacher avec lui dans le quartier des Buttes-Chaumont » (La revue anarchiste, janvier 1930).

Étienne Requet aurait été condamné aux travaux forcés à perpétuité et déporté en Guyane où il serait mort de dysenterie avant qu’une tentative d’évasion organisée par Michel Antoine puisse être menée à bien.

En novembre 1896, sa petite entreprise d’horticulture fut mise en liquidation judiciaire. En avril 1897, la police le savait vivant chez sa mère et son frère, à Sucy-en-Brie (Seine-et-Oise). Il y resta jusqu’en mai 1899.

Michel Antoine vécut ensuite caché, en province, sous une fausse identité. Il y monta un commerce qui, revendu plus tard, devait lui assurer son indépendance économique. Le 22 mars 1900, la Cour d’assises de la Seine le condamna par contumace aux travaux forcés à perpétuité. Il n’apparaîtrait plus désormais que comme rédacteur occasionnel dans la presse anarchiste, sous divers pseudonymes : Levieux, Lejeune, Lux, Ego, Ixe, etc.

En 1903-1904, il collabora à L’Ennemi du Peuple d’Émile Janvion, mais c’est surtout à l’anarchie d’Albert Libertad qu’il trouva sa place. Il soutint financièrement le journal et y collabora sporadiquement, surtout de 1908 à 1910, écrivant de longs articles et éditoriaux défendant le recours à la violence et le choix de l’illégalisme.

Ses articles contribuèrent beaucoup au conflit entre l’anarchie et les milieux révolutionnaires. Ainsi, durant la campagne pour empêcher l’assassinat de Francisco Ferrer, il resta coi, puis, dans l’anarchie du 28 octobre 1909, il tourna en ridicule Gustave Hervé, Malato et Charles-Albert qui avaient fait campagne en vain pour le sauver. « Nous n’avons rien dit, écrivit-il, pendant que nos guignols révolutionnaires agitaient leurs grelots pour effrayer les fusilleurs espagnols. Nous étions sans illusions, sachant très bien que le bluff des manifestations cocasses, dissimulant une faiblesse réelle, n’empêcherait rien. [...] Les rodomontades ridicules de ces pitres et de ces fausses couches sociales n’avaient aucune chance d’aboutir au résultat qu’elles prétendaient viser. C’était du bluff, du tam-tam pour la galerie, comme tout ce que font ces messieurs. » 

Dans La Guerre sociale du 3 novembre 1909, Miguel Almereyda répondit vertement, dénonçant Levieux, « cette poche à fiel, ce diffamateur chronique qui, éloigné de tout groupement, en marge de toute action, loin de Paris, mystérieux et inconnu, tance, censure, critique, outrage (par la plume) avec une méchanceté de bouledogue et une mauvaise foi de jésuite tout ce qui n’a pas l’heur de lui plaire ». Cinq jours plus tard, suite à un nouvel article injurieux, « La volaille », signé cette fois Lejeune, un groupe d’anarchistes révolutionnaires emmené par Georges Durupt exerça des représailles contre la rédaction de l’anarchie.

Pendant la Première Guerre mondiale, Michel Antoine aurait aidé plusieurs soldats à déserter. Il se serait ensuite réfugié à Barcelone, comme de nombreux individualistes. Victor Serge, qui le connaissait depuis sa collaboration à l’anarchie, l’évoqua en ces termes dans son roman Naissance de notre force : « Lejeune s’habillait de drap anglais, portait du linge de soie et des feutres Mitchell noir ou gris selon le temps. L’allure d’un homme d’affaires posé, habitué des bons restaurants [...] Il préférait les établissements à deux issues et, là, certains angles où on pouvait disparaître à peu près, adossé, derrière un journal déplié. Son nom insignifiant n’était connu que d’un petit nombre d’entre nous. Son passé n’était connu de personne. Des camarades se souvenaient de l’avoir appelé Levieux à Paris et à Londres une quinzaine d’années auparavant. » Serge qui le présentait comme le prototype de l’individualiste illégaliste, étranger à toute idée de révolution sociale, et lui prêtait les propos suivants : « Me faire tuer pour ces tas de bipèdes honnêtes, dévots, vérolés et cætera ? Pas si bête, on ne vit qu’une fois. Si vous fusillez les jésuites et les généraux, je ne serai pas fâché, mais je ne me dérangerai pas pour aller voir ça. »

De retour en France après la guerre, il semble s’être installé à Nice (6 rue Blanqui et avenue Theresa, au Palais Windsor) dans les années 1920.

Sous les pseudonymes de Lux, Lejeune, A. Vérité, Ixe, il envoya alors des articles au Libertaire, à La Vie anarchiste de Georges Butaud, aux Vagabonds individualistes libertaires de Paul Bergeron, à Terre libre d’André Viaud, au Semeur de Normandie d’Alphonse Barbé ainsi qu’à la seconde série de l’anarchie que Louis Louvet fit paraître entre 1926 et 1929. Entre décembre 1923 et février 1924, il publia lui-même trois numéros d’un petit périodique intitulé Le Réaliste, pour réagir à la mort du jeune Philippe Daudet. Il y fustigea aussi bien L’Action française que Le Libertaire : « C’est bien dans les deux bandes d’aliénés qui dirigent L’Action française et Le Libertaire qu’il faut chercher les assassins de ce pauvre gamin » écrivit-il dans le n° 1.

Dans Le Semeur du 10 septembre 1925, il se moqua de Mauricius, qui avait édité en 1922 le journal Cupidon favorable à l’amour libre. « Ce n’est pas moi, écrivit-il, qui ai lancé ce petit journal pornographique, d’un si joli nom, où l’on réédite tout ce qu’on peut des œuvres du divin marquis. Ce n’est pas moi... qui pour émoustiller les lecteurs, publie dans une feuille soi-disant anarchiste, un roman feuilleton interminable, où toutes les aberrations sexuelles de l’humanité, depuis les temps légendaires jusqu’à nos jours, sont complaisamment passées en revue. Ce n’est pas moi... qui tend à ravaler l’homme aux proportions d’un pénis et la femme à celles d’un vagin. Non ce n’est pas moi qui ai élevé un autel... que dis-je, un comptoir à la sexualité révolutionnaire pour en faire mon gagne-pain. ».

Dans les dernières années de sa vie, il donna encore un article à L’Ennemi du peuple esclave dont Louis Louvet publia 3 numéros comme supplément à l’anarchie ainsi qu’au 1er numéro de la Revue anarchiste publié par Chauvin en décembre 1929.

La mort de celui qu’Ernest Gegout et Charles Malato appelaient dans Prison fin-de-siècle,« le Juvénal de l’anarchie » fut seulement signalée dans La Revue anarchiste n°2, en janvier 1930, par un article anonyme intitulé « Un homme est parti ».

Michel Antoine avait vécu à Nice sous l’identité de Pierre Maestrini, né le 16 février 1854 en Suisse à Augio. Ce n’est qu’après sa mort qu’un jugement du tribunal de première instance des Alpes-Maritimes rectifia sa véritable identité.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article154016, notice ANTOINE Michel [dit Lux, Levieux, N'importe qui...] [Dictionnaire des anarchistes] par René Bianco, notice complétée par Rolf Dupuy, version mise en ligne le 6 mars 2014, dernière modification le 23 janvier 2019.

Par René Bianco, notice complétée par Rolf Dupuy

SOURCES : État civil de Nice. — CAC Fontainebleau 19940432 art 189. — Malato et Gegout, Prison fin-de-siècle. Souvenirs de Pélagie, Charpentier, Fasquelle, 1891. — Lux, « Innocents ou coupables ? », l’anarchie du 28 octobre 1909. — Lejeune, « La Volaille », l’anarchie du 4 novembre 1909. — La Guerre sociale des 3 et 10 novembre 1909. — Lux, « Ma confession », Le Semeur n° 47, 10 septembre 1925. — Victor Serge, Naissance de notre force, Rieder, 1931 (rééd. Climats, 2004). — Jean Grave, Quarante ans de propagande anarchiste, Flammarion, 1973. — René Bianco, « Cent ans de presse anarchiste... », op. cit. — JeanThioulouse, « Jean Grave(1854-1939), journaliste et écrivain anarchiste », thèse de doctorat, université Paris-VII, 1994 — notes de Thierry Bertrand et d’Anne Steiner.

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