ROUMILHAC Jean [Dictionnaire des anarchistes]

Par René Bianco, notice complétée par Rolf Dupuy

Né le 2 novembre 1892 à Compreignac (Haute-Vienne), mort le 27 juillet 1949 ; industriel ; militant pacifiste et anarchiste de Marseille ; franc-maçon.

Issu d’une famille de modestes paysans limousins qui avaient dû abandonner le travail de la terre pour s’embaucher dans les fabriques de porcelaine de Limoges, Jean Roumilhac compléta ses études secondaires par des études commerciales à Paris. Très vite remarqué par son employeur, il fut envoyé à Stockport, au cœur du Lancashire, en Angleterre. En 1915 il épousa une institutrice anglaise, Annie Morton, avec laquelle il eut deux filles. Il s’y initia aux techniques de la filature avant que la guerre ne le ramène en France Engagé spécial le 27 novembre 1916, il parvint à se faire réformer en mai 1918 par la commission de réforme de Limoges. Il voyagea alors en Espagne pour explorer les possibilités commerciales et y noua des liens d’amitié avec les syndicats ouvriers et les groupes anarchistes de Bilbao et de Barcelone.

Après l’armistice, il créa sa propre entreprise à Marseille. Dans le but d’édifier une usine modèle, il entreprit des recherches au sein du Comité de l’Organisation française, de l’Institut International d’Organisation Scientifique du Travail, du BIT et avec le concours des syndicats. Il créa ainsi, en tant que filiale d’une entreprise britannique, la Compagnie du Fil de Lin située au 85, av. de la Pointe-Rouge à Marseille. Bien avant le Front Populaire les quelques 250 employés de la Compagnie bénéficiaient de toutes les mesures sociales : restaurant d’entreprise, les 40 heures, les congés payés.

Parallèlement à ses activités professionnelles, Jean Roumilhac garda des liens étroits avec les milieux libertaires qu’il avait commencé à fréquenter très jeune lorsqu’il vivait à Limoges. Ainsi, pendant la guerre d’Espagne, il se rendait une fois par mois à Barcelone où il était en charge de l’entreprise "Industries del hilo de leno", 14, Rambla Cataluña, une filiale de son entreprise marseillaise, et ne ménageait pas son aide. Il s’employa activement à contrer la non-intervention qu’il jugea criminelle et collabora très étroitement avec les responsables de la CNT et de la FAI (Fédération anarchiste ibérique) et notamment avec Pedro Herrera, le secrétaire du Comité national espagnol de la Solidarité Internationale Antifasciste (SIA). Il était également en contact avec la loge maçonique Humanidad. Il collaborait alors au Combat Syndicaliste.

Après la victoire de Franco et l’internement en France de tous les réfugiés espagnols, Roumilhac, délégué marseillais du Centre des réfugiés espagnols (créé par arrêté ministériel du 29 décembre 1938) et délégué du Comité pour l’intégration des réfugiés espagnols dans l’agriculture française, ne cessa d’agir pour en faire libérer le plus grand nombre, fournissant des certificats et créant des colonies d’accueil pour les enfants. Il employa dans sa filature de nombreux réfugiés espagnols, de préférence membres de la CNT. Il servit également de prête-nom pour l’achat par la CNT espagnole du domaine d’Aymare (Lot) où dès juin 1939 furent accueillis des réfugiés espagnols sortis des camps. Pendant la guerre, la collectivité, notamment par l’intermédiaire du compagnon Francisco Diez Sandino, servit de lieu de ravitaillement alimentaire pour les ouvriers de l’entreprise de Roumilhac. Après la guerre Aymare permit d’acceuillir de vieux compagnons et mutilés de guerre de la CNT et d’organiser une collectivité agricole ; le domaine fut exploité par le Mouvement libertaire espagnol jusqu’à sa vente en 1963. Roumilhac en fut l’administrateur jusqu’à 1947 au moins.

Dès le débuts de l’Occupation allemande, il se joignit aux mouvements de résistance (Combat) et collabora avec le Centre Américain de secours de Varian Fry. Arrêté en novembre 1941, il fut emprisonné à Fort Barraux (Isère) et y passa l’hiver, puis il fut relâché grâce à un subterfuge. Il parcourut alors la zone occupée pour y créer des réseaux de résistance, le plus souvent par l’intermédiaire de ses amis francs-maçons. Cependant, les multiples perquisitions à son domicile marseillais l’obligèrent à se réfugier dans une petite ville des Alpes, Veyne, alors sous contrôle italien. Il y géra une petite usine textile, Synthesia, tout en continuant à travailler au sein du mouvement Combat.

À la Libération, il revint à Marseille et reprit la direction de la filature ainsi que ses activités de soutien aux exilés politiques. Il devint ainsi le premier président départemental de la SIA (Solidarité Internationale Antifasciste) fondée avant la guerre par Louis Lecoin* et aida à la constitution de la CNTF locale.

Il resta également actif dans la Franc-maçonnerie où il avait été admis en mars 1920 à Limoges. Affilié à la Loge de La Parfaite Union de Marseille, il y retrouva d’autres anarchistes parmi lesquels Voline*, Jean Marestan*, Joseph Gleize*. Il fut élu vénérable de cette loge en 1938 et élu comme conseiller national du Grand Orient de France en 1939, dont il fut Grand maître adjoint de 1946 à 1948.

Jean Roumilhac, « belle tête de gaulois adornée d’énormes moustaches grises », comme le surnommait Daniel Benedite, mourut dans un accident de la route à la sortie d’Aix-en-Provence le 27 juillet 1949.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article154064, notice ROUMILHAC Jean [Dictionnaire des anarchistes] par René Bianco, notice complétée par Rolf Dupuy, version mise en ligne le 3 avril 2014, dernière modification le 4 mars 2021.

Par René Bianco, notice complétée par Rolf Dupuy

Jean Roumilhac
Jean Roumilhac

SOURCES : Fonds biographique Cira Marseille — Lettre de l’Institut d’Études et de recherches maçonniques de Paris, 14 mai 1990 — Le Libertaire, 5 août 1949 — Témoignage de Serge Mouton et Henri Jullien — Renseignements fournis par Madeleine Roumilhac et Christine Roux (sa fille et sa petite-fille) — Notes d’Olivier Hiard — Léo Campion, Le drapeau, l’équerre et le compas, édition Goutal-Darly, Paris, 1978 — Daniel Benedite, La Filière marseillaise, édition Clancier-Guénaud, 1984 — René Bianco, « Un siècle de presse anarchiste d’expression française 1880-1983 », Aix-Marseille, 1987. — Françoise Fontanelli et Isabelle Renaudet, "Jean Roumilhac et ses guerres, portrait d’un humaniste, pacifiste et franc-maçon, entre Marseille et Barcelone", Engagements, cultures politiques, guerres, mémoires, monde du travail, Le temps de l’histoire, Presses universitaires de Provence, Aix-Marseille, 2016, p. 217. — État civil de Compreignanc : fils de Jean Roumilhac et de Marie Chasseneuil, cultivateurs ; marié le 24 septembre 1915 à Marseille avec Annie Morton.

ICONOGRAPHIE : Arch. Cira Marseille.

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