SAÏL Mohamed (Saïl Mohand Ameziane, dit) [Dictionnaire des anarchistes]

Par Jean Maitron, notice complétée par Philippe Bouba, Guillaume Davranche et Rolf Dupuy

Né le 14 octobre 1894 à Taourirt-Beni Oughlis (département de Constantine), décédé en avril 1953 à Bobigny (Seine) ; chauffeur mécanicien, puis réparateur de faïences ; anarchiste et syndicaliste.

D’après une lettre à Georges Fontenis en février 1953, Mohamed Saïl serait entré dans le mouvement anarchiste en 1911. Durant la Grande Guerre, il aurait été « insoumis et déserteur », d’après ce qu’il écrivit dans Le Semeur du 6 septembre 1932.

En 1923, il était secrétaire du groupe de Livry-Gargan de l’Union anarchiste (UA) et animait avec Slimane Kiouane le Comité d’action pour la défense des indigènes algériens, fondé par l’union régionale parisienne de l’UA.

Entre 1924 et 1926, il semble avoir vécu en Algérie, où il collabora au journal anarchiste Le Flambeau, Il y dénonçait le colonialisme et le Code de l’indigénat, et appelait les Algériens à l’instruction, à la révolte et à « rejoindre les groupes d’idées avancées ». À l’époque, il donna également des articles à L’Insurgé d’André Colomer et à L’Anarchie de Louis Louvet*, sous la signature « un anarchiste kabyle ». En mai 1925, il fut emprisonné dix jours pour avoir critiqué « le régime des marabouts » dans un café à Sidi-Aïch (Kabylie). Selon Le Flambeau, ses geôliers le privèrent de nourriture pendant quarante heures.

En 1930, il fit campagne dans Le Libertaire contre la « mascarade du centenaire » de la conquête de l’Algérie et rédigea pour la CGT-SR un tract dénonçant cette commémoration.

Plate-formiste, Mohamed Saïl et le groupe de Livry-Gargan furent exclus de l’UACR en 1931, en même temps que la fédération du Languedoc, puis réintégrés en 1933.

Installé ensuite à Aulnay-sous-Bois, il fut gérant du journal local L’Éveil social, qui parut de janvier 1932 à mai 1934 avant de fusionner avec Terre libre. Un article lui valut des poursuites pour incitation de militaires à la désobéissance.

En 1934, il fonda le Groupe anarchiste des indigènes algériens et devint responsable de l’édition nord-africaine de Terre libre dont on ne sait si elle parut effectivement.

Le 4 avril 1934, suite à un meeting antifasciste à l’adresse des travailleurs nord-africains, où il avait pris la parole, il fut arrêté à Saint-Ouen par la police, qui le trouva porteur d’un revolver. Perquisitionnant chez lui, elle saisit, selon le Comité de défense sociale, « un vieux fusil Mauser et une grenade vide rapportés du front par le mari de la compagne de Saïl, veuve de guerre ». Pour ces raisons, il fut condamné à un mois de prison pour port d’arme prohibé et fut maintenu douze semaines de plus en détention d’armes de guerre. De sa cellule, il envoya un message de sympathie au congrès dit « d’unité » de l’UA, qui eut lieu à Paris les 20 et 21 mai 1934.

La Révolution espagnole l’appela outre-Pyrénées. Il combattit dans le groupe international de la colonne Durruti, avec Charles Ridel et Charles Carpentier.

Le 21 novembre 1936, en mission de reconnaissance, il fut blessé au bras par une balle explosive à cent mètres des lignes franquistes. Hospitalisé à Barcelone, il regagna Aulnay en janvier 1937. Mutilé, il devait désormais exercer le métier de réparateur de faïences.

Lors des événements de mai 1937 à Barcelone, il fit plusieurs comptes rendus sur la situation dans Le Libertaire et Le Combat syndicaliste. Il intervint dans de nombreux meetings.

Il représenta le groupe d’Aulnay-sous-Bois au congrès de l’UA qui se tint à Paris les 30, 31 octobre et 1er novembre 1937.

Cette même année, il prit la parole, au nom de l’UA, à un meeting commun avec la Gauche révolutionnaire de Marceau Pivert, et avec le Parti du peuple algérien (PPA) de Messali Hadj, pour protester contre l’interdiction de l’Étoile nord-africaine par le Front populaire.

Pour avoir, en septembre 1938, distribué des tracts contre la guerre, il fut condamné à dix-huit mois de prison pour « provocation de militaires à la désobéissance ».

Après la déclaration de guerre, soumis au décret du 18 novembre 1939 sur les « individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique », il fut arrêté et interné. C’est au cours de cette incarcération que sa bibliothèque fut saisie, puis dispersée. En 1941, il aurait été détenu au camp de Riom-ès-Montagnes (Cantal). Il aurait par la suite participé à la fabrication de faux papiers pour les compagnons recherchés.

À la Libération, Mohamed Saïl reconstitua le groupe d’Aulnay-sous-Bois de la Fédération anarchiste. Dans Le Libertaire, il traita souvent des problèmes de l’Afrique du Nord. En 1951, il fut nommé responsable aux questions nord-africaines de la commission syndicale de la FA et ne cessa de dénoncer l’exploitation des travailleurs algériens.

Dans les conflits qui déchirèrent la FA en 1952-1953, Mohamed Saïl soutint, par ouvriérisme, la tendance de Georges Fontenis. « Mon vieux Fontenis, lui écrivait-il en janvier 1952, vous êtes jeunes pour la plupart des camarades dits majoritaires, et c’est pourquoi vous ignorez que vous êtes, vous, dans la véritable ligne traditionnelle de l’anarchisme. »

Mohamed Saïl mourut d’un cancer du poumon en avril 1953 à l’Hôpital franco-musulman de Bobigny (aujourd’hui hôpital Avicenne) et fut inhumé le même jour au cimetière musulman de Bobigny. Sa compagne était également militante anarchiste.

Le Libertaire lui rendit hommage. Dans Contre-courant du 5 mai 1953, Louis Louvet* disait de lui : « Malgré des incartades, dues à un caractère tout d’une pièce, j’avais gardé de l’affection pour lui. »

Le 14 octobre 2016, un hommage public lui fut rendu lors d’une conférence à la bibliothèque de Tibane (Algérie). Des historiens, journalistes, militants syndicaux et associatifs participèrent à l’événement. Une plaque commémorative à « Saïl Mohand Ameziane, militant anarchiste » fut apposée sur sa maison natale à Taourirt.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article154065, notice SAÏL Mohamed (Saïl Mohand Ameziane, dit) [Dictionnaire des anarchistes] par Jean Maitron, notice complétée par Philippe Bouba, Guillaume Davranche et Rolf Dupuy, version mise en ligne le 11 avril 2014, dernière modification le 20 février 2023.

Par Jean Maitron, notice complétée par Philippe Bouba, Guillaume Davranche et Rolf Dupuy

ŒUVRE : Appels aux travailleurs algériens, textes recueillis et présentés par Sylvain Boulouque, Groupe de Fresnes-Antony de la Fédération anarchiste, 1994. — L’Étrange étranger (Écrits d’un anarchiste kabyle), Lux, 2020.

SOURCES : Arch. Dép. Seine-et-Oise, 2M11/18 et 25, 4M2/67 et 68, 4M2/81, 5M56. — Arch. Nat. 19940508/1828. — Le Flambeau du 1er novembre 1924, du 1er mai et du 1er juin 1925 et de juillet 1926. — Le Semeur du 6 septembre 1932. — La Voix libertaire des 21 janvier 1933, avril 1934, 1er septembre 1934 et 29 janvier 1937 — Terre libre de décembre 1935 — Le Combat syndicaliste, années 1936-1937 — lettres à Georges Fontenis du 21 janvier 1952, du 16 février et du 13 avril 1953 (fonds Fontenis, IIHS) — Le Libertaire du 30 avril 1953 et du 20 mai 1954 — Charles-Robert Ageron « Émigration et politique, l’Étoile nord-africaine et le PPA », Mémoires de Messali Hadj, Jean-Claude Lattès, 1982 — René Bianco, « Un siècle de presse anarchiste… », op. cit. — David Berry « French Anarchists Volunteers in Spain » — Liberté, 14-15 octobre 2016 — Béjaia News, 14 octobre 2016 — Renseignements de G. Perrot. — Notes de Nadia Ténine-Michel.

ICONOGRAPHIE : SIA du 22 décembre 1938 — L’Espagne antifasciste du 4 novembre 1936 (sur le front à Farlete).

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