TRICOT Henri [dit Jean-Baptiste Henry] [Dictionnaire des anarchistes]

Par Jean Maitron, notice complétée par Rolf Dupuy et Thierry Bertrand

Né le 2 mai 1852 à Condes (Haute-Marne), mort le 14 juillet 1938 à Paris (20ème) ; ajusteur mécanicien ; anarchiste, puis pasteur protestant se disant « anarchiste chrétien ».

Les parents d’Henri Tricot (Nicolas et Vossan Hélène) étaient catholiques bien que d’origine protestante. Orphelin de bonne heure, il fut élevé par les Frères qui lui donnèrent la profession de mécanicien. Novice à Cîteaux, il s’évada pour rejoindre l’armée Bourbaki en 1871, revint à Cîteaux, puis à la Trappe d’Aiguebelle et perdit la foi.
Il devint socialiste, puis anarchiste et milita à Gray, Dijon, Paris 18e, Lyon, tout en exerçant bien des métiers.
En 1872 il habitait à Dôle dans le Doubs et il était serrurier.
Il était déclaré insoumis le 12 mai 1874. Il fut arrêté par la gendarmerie de Bédarieux dans l’Hérault le 13 février 1876 puis écroué à la prison militaire de Montpellier le même jour. Il fut ensuite acquitté comme non coupable par la justice militaire et incorporé au 122 régiment d’infanterie.
Le 6 juin 1876 il était réformé.
Il se mariait le 28 février 1878 avec L’Habitant Françoise Victorine Marie, à Gray-la-ville (Haute-Saône).
Il se fixait à Lyon en septembre 1881.
A ses débuts dans cette ville il était au "Parti ouvrier" et ennemi acharné de la "Fédération Révolutionnaire" pour ensuite se convertir aux idées libertaires.
En janvier et février 1883, à plusieurs reprises, lors de réunions publiques, il lança des appels en vu de réaliser l’union avec les anarchistes et les partis socialistes de toutes tendances.
Il fut le trésorier du groupe L’Étendard révolutionnaire, où il fut remplacé début 1883 par Gaillard. Après le « procès des 66 » (voir Toussaint Bordat) dans lequel il ne fut pas impliqué, il reçut un don de 1 000 francs d’un paysan et fonda l’hebdomadaire La Lutte (Lyon, 19 numéros et un supplément, du 1er avril au 5 août 1883) dont tous les gérants successifs – Gaspard Lemoine, Benoit Morel, Chautant – furent l’objet de poursuites. Le journal poursuivit sa publication sous des titres successifs (Le Drapeau noir, L’Émeute, Le Défi, etc.).

En avril 1883 il était secrétaire rapporteur de la commission d’organisation révolutionnaire dont le but était de créer un Comité Révolutionnaire Fédératif de la région de l’Est. Et cette commission s’adressait à tous les socialistes révolutionnaires, de l’Est, "sans distinction d’école". Tricot, en désaccord avec de nombreux compagnons, voulait reconstituer la "Fédération Révolutionnaire" car il estimait que le mouvement anarchiste lyonnais sombrait dans la désorganisation.

Le 16 juin 1883 il était arrêté place Bellecour à Lyon par des agents de police pour être écroué à la prison Saint-Paul en vertu d’un mandat d’amener délivré la veille par le juge d’instruction comme inculpé de provocation directe à un attroupement par des écrits ou des imprimés affichés ou distribués. Il s’agissait de la manifestation qui devait avoir lieu le 17 courant à la Ricamarie (ville proche de Saint-Etienne, Loire) afin d’honorer les victimes de la tuerie du 16 juin 1869 suite à une grève de mineurs. Tricot fit acte de rébellion et frappa un des agents. A la suite de quoi, un procès verbal fut dressé contre lui.
Le 3 juillet, Tricot et B. Morel passèrent en correctionnelle pour avoir provoqué un attroupement : Tricot comme afficheur et pour voies de faits envers des agents venus l’arrêter, et Morel comme gérant de La Lutte ayant reproduit le placard litigieux. Morel fut condamné à 2 mois d’emprisonnement, Tricot en récolta 4.
Pendant qu’il était en prison à Lyon, les assises de la Loire le condamnèrent le 23 juin, par défaut, à 2 ans de prison, qu’il purgea à Clairvaux, et 100 francs d’amende pour provocation directe au meurtre, pillage et incendie en raison des paroles qu’il avait prononcé 15 jours plus tôt à Roanne dans une réunion publique.
Le vendredi 14 septembre 1883 il passait, à nouveau, devant la cour d’assises de la Loire pour cette même affaire mais cette fois il prit la décision de se défendre tout seul. (NdA : pourquoi deux fois le même procès ?)
La police déclare que Tricot avait proféré des menaces contre la bourgeoisie en général et contre l’affameur roannais, nommé Bréchard, en particulier, paroles prononcées en réunions publique à Roanne, le 10 juin 1883.
A l’issue du procès il fut condamné à 2 ans de prison et 100 frs d’amende.

Le 8 octobre 1883, en sortant d’une réunion anarchiste, l’agent Colomb qui y avait été envoyé en surveillance, fut victime d’un attentat. Quelqu’un lui répandit sur le pantalon, à son insu, une matière grise, s’enflammant au contact de l’air, très probablement du phosphore. La partie de ses vêtements imbibée de cette matière s’enflamma et il pu éteindre le feu avec l’aide de son collègue. Ce Colomb était le policier qui avait arrêté Tricot.

Influencé par Blanqui, Chabert, Prudent Dervillers, Guesde Jules, puis Élisée Reclus, Kropotkine Pierre et Émile Gautier, c’est surtout Louise Michel qu’il admirait.

Sorti de prison fin 1885, il devint colporteur anarchiste. À ce moment sa femme et lui firent la rencontre, dans le Gard, d’une socialiste chrétienne qui les persuada que Dieu était l’ennemi de l’injustice sociale. Il découvrit alors dans l’Épître de Paul aux Romains, XII, le communisme anarchiste chrétien.

Mécanicien et journaliste au service de la municipalité socialiste de Cette (Hérault), il rédigea L’Avenir social, puis rompit avec ses employeurs, tandis que le pasteur Benoît achevait sa conversion. Il devint alors colporteur biblique, puis évangéliste et collabora à L’Avant-Garde, organe des chrétiens sociaux.

En mars 1886 il semble qu’il fut à Paris.
Le 14 mai 1886 il était remarqué lors d’une réunion anarchiste à Lyon.

Sa première épouse décédait en 1899. Il se mariait à nouveau le 9 septembre 1899 à Dieulefit (26) avec Marie Emma Blanchard née en 1867. Ils eurent une fille « Lydie » Malvina Renée en 1900 (morte en 1966).

Il fut pasteur à Carmaux (Tarn) en même temps qu’il exerçait son métier de mécanicien, et il convertit les anarchistes Pacifique Grandjean (ouvrier horloger suisse) et Pierre Richard. Tricot avait adopté une théologie libérale antitrinitaire sans renoncer à l’anarchisme. Il écrivait en 1910 : « Jamais je ne serais devenu le disciple de Jésus Christ, si je n’avais pas trouvé dans l’Évangile, unie aux paroles de la vie éternelle, la promesse d’une nouvelle terre, où l’élévation, la richesse et la joie des uns ne seront pas faites de l’abaissement, des privations et des larmes des autres. »

Il vint ensuite à Paris (en 1908 il habitait au 221 avenue Gambetta de cette ville) et il eut la plus grande influence dans le groupe chrétien social du pasteur Élie Gounelle et dans l’Union des socialistes chrétiens fondée en 1908 par R. Biville et Paul Passy.

Il exerça son ministère à Paris 14e.
Vers 1910, un groupe anarchiste de Montmartre lui demanda une conférence sur le sujet : « Un anarchiste peut-il devenir chrétien sans abandonner son idéal social ? ».
Il fut délégué en mai 1912 au congrès international des socialistes chrétiens à Jolimont (Belgique), et en mai 1913 à La Chaux-de-Fonds. Ses positions politiques entraînèrent la démission de nombreux pasteurs.

Quelques mois avant la Grande Guerre, il fonda un groupe socialiste chrétien à Carmaux.
À partir de 1916, il se montra hostile à l’union sacrée.

La Révolution russe entraîna des tensions au sein du mouvement chrétien social. Henri Tricot soutint la révolution, contre Paul Passy, ce qui conduisit à une scission. Tricot dirigea alors un groupe appelé Union communiste spiritualiste, animé avec lui par Jolivet-Castelot et Léon Revoyre, et, à partir de 1929, il disposa d’un journal, Terre nouvelle.
Toujours anarchiste, il s’éloigna de plus en plus des communistes.

Il participait au journal Le Végétalien paru à Nice en 1926.

Après le 6 février 1934, Tricot essaya d’impulser un « un front uni des chrétiens révolutionnaires », mais ce fut un échec, et le catholique proche du PCF, Maurice Laudrain, s’empara de Terre nouvelle en mai 1934.

En 1936 et 1938 il habitait au 4 rue Docteur Labbé à Paris.
Sa femme décédait le 13 avril 1938 à Paris.
Jusqu’à sa mort à Paris, le 14 juillet 1938, le pasteur Tricot a concilié anarchie et christianisme. Il écrivait encore en 1937 : « L’idéal anarchiste [est] assimilé, dans ma pensée chrétienne, à la vision terrestre du Royaume de Dieu annoncé par le Christ » (cf. La Voix libertaire, 27 mars 1937).

Les obsèques de Tricot furent présidées par le pasteur anarchisant Coreman et le pasteur Bertrand qui prononcèrent des discours.
Les dernières pensées de Tricot, lues à ses obsèques, furent une profession de foi protestante libérale : « Je reconnais le Christ, non comme étant Dieu lui-même incarné dans un corps, né de femme, mais comme l’homme qui m’apparaît élevé au-dessus de tous les autres par la beauté morale de sa vie et le sublime exemple de sa mort. »

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article154090, notice TRICOT Henri [dit Jean-Baptiste Henry] [Dictionnaire des anarchistes] par Jean Maitron, notice complétée par Rolf Dupuy et Thierry Bertrand, version mise en ligne le 19 avril 2014, dernière modification le 19 août 2021.

Par Jean Maitron, notice complétée par Rolf Dupuy et Thierry Bertrand

ŒUVRE : Demain je serai des vôtres... Dialogue entre trois socialistes, Imprimerie A. de Cros, Cette, 1890. — Confession d’un anarchiste, Fischbacher, Paris, 1898. — De l’Anarchie à l’Évangile, J. Royer, Lyon, 1910.

SOURCES : Arch. Dép. Haute Marne 1R649. — Arch. Dép. Rhône 4 M 309, 4 M 306. — Arch. Dép. Alpes-Maritimes 4 M 487. — État civil. — E. Armand, article nécrologique dans L’En Dehors de septembre 1938. — La Voix libertaire, août 1938. — Mémorial de la Loire et de la Haute Loire, septembre 1883. — Marcel Massard, « Histoire du Mouvement anarchiste à Lyon, 1880-1894 », DES, Lyon, 1954. — Pierre Poujol, Socialistes et Chrétiens 1848-1924, tomes II et III, Le Cep, 1957.— Laurent Gallet, Machinations et artifices, ACL, 2015.— René. Bianco, « Un siècle de presse anarchiste… », op. cit. . — Site geneanet.

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