GAMBACHIDZÉ Vassili [Dictionnaire des anarchistes]

Par Guillaume Davranche

Né le 25 juillet 1888 à Koutaïssi (Empire russe), exécuté vers 1937 en Sibérie ; ingénieur chimiste ; anarchiste, puis socialiste.

Fils de Estafi Wissarionovitch Gambachidzé, conseiller à la cour de Tiflis (actuelle Tbilissi), et d’Olga Vassilievna, le jeune Vassili, étudiant en chimie, était membre du groupe anarchiste Liberté, à Tiflis. En 1905 il dut fuir l’Empire russe.

En janvier 1906, il résidait à Genève avec sa compagne Ludmilla Stefanowski. Il participait aux débats du milieu révolutionnaire russe en exil, où il s’opposa notamment à Lénine.

En 1907 il vécut brièvement à Paris 5e, au 11, rue Bertholet.

En novembre 1907, il s’inscrivit à la faculté de chimie de Bordeaux. Là, il continua à faire de la propagande en distribuant des brochures de Kropotkine à ses condisciples et fut renvoyé au bout de trois mois pour défaut de paiement. Il aurait ensuite habité une petite maison au Bouscat, où Antoine Antignac fut hébergé à l’occasion, mais il vécut la plupart du temps au 13, rue d’Arès, chez Georgette Aubry, épouse Du Bief, dont il fut l’amant.

En août 1909 éclata « l’affaire Gambachidzé ». L’Okhrana, la police secrète tsariste, n’avait pas perdu la trace du jeune révolutionnaire. Après le démantèlement du groupe Liberté, le gouvernement russe demanda l’extradition de Gambachidzé, l’accusant de « complicité morale » dans une affaire criminelle (un rapt) visiblement inventée pour motiver la demande d’extradition.

Le 26 août 1909, après la signature d’un accord de sécurité entre le président Fallières et Nicolas II, l’étudiant fut arrêté par la police et enfermé au fort du Hâ, en attendant son expulsion.

Gambachidzé fut défendu par Me Luzzi et Me Jacques Bonzon, de la Ligue des droits de l’homme (LDH), et une campagne pour sa libération fut lancée par le Comité de défense sociale (CDS), et notamment par Henry Combes. En moins d’un mois, trois meetings de protestation réunirent, selon Le Libertaire, plusieurs milliers de personnes. L’affaire revêtait d’autant plus d’importance aux yeux du CDS que l’expulsion de Gambachidzé risquait de créer un précédent et de fragiliser la situation des réfugiés politiques russes en France.

La LDH s’engagea également. Le 15 septembre, elle donna à Paris une réunion publique en sa faveur sous la présidence de Francis de Pressensé. Le 18 septembre, elle donna à Bordeaux un autre meeting sous la présidence de Louis Victor-Meunier, responsable fédéral de la LDH et directeur du quotidien bordelais La France. En Gironde, la SFIO, le Parti radical-socialiste et l’Alliance républicaine démocrate se prononcèrent également en faveur de Gambachidzé.

Sous la pression de la campagne, le ministère de l’Intérieur libéra le jeune homme le 2 novembre 1909. Il quitta alors Bordeaux alla habiter à Paris 18e, au 20, rue d’Orsel, à deux pas du Libertaire. Il devait par la suite écrire régulièrement dans l’hebdomadaire sous le pseudonyme de Waso Chrochely. Proche de Georges Durupt et Henry Combes, il fréquentait les réunions du groupe anarchiste de Montmartre.

Inscrit comme étudiant à l’Ecole des mines, Gambachidzé milita dans la Fédération révolutionnaire communiste (FRC) dès ses premiers pas, en novembre 1910. Son statut d’expatrié ne lui permit jamais d’y prendre des responsabilités, mais il intervint souvent dans les réunions, dont le congrès du 4 juin 1911.

En octobre 1911, Gambachidzé fut un des fondateurs du Club anarchiste communiste et cosigna son manifeste (voir Albert Goldschild). Le 15 octobre, il fut inscrit au Carnet B. En janvier 1912 il s’installa au 19, rue Champollion, à Paris 5e.

Farouche adversaire de l’hervéisme, il attaqua violemment, au congrès régional anarchiste du 19 mai 1912, le projet d’Entente révolutionnaire proposé par Charles-Albert.

En juin 1912, la police notait : « Gambachidzé ne serait pas aimé dans les milieux libertaires où on lui reprocherait surtout d’être vaniteux et, pour s’éviter de parler dans une salle vide, il aurait fait plusieurs conférences sous le nom de René Dubois ».

En juin 1913, il rejoignit Henry Combes, exilé à Londres. Il revint s’installer à Paris en février 1914. Le 25 juin, il épousa à Paris 13e Hélène Khenkine (née le 31 juillet 1892 à Ekaterinoslav). Le couple partit ensuite s’installer à Bordeaux, au 24, bd Antoine-Gautier. Leur fils Wakhtang naquit le 1er novembre 1914.

Gambachidzé semble alors avoir rompu avec l’anarchisme, et c’est sans doute à cette époque qu’il fut initié à la franc-maçonnerie par Louis Victor-Meunier. Il entra à la Loge anglaise de Bordeaux, affiliée au Grand Orient de France.

À l’été 1916, il quitta Bordeaux pour travailler comme ingénieur à la poudrerie d’Angoulême, puis aux établissements métallurgiques Weiller & Cie. À cette époque, selon le préfet de la Charente, il professait des opinions tsaristes et patriotes.

Après la révolution de Février 1917, il rencontra Léon Jouhaux à Paris pour l’adjurer d’envoyer une délégation CGT à la conférence pacifiste de Stockholm. Il gagna ensuite en Russie, puis revint en France (lettre du 2 juin 1919 à Pierre Monatte).

Le 29 novembre 1917, il s’installa avec femme et enfant au 20, rue Pierre-Curie, puis au 52, rue Gay-Lussac, à Paris 5e. Selon la police, il était alors sans emploi et semblait dans la gêne, débattant beaucoup de la Révolution russe avec les militants en exil. Ayant adhéré au Parti social-fédéraliste de Géorgie, il se montrait hostile au putsch d’octobre, aux bolcheviks et aux anarchistes (lettre du 5 mai 1918 à l’ambassadeur de Russie à Paris).

La préfecture de police ignorait cependant ces positions et, convaincue de son adhésion à la « politique maximaliste » (bolchevik), obtint contre lui un arrêté d’expulsion le 6 mars 1918. Le 30 mars il fut arrêté et transféré au camp de triage de Fleury-en-Bière (Seine-et-Marne).

Sa femme resta seule à Paris avec le petit Wakhtang, dans une grande précarité, et multiplia les démarches auprès de l’ambassade de Russie, de la Ligue des droits de l’homme et de la CGT pour faire libérer son mari. De son côté, Gambachidzé demanda de l’aide aux autorités consulaires russes.

Le 8 juin 1918 la commission interministérielle d’examen des suspects estima, après enquête, que l’internement de Gambachidzé en camp de concentration ne se justifiait pas. Avec l’aide du député Ernest Lafont, il obtint une promesse d’embauche dans la succursale lyonnaise de l’entreprise de charpentes Paul Naudet. En conséquence, le 24 août 1918, Gambachidzé fut autorisé à quitter le camp de Fleury-en-Bière pour aller travailler à Lyon.

Il s’installa au 11, impasse Vauzelle, à Lyon 1er, avec sa femme et son fils mais ne travailla pas longtemps chez Paul Naudet. Il se lia rapidement avec la gauche du Parti socialiste lyonnais, s’immergea dans la vie politique locale et devint même le secrétaire du socialiste Claude Calzan.

En février 1919, Gambachidzé était devenu un des principaux responsables de la Fédération des locataires sise au 7, rue de la Tunisie. Un rapport de police du 1er mars 1919 le considérait comme « très dangereux », car « doué d’un réel talent d’organisation révolutionnaire » et jugeait « regrettable qu’on lui ait accordé la faculté de résider à Lyon où il a trouvé un terrain d’action tout préparé ».

Estimant avoir été berné, le ministère de l’Intérieur fit arrêter Gambachidzé qui, le 20 mars, fut transféré au camp de concentration de Labastide-Saint-Pierre (Tarn-et-Garonne). Sur intervention du député socialiste lyonnais Jean Voillot, il fut finalement assigné à résidence, le 17 avril, à 50 kilomètres de là, dans le village de Saint-Antonin.

Il écrivit aux autorités françaises pour protester et demander à être assigné dans une ville possédant quelque industrie pour, au moins, pouvoir travailler et nourrir sa famille. Il écrivit également à La Vie ouvrière de Pierre Monatte pour attirer l’attention sur son cas et sur « les souffrances que les Russes endurent dans les camps de concentration ». Dans sa lettre, son attitude envers les bolcheviks avait sensiblement évolué : « Entre Lénine et Koltchak, entre Lénine et Kerenski, entre Lénine et les socialistes révolutionnaires russes, nous avons choisi Lénine, malgré nos divergences de vues, malgré la lutte que nous avons soutenue contre lui. Actuellement en Russie, Lénine et Trotsky symbolisent la révolution sociale. Vive la révolution sociale ! »

Le 15 juillet 1919, Gambachidzé fut autorisé à résider à Valence où il s’installa à l’hôtel de l’Europe. Un rapport du préfet de la Drôme du 4 novembre 1919 disait de lui : « Toujours mis avec recherche, il semble jouir d’une fortune suffisante pour vivre sans travailler ». Il fréquentait assidûment les réunions publiques socialistes, et le préfet le considérait comme un « bolcheviste notoire qui jouit d’une influence considérable dans les milieux révolutionnaires ». Gambachidzé réclamait alors qu’on le laisse rentrer en Russie.

En avril 1920, il parvint à quitter discrètement Valence par le train et se réfugia à la délégation de la République Géorgienne, 37, rue La Pérouse, à Paris 16e. Un rapport du commissaire de police de Valence signalait simultanément qu’il était soupçonné d’abus de confiance dans les milieux socialistes de Lyon et de Valence, où il aurait multiplié les créances, laissé des ardoises impayées, voire détourné des fonds, et que cela commençait à se savoir.

Le 3 juin 1920, enfin muni de passeports à destination de Tiflis, Gambachidzé redescendit sur Lyon, passa prendre son épouse et son fils, et tous trois partirent dès le lendemain pour la Géorgie, via l’Italie et Constantinople. Gambachidzé s’installa ensuite à Petrograd puis à Moscou, où il travailla dans l’administration.

Après son retour à Tiflis en 1923, il fut enlevé par la police politique en 1927 et déporté en Sibérie. Libéré au bout de plusieurs années, il lui fut interdit de rentrer en Géorgie et il resta travailler en Sibérie. Pendant quelques mois il adressa de l’argent à sa femme restée à Tiflis. Il fut de nouveau arrêté vers 1937 et exécuté en secret. Sa femme n’en eut la confirmation que quarante ans plus tard, lorsqu’en 1975 un courrier de l’administration l’informa que l’innocence de son mari avait été reconnue, et qu’elle pouvait toucher quelques roubles de dédommagement.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article154153, notice GAMBACHIDZÉ Vassili [Dictionnaire des anarchistes] par Guillaume Davranche, version mise en ligne le 9 mars 2014, dernière modification le 11 novembre 2022.

Par Guillaume Davranche

SOURCES : État civil de Paris. — Arch. Nat. F7/13053, 19940437/337 et 19940448/40. — Archives PPo BA/1513. — AD Gironde 1 M525. — La France, année 1909. — Le Libertaire, années 1909-1913. — La Vie ouvrière, 11 juin 1919. — Guillaume Davranche, Trop jeunes pour mourir. Ouvriers et révolutionnaires face à la guerre (1909-1914), L’Insomniaque/Libertalia, 2014. — Témoignage de son petit-fils Alain Gambachidzé.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable