BABY Jean, Édouard, Dominique

Par Jean Maitron, Claude Pennetier, Nicole Racine

Né le 4 août 1897 à Toulouse (Haute-Garonne), mort le 9 janvier 1969 à Paris ; professeur agrégé d’histoire et de géographie ; militant communiste de Toulouse et de Paris ; théoricien marxiste.

Jean Baby naquit à Toulouse dans une famille aisée : son père Philippe, Edmond, Isidore Baby était négociant, sa mère, Jeanne, Marie Jaffary n’exerçait pas de profession. Philippe Baby fut maire de Bénac (Ariège) - village où il résidait pendant l’été - du 20 mai 1900 à son décès en 1909. Titulaire deux baccalauréats, il fit son service militaire 1916-1919 qu’il finit comme lieutenant d’artillerie.

Ayant obtenu sa licence à Paris en 1920 puis son agrégation en 1923, Jean Baby fut dans les années 1920, professeur à Prague (1921-1923) et chargé de cours à l’Institut français de Prague. Professeur à Lorient (1923-1925) et à Toulouse (1925-1928), date à laquelle il prit un congé avant de rejoindre le petit lycée Concordet en 1929. Il avait épousé en premières noces Marthe Bienes dont il a eu un fils Jacques, qui, entré dans la Résistance, fut fusillé en juillet 1944. Ayant divorcé, il se maria ensuite avec Ruta Assia, née à Wojslawice, à l’est de la Pologne, et dont il eut une fille, Yvonne Baby, journaliste au Monde et écrivain. Après la Seconde Guerre mondiale, Jean Baby se maria avec Denise Champomier, puis vécut pendant les dernières années de sa vie avec Renée Bourdon.

Baby aurait rejoint les Jeunesses communistes de Toulouse aussitôt après le congrès de Tours. Il adhéra au Parti communiste en 1925 à Lorient et milita à la Fédération unitaire de l’Enseignement. Professeur au lycée de Toulouse (Haute-Garonne) de 1926 à 1930, Baby eut une activité débordante comme organisateur, orateur et journaliste. Militant de la Fédération unitaire de l’enseignement et de l’Union locale CGTU, il prit la parole dans de nombreuses réunions en Haute-Garonne et en Ariège ; il porta la contradiction à Jouhaux en septembre 1926. Membre du bureau régional communiste, Baby fut l’auteur de nombreuses attaques contre les socialistes toulousains dans La Voix des Travailleurs. Ces derniers tentèrent de se venger de « la bande à Baby » et accusèrent le professeur communiste d’être un provocateur payé par l’État bourgeois pour attaquer le Parti socialiste (Le Midi Socialiste, 10 juillet 1927). Jean Baby demanda la formation d’un tribunal d’honneur puis porta plainte, le tribunal correctionnel de Toulouse condamna en janvier 1928, Le Midi Socialiste, à cinquante francs d’amende, deux cent cinquante francs de dommages et à l’insertion d’une réponse du calomnié.

« Militant très actif, jouissant d’une autorité certaine sur ses camarades » (F7/13113, 15 novembre 1928), Baby devenait de plus en plus influent dans la Région communiste de la Garonne. Membre du bureau régional en septembre 1926, secrétaire de l’Agit-Prop, secrétaire régional adjoint depuis mai 1927, il remplaça Ferdinand Destrem* au secrétariat du rayon de Toulouse en août 1928. On attendait du jeune dirigeant qu’il redressât une situation peu brillante. Sur trente cellules, treize seulement fonctionnaient, regroupant deux cents adhérents environ. La Voix des Travailleurs avait moins de cinq cents lecteurs à Toulouse, mais s’y ajoutait des journaux d’usine : Le Cheminot Rouge, L’Avion Rouge (Latécoère), La Vérité (ONIA), L’Étoile de la Cartoucherie.

Baby fut candidat aux élections législatives d’avril 1928, dans la circonscription de Muret, contre le député socialiste sortant Vincent Auriol. Il ne recueillit que 1,98 % des voix des électeurs inscrits et Vincent Auriol passa au premier tour avec 51,4 %.
Devenu secrétaire départemental de la Haute-Garonne, Baby dirigea la liste communiste aux élections municipales de mai 1929, à Toulouse. Il intervint au congrès national de Saint-Denis (avril 1929) pour critiquer le discours de Louis Croset*. Son action antimilitariste lors du 1er août 1929 lui valut une inculpation et en août une suspension provisoire (sans traitement) de l’enseignement (Le Temps, 20 et 21 août 1929). Il venait d’être nommé au lycée Condorcet en juillet. Le 7 décembre 1929, les lecteurs de La Voix des Travailleurs apprirent avec stupeur son exclusion du Parti communiste, votée par le bureau régional le 24 novembre.

Cette sanction inattendue désorganisa pendant plus d’un an le Parti communiste en Haute-Garonne. L’explication est difficile. Faut-il y voir la condamnation d’une faute politique ou un conflit personnel avec le secrétaire régional A. Ginestet ? Quel rôle a eu la qualité d’intellectuel de Baby ? En septembre 1929, le bureau régional accusa J. Baby d’avoir rendu visite au substitut, à la veille de son procès pour action antimilitariste. Suspendu de toute responsabilité pour trois ans, il n’accepta pas cette décision et accusé de travail fractionnel, il fut exclu. La Voix des Travailleurs donna en janvier des explications plus politiques : Baby aurait mené une politique opportuniste au sein du rayon de Toulouse. Le journal avançait quelques faits : son attitude dans des élections du Tarn ; le refus de mettre Rougé*, mutin de Calvi, sur la liste communiste aux élections municipales, en raison de sa jeunesse déréglée et de sa non-appartenance à la JC ; Baby aurait discuté les consignes de manifestations contre la guerre pour le 1er août 1929. Les adversaires de Baby expliquèrent le succès de cette « ligne opportuniste » par l’origine sociale des militants du rayon : « Si le rayon de Toulouse a une mauvaise composition sociale, cela tient uniquement à ce que les dirigeants du rayon n’ont à aucun moment fait un travail en profondeur dans les masses. Pour la campagne municipale, le bureau départemental de la Haute-Garonne qui avait décidé de diriger la campagne et de l’organiser a fait une campagne petite-bourgeoise. Réunions publiques comme nos bons social-démocrates, contradictions apportées chez les socialistes et radicaux. Mais s’est-on attaqué aux usines ? » et Cadirac de la cellule 22, concluait à « l’épuration nécessaire ». Pour Jean Fournier* de la cellule de Saint-Gaudens, l’origine non prolétarienne de Jean Baby devait être une circonstance atténuante, il n’est « qu’un intellectuel, un étudiant en politique, un élément nouveau en formation, un apprenti qui n’a pas eu de bons maîtres, mieux, n’en a pas eu du tout. De sorte que, au bout d’un certain temps d’apprentissage, s’étant cru un bon ouvrier, un chef pouvant œuvrer utilement pour le Parti, (il) a commis la lourde faute, l’impardonnable faute de s’être "surestimé" ». Baby eut de nombreux défenseurs : le bureau départemental démissionna pour se solidariser avec son secrétaire. Le militant polonais P. Pascal* déclarait, « Le BR a reconnu à l’énorme majorité que Baby ne pouvait avoir agi ni par frousse ni par intérêt personnel. Mais cette déclaration nette, jamais le BR n’a voulu l’insérer dans La Voix des Travailleurs. » Jean Fournier était révolté par les méthodes employées : « Le sommet parlant beaucoup dans les thèses de la base, mais ne la consultant jamais, avait tué, politiquement parlant, Baby, puis avait déposé son cadavre encore tout chaud aux pieds des cellules en disant : « Voilà ce que nous avons fait qu’en pensez-vous ? Mais avant, souffrez que nous justifions notre acte. » Alors viennent les ragots, puis des accusations. » Henri, de la cellule 21, condamnait l’exclusion du secrétaire départemental : « Je déclare que le BR a fait une politique de caserne qui est la cause initiale du conflit et du malaise qui persiste encore dans le Parti à Toulouse. Je maintiens que l’exclusion du camarade secrétaire du BD, le refus du secrétaire régional de s’expliquer en sa présence devant les cellules, sont autant de fautes politiques. » Un des défenseurs de Baby, Jules Piton* fut exclu pour un an sous l’accusation de travail fractionnel, en fait pour avoir retourné contre les membres du BR la qualification d’opportunisme.

Le malaise persistait lors de la conférence régionale des 8 et 9 février 1930. Vingt-cinq cellules seulement sur soixante-cinq s’étaient fait représenter. « Ce n’est pas en s’abstenant de participer aux discussions que les camarades cacheront les désaccords qu’ils ont avec la ligne du Parti » déclara le BR. L’instituteur René Garmy*, secrétaire du bureau départemental de l’Ariège, intervint en faveur de Baby, le représentant du bureau politique, Michaut traita le professeur toulousain « d’opportuniste orgueilleux » et regretta qu’il ait été exclu trop tardivement (F7/13121). Le rapport du BR fut voté par vingt-huit voix contre sept. (Toutes les citations qui précèdent sont extraites de La Voix des Travailleurs, décembre 1929-février 1930.)
Condamné à un mois de suspension par le conseil académique de Toulouse, le 10 décembre 1929, avec privation d’un cinquième du traitement, mais le ministère interjeta et demanda sa traduction devant le conseil supérieur de l’Instruction publique. Réuni le 16 2 30, celui-ci rejeta le recours. Suspendu aussitôt de ses fonctions en août 1929 dans l’attente des résultats de l’enquête, réintégré et installé au lycée Rollin en mars 1930.

Il devint secrétaire pour les deuxième et troisième degrés du syndicat unitaire de l’Enseignement de la Seine et rédacteur administrateur du journal Les Semailles. Il aurait repris place au Parti communiste dès novembre 1930, mais il fallut attendre octobre 1931, pour que la Commission centrale de contrôle politique, sur proposition du bureau politique, le réintégrât en faisant état de son travail au SRI, dans la Fédération unitaire de l’Enseignement, à l’Internationale des travailleurs de l’enseignement (ITE) et à la Libre pensée révolutionnaire (avec la brochure Le rôle social de l’Église). Le dossier personnel de Baby conservé au RGASPI contient une lettre de cinq pages dactylographiées datée du 7 décembre 1929 envoyée par Baby au bureau politique pour lui exposer sa vision des faits. Ainsi que le compte rendu de la séance du 30 décembre 1929 à laquelle il assistait. Celui-ci reconnaissait avoir commis des fautes politiques par inexpérience, fautes qu’il estimait partagées par le bureau régional (495 270 5126).

Cette décision ne fut pas rendue publique par La Voix des Travailleurs où son nom ne réapparut qu’à l’occasion de sa prise de parole dans un meeting à Toulouse, le 1er août 1936. Le Parti communiste l’aurait présenté aux élections législatives des 1er et 8 mai 1932 dans la deuxième circonscription du VIe arr. de Paris selon un rapport de police, mais son nom n’apparaît pas dans les archives de l’Assemblée nationale. La candidature de Baby avait été proposée par le bureau politique le 20 février 1932 et ratifiée par le comité de rayon. Le candidat communiste fut finalement Mohammed Marouf*. En 1933, il fut affecté dans le XVe arr. de Paris et chargé de la réorganisation de la cellule communiste des Établissements Citroën.

Jean Baby fut de ceux, rares alors, qui s’intéressaient au marxisme sur le plan théorique. Il fit partie du « Cercle de la Russie neuve » qui, dans les années 1930, regroupa des intellectuels soucieux d’approfondir le marxisme, et de mieux connaître la Russie soviétique. Il participa au recueil À la lumière du marxisme, paru en 1935, aux Éditions sociales internationales. Il fut également un des auteurs du Cours de marxisme publié en 1936 et 1937 au Bureau d’éditions. On sait, d’après un document du 26 juillet 1937 conservé dans son dossier personnel à Moscou, que le manuscrit d’un livre d’histoire remis aux ESI avait été demandé pour examen par le secrétariat du parti (l’ouvrage parut après la Libération) et, d’autre part, qu’à cette même date la publication de sa quatrième brochure sur le Capital avait été suspendue. Elle parut finalement au Bureau d’édition quelques mois plus tard.

Jean Baby fit partie du premier bureau définitif du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes élu en mai 1934. Lorsque les premières divergences sur l’action antifasciste apparurent, notamment à propos de l’attitude à adopter en face des États fascistes, Jean Baby se montra partisan d’une politique de fermeté vis-à-vis de l’Allemagne hitlérienne. Il critiqua ainsi, dans Vigilance du 5 mai 1935, un article élogieux d’Alain sur le livre de Jules Romains, Le Couple France-Allemagne. Après la remilitarisation de la Rhénanie, Jean Baby écrivait dans Vigilance que le fascisme ne pouvait atténuer son caractère belliqueux, et qu’il était vain de chercher à lui faire des concessions. Lorsque les membres communistes et communisants du CVIA furent mis en minorité au congrès de juin 1936, Jean Baby quitta avec P. Langevin les organismes dirigeants. G. Cogniot, qui n’appartint pas au CVIA, évoqua dans Parti pris (tome 1, 1976, p. 307) la scission de 1936 ; il en attribuait la responsabilité pour une part aux « pacifistes intégraux », pour une autre part à « l’attitude intransigeante et brutale de certains communistes, tel Jean Baby, qui n’avaient pas appliqué les recommandations du Parti en faveur du maintien de l’unité ». Il portait, à l’époque où il était le représentant français du Parti auprès de l’Internationale le même jugement sévère : dans son rapport du 21 août 1937, il dénonçait : « la politique extrêmement sectaire et brutale » du représentant du Parti au CVIA. « Jean Baby, - élément suspect, autrefois exclu du Parti et à nouveau soumis à enquête à l’heure actuelle n’aboutit pas à nous isoler en permettant de nous présenter comme des bellicistes. Lors du congrès de juin 1936, violant la décision du Parti d’après laquelle les communistes et les sympathisants devaient continuer à militer au sein du Comité, cet élément (constamment soutenu par le courtier d’assurances et littérateur André Wurmser*, autre personnage inquiétant, rédacteur en chef de Russie d’aujourd’hui), fit donner leur démission de membres du bureau aux seize partisans que nous y avions. Ainsi, la place a été laissée libre pour les trotskystes, et le travail d’isolement de notre parti dans les milieux intellectuels s’est développé à plein. » (rapport « Sur la lutte contre le trotskysme en France », 21 août 1937, RGASPI, 517 1 1838, f 15-16).

Après son départ du CVIA, Baby participa avec d’autres intellectuels à la fondation de Paix et Démocratie en avril 1937.
Baby aurait été chargé avant guerre, par Langeron préfet de police libéral, d’avertir le Parti communiste du double jeu de Marcel Gitton*. Il transmit, mais Gitton, averti, le fit exclure en 1939 (selon Paul Noirot, p. 136). Dominique Desanti donne une version différente : « Frais émoulu de l’agrégation, voyageant en Tchécoslovaquie, il fut chargé par un camarade de l’Internationale de faire savoir à la direction du Parti que Gitton était un flic... Avec une naïveté que j’aurais certainement partagée, Baby avait, au retour, transmis l’avertissement à la commission des cadres... composée d’« hommes de Gitton », lequel exclut Baby. Il ne fut réintégré qu’une fois le traître démasqué. » Dominique Desanti apprit ces faits par François Billoux* en septembre 1949 et, Baby les lui confirma mais, note-t-elle, il n’en avait jamais fait état auparavant (Les Staliniens, p. 148).

Dans le rapport sur le trotskisme remis au bureau politique, le 28 juillet 1938, l’auteur (Maurice Tréand*) évoque les réponses insuffisantes sur les relations avec le trotskisme faites dans les biographes rédigées par les militants. Il cite en exemple le cas de Jean Baby, traduit devant la CCCP, qui « mentit effrontément et jura n’avoir aucun rapport avec les trotskistes ». Or dans le même temps, selon le rapport : « il se livre au travail trotskiste à Toulouse et dans sa région ». Il s’agit plus d’une manifestation d’excessive vigilance du dirigeant de la commission des cadres, que d’une information fiable.

Dans une lettre du 26 août 1988 à Claude Pennetier, Annie Kriegel émet à juste titre des réserves sur son éventuelle exclusion en 1939. Cette sanction, souvent présente dans la tradition orale, n’est attestée par aucun témoignage formel et aucun document.

« En fait Baby a-t-il été exclu en 1939 ? Rien n’est moins sûr. Il a été nommé en 1940 au lycée de Nîmes comme furent nommés en zone libre maints professeurs communistes d’avant-guerre sur l’entremise de Carcopino, secrétaire d’État à l’Éducation nationale. Est-ce la raison de son apparente inertie pendant la clandestinité ? [...] la version de Dominique Desanti [...] repose à l’évidence sur une confusion de dates. En effet Dominique Desanti écrit : « Frais émoulu de l’agrégation, voyageant en Tchécoslovaquie, il fut chargé (il = Baby) par un camarade de l’Internationale de faire savoir à la direction du Parti que Gitton était un flic... Baby avait au retour transmis l’avertissement à la commission des cadres... composée « d’hommes de Gitton », lequel exclut Baby. Il ne fut réintégré qu’une fois le traître démasqué ». Or Baby fut « frais émoulu de l’agrégation » en 1922 ou 1923. C’est en 1924 qu’il voyagea en Tchécoslovaquie et c’est en 1929 qu’il fut, cela est sûr, exclu pour être réintégré en 1930. Rien donc qui puisse être lié à Gitton dont l’affaire est de dix ans postérieure. »

Rappelé sous les drapeaux en août 1939 en qualité de lieutenant d’artillerie, il fut démobilisé en juillet 1940 et nommé, le 3 octobre 1942, au lycée de Saint-Étienne mais le ministère refusa de maintenir en poste cet « ancien communiste », et l’affecta le 20 octobre 1942 à Nîmes. Baby envoya une lettre de protestation au ministre le 24 octobre 1942. Dès le 24 août 1942, par lettre au ministre écrite sur une feuille avec l’entête d’un hôtel de Laguiole (Aveyron), il demanda une nomination dans « un poste de lycée dans la région centrale ou méridionale » pour des raisons médicales le concernant ainsi que son épouse. À Nîmes, il fit de nombreuses demandes de congé pour maladie, ce qui parut suspect au directeur de l’enseignement secondaire qui demanda une enquête le 7 mars 1944. En congés de maladie et en résidence à Toulouse, il fut révoqué avec déchéance du droit à pension le 9 mai 1944 (Arch. Nat. 72 AJ 251 et F17/27059). Ses activités politiques et sa vie personnelle pendant la guerre restent assez mal connues. Sa fille, Yvonne, situe un épisode de son roman autobiographique dans un village du Massif Central en 1944 : « Oui, ce village avait failli brûler en 1944, les Allemands devaient fusiller les hommes contre le mur de l’église, et cette mèche (de son père) était devenue blanche » (Le Jour et la nuit, p. 96). Son fils Jacques, né en 1921 de son premier mariage avec Marthe Bienes, vint le voir en décembre 1943 alors qu’il résidait dans un hameau près de Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire). Jacques Baby, réfractaire au STO, se trouvait alors dans un maquis de l’Armée secrète (AS) dans le Gard. Très influencé par un père qu’il considérait vraisemblablement comme un modèle, marxiste tout aussi convaincu et intransigeant, il était venu prendre conseil auprès de lui avec un autre maquisard communiste, après avoir suivi l’école des cadres du maquis. En délicatesse politique avec la direction de leur maquis, les deux jeunes gens firent scission peu après et fondèrent un maquis rattaché aux Francs-Tireurs et partisans (FTP). Arrêté par les gendarmes le 23 avril 1944, Jacques Baby fut condamné à mort par une cour martiale milicienne et fusillé à Marseille (Bouches-du-Rhône) le 4 juillet.
Après la Libération, réintégré dans l’enseignement le 16 septembre 1944, Jean Baby devint professeur d’histoire au lycée Jacques-Decour. Il fit partie d’un jury d’honneur dans l’affaire Raoul Binon (voir Edmond Lablénie). À la suite de propos jugés « diffamatoires » contre Lablénie tenus dans sa classe, le 16 mars 1949, un mois plus tard, le secrétaire général de l’association des anciens combattants et résistants de l’Education nationale déposa une plainte contre lui.

Il militait toujours au Parti communiste dont il apparaissait comme un des économistes. Il écrivit notamment, pour les Éditions sociales, Principes fondamentaux d’économie politique (1949), puis fut rédacteur en chef de la revue Économie politique dirigée par Jean Pronteau, et, dont le premier numéro sortit en avril 1954. L’Institut d’études politiques le désigna comme chargé de cours sur le marxisme (1946-1947, 1948-1949, 1956-1957, 1958-1959). Il écrivait dans les Cahiers du communisme et dans Démocratie nouvelle. Ayant assisté au procès Rajk, il en sortit convaincu de la culpabilité de l’ancien dirigeant communiste hongrois (Démocratie nouvelle, novembre 1949).

Cependant, à la fin des années 1950 se termina la période orthodoxe de Jean Baby. À la veille du XVe congrès du PCF, il résuma ses critiques à l’égard du Parti dans Critique de base, publié aux éditions Maspero au début de l’année 1960. Dans son livre, Jean Baby réclamait la restauration et la rénovation de la démocratie dans le Parti, mais restait encore dans la ligne d’une déstalinisation modérée. Il reprochait aux dirigeants du PCF de n’avoir pas tenu compte des enseignements du XXe congrès du PCUS, et affirmait que la volonté délibérée de ne pas montrer les travaux du XXe congrès était à l’origine du malaise dans le Parti. Il critiquait l’attitude de la direction dans l’affaire algérienne, sa politique au moment de l’avènement du gaullisme, ainsi que les thèses économiques (paupérisation) et les positions du Parti sur le problème de la limitation des naissances. Le Parti communiste à nouveau prononça son exclusion le 30 avril 1960. Jean Baby protesta par une lettre au Comité central. Gaston Plissonnier, lors d’une réunion de l’instance, le 23 mai 1960, affirma qu’il avait été exclu "selon les statuts", ce que confirma décision prise de ne pas donner suite à la demande de réexamen de la décision.

Baby commença une évolution qui allait le conduire à rompre complètement avec le PCF et à se tourner vers la Chine et le maoïsme. Le 5 septembre 1960, il signa la déclaration des 121 sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie. Lors du procès du réseau Jeanson, le 20 septembre 1960, à la demande des avocats de la défense, avec d’autres signataires, il vint témoigner. Après avoir dénoncé l’humiliation subie par les Algériens, il évoqua l’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat et la question de l’armée en tant qu’ancien officier ayant "fait les deux guerres". Il affirma aussi que la guerre a toujours correspondu à "une période de décomposition d’un système".

En 1964, il publia Un monde meilleur dans lequel il dénonçait l’oppression dont étaient victimes dans la société capitaliste, les jeunes, les femmes, et dans lequel il tentait de décrire la société communiste sans contrainte ni aliénation. Dans cet ouvrage, Baby se référait aussi bien à l’expérience soviétique qu’à l’expérience chinoise. Mais avec La Grande Controverse sino-soviétique (1966), retraçant l’histoire du différend entre l’URSS et la Chine, il dénonçait la politique post-stalinienne, critiquait la position du PCF dans la querelle sino-soviétique et son évolution vers le révisionnisme.

Yvonne Baby, qui parle de son père avec tendresse et gravité, dans Le Jour et la nuit, évoque, à la fin de son livre, les dernières années de Jean Baby au moment où celui-ci, déjà malade, poursuivait au sein de petits groupes qui se réunissaient à l’École normale supérieure, sa recherche marxiste.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article15418, notice BABY Jean, Édouard, Dominique par Jean Maitron, Claude Pennetier, Nicole Racine, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 23 août 2022.

Par Jean Maitron, Claude Pennetier, Nicole Racine

ŒUVRE : Principaux ouvrages de Jean Baby : Le Rôle social de l’Église, Paris, Bureau d’éditions, 1931 (Collection antireligieuse n° 1). — « Le matérialisme historique », in À la lumière du marxisme (Essais), Édition sociales internationales, 1935, p. 286-310. — Cours de marxisme (Première année), 1935-1936, Bureau d’éditions, 1936, 128 p. (J. Baby, R. Maublanc, G. Politzer, H. Wallon). — Cours de marxisme (Deuxième année), 1936-1937, Paris, Bureau d’éditions, 1937, 128 p. (J. Baby, G. Friedmann, P. Labérenne, R. Maublanc, H. Wallon). — Conférences sur « Le Capital » de Karl Marx, Paris, Bureau d’éditions, 1937, 103 p. — Histoire générale contemporaine 1848-1939, par J. Baby, J. Bruhat, J. Gaillard..., Paris, Bibliothèque française, 1945, 2 volumes, 208, 80 p. — L’Antisoviétisme contre la France, Éditions France-URSS, 1947, 48 p. — Principes fondamentaux d’économie politique, Paris, Éditions sociales, 1949, 350 p. (2e éd., 1951, 375 p.) — Le Marxisme, Paris, Les Cours de droit, 1947, 310 p. (Cours Institut d’études politiques, 1946-1947). — Le Marxisme, id., 1949, 440 p. (Cours, Institut d’études politiques, 1948-1949). — Le Marxisme, Paris, Amicale des élèves, Institut d’études politiques, 1957, 174 (III) p. (Cours, Institut d’études politiques, 1958-1959). — Critique de base. Le Parti communiste français entre le passé et l’avenir, Paris, F. Maspero, 1960, 263 p. (Cahiers libres, n° 5-6). — Un monde meilleur. Recherche marxiste, Paris, F. Maspero, 1964, 199 p. (Cahiers libres, n° 63-64). — La Grande Controverse sino-soviétique, 1956-1966, Paris, B. Grasset, 1966, 445 p.

SOURCES : Arch. Nat. F17/27059, F7/12973 F7/12986, F7/13034, F7/13081, F7/13090, F7/13104, F7/13109, F7/13113, F7/13116, F7/13121, F7/13262, F7/13749, F 17 27599. — Arch. PPo. 306. — Arch. Jean Maitron. — I.M.Th., bobine 156. — RGASPI, Moscou, 495 270 5126, 517 1 1838, 1884. — Archives du Comité national du PCF, débat du CC, bande 145. — État civil de Toulouse. — La Voix des Travailleurs, 1926-1930. — L’Humanité, 30 avril 1960. — Dictionnaire biographique français contemporain, Pharos, 1954-1955. — Yvonne Baby, Le Jour et la nuit, Grasset, 1974. — Yvonne Baby, La vie retrouvée, Éditions de l’Olivier, 1992. — Péju (Marcel, présenté par), Le procès du réseau Jeanson, Paris, Maspero, Cahiers libres, 1961 réédité en 2002, La Découverte, "Textes à l’appui". — Lettre d’Annie Kriegel à Claude Pennetier, 26 août 1988. — Lettre de Jacques Piquemal, maire de Bénac, 30 octobre 1999. — Lettre d’Yvonne Baby, 12 janvier 2000. — Paul Noirot, La mémoire ouverte, Stock, 1976, p. 136. — Notes de Jacques Girault et Jean-Marie Guillon.

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